Laurent Aiello, acteur et témoin du début de l'ère Audi

Suite à l'annonce de la fin du programme Endurance d'Audi, Laurent Aiello a accordé un entretien exclusif à Motorsport.com. Il raconte comment est née cette machine à gagner mais aussi, avec pudeur, ses souvenirs de Michele Alboreto.

Audi R8, Laurent Aiello, Allan McNish, Stéphane Ortelli

Audi R8, Laurent Aiello, Allan McNish, Stéphane Ortelli

Vainqueur des 24 Heures du Mans à 29 ans, dès sa première participation en 1998 avec Porsche, Laurent Aiello a ensuite rejoint Audi. À l'époque, la marque aux anneaux se lançait en Endurance, pour une épopée victorieuse de 18 années, qui a pris fin le week-end dernier à Bahreïn. 

Le Français, qui a piloté l'Audi R8 au Mans de 1999 à 2001, avec deux podiums à la clé, revient sur cette période qui ne laissait aucun doute : le constructeur d'Ingolstadt bâtissait bel et bien un rouleau compresseur quasiment invincible. Le tout dans un esprit irréprochable, malgré la gestion pas toujours évidente des différents profils des pilotes. Entretien.

 

Laurent, vous avez été du début de l'aventure d'Audi en Endurance, à la fin des années 1990. Revenons sur cette période…

C'est vrai que j'ai été du début de l'aventure. Le travail de développement, etc, on l'a fait en amont. Moi, j'étais engagé en 1999 en Angleterre car je faisais le BTCC en même temps. Mais effectivement, j'avais roulé au Mans avec Audi. La première voiture n'était peut-être pas, en termes de performances, au niveau des autres concurrents à ce moment-là, mais connaissant Audi, la capacité d'analyse et le travail engagé, dès l'année suivante la voiture était dans le coup. C'était une première année pour voir, bien sûr, comme chaque constructeur peut éventuellement l'envisager. Il y avait déjà plusieurs voitures, les voitures officielles était découvertes, et les autres [fermées] étaient faites en Angleterre avec Ford, je crois.

Comment êtes-vous arrivé chez Audi, après avoir gagné Le Mans en 1998 avec Porsche ? Est-on venu vous chercher ? 

Oui, c'est Audi qui est venu me chercher. On se connaissait depuis longtemps, puisque l'on a été concurrents pendant des années en Supertourisme. Le Docteur Ullrich me connaissait très bien. En 1998, c'était ma première participation [au Mans]. La victoire a évidemment pesé dans leur décision, mais ils sont effectivement venus vers moi. Je pense qu'il y avait aussi une volonté commune, que ce soit pour eux ou pour moi, d'envisager non pas uniquement Le Mans mais aussi la suite, et surtout le DTM. La démarche est allée aussi dans ce sens, il n'y avait pas que le programme Le Mans qui était dans notre négociation.

Quand on arrive auprès d'un constructeur qui s'engage pour la première fois dans la discipline, qu'on a gagné Le Mans, qu'est-ce qu'on attend de vous et que pouvez-vous apporter ?

Je n'avais fait qu'une fois Le Mans, mais une fois chez Porsche, l'équipe qui a gagné le plus de fois au Mans. Donc on s'imprime très rapidement de ce dont on a besoin pour gagner au Mans. Après, j'avais aussi des coéquipiers en 1998 qui avaient une expérience au Mans, que ce soit les miens ou ceux qui étaient sur les autres voitures engagées : je pense à Yannick Dalmas notamment. En une participation, j'ai accumulé pas mal d'expérience et beaucoup d'informations. Je pense qu'Audi n'avait pas énormément de doutes quant à la possibilité pour moi de leur amener quelque chose et une expérience, même si elle était d'une année. Ils ont fait ce pari et, à côté de ça, on avait d'autres pilotes d'expérience. C'était un mélange important pour eux.

Laurent Aiello, Audi R8

Une fois recruté par Audi, il y a cette voiture à développer, avec beaucoup d'essais à faire…

Exactement. Il y a beaucoup de séances. Pour moi, la difficulté, que ce soit cette année-là [1999] ou même les suivantes, c'est que je n'étais pas dans le programme prototype. J'avais donc des pilotes à côté qui ne faisaient que ce programme-là et qui faisaient plusieurs courses dans l'année dans cette voiture. De mon côté, je devais passer d'une voiture de tourisme à ces voitures qui sont beaucoup plus appuyées, plus lourdes, avec des appuis vraiment différents ; il y avait beaucoup d'aéro dans les virages rapides. Pour moi, ce n'était pas évident parce qu'il fallait que je me réadapte assez rapidement.

Dans ces voitures, dans les virages rapides, il faut avoir confiance dans la voiture et cette expérience-là on l'acquiert au fil des courses. À chaque course on connaît un peu mieux sa voiture. Il fallait que je dépense beaucoup d'énergie pour être au niveau et faire les mêmes temps que les autres pilotes Audi. Ce que j'arrivais à faire, mais ça me coûtait pas mal d'énergie. En revanche, quand on est au début d'un programme comme ça, ce qui est toujours intéressant, c'est le développement. Il y a une voiture d'essais, et on se succède les uns les autres. C'était un travail intéressant.

Est-ce que dès le début du programme vous pouviez sentir qu'Audi allait devenir une véritable machine de guerre pendant près de vingt ans ?

Oui, en raison des moyens engagés et de l'approche. Quand on est en développement, par exemple si on veut développer le différentiel, on a cinq voies de travail, cinq possibilités. Suivant les moyens, les constructeurs vont soit travailler sur les cinq voies, soit ils vont essayer d'en choisir trois, voire deux, parce qu'on ne peut pas dépenser tout l'argent sur cinq voies de travail, puisqu'il y aura forcément du gâchis. Audi s'est donné les moyens de travailler sur les cinq voies. Je vous donne juste un exemple. C'est ce qui fait qu'on est sûr de ne pas se tromper en faisant ça. On dépense plus d'argent mais, pour le coup, les essais sont faits et on a de vraies réponses, car les calculs sur le papier sont une chose, mais après, la réalité en est une autre. Vu cette façon de travailler, forcément on peut s'attendre à des résultats.

Départ au Mans: Laurent Aiello (#2) dans l'Audi R8 est devant Frank Biela (#1)

Après votre départ d'Audi, avez-vous gardé des relations avec le monde de l'Endurance et avec la marque ?

J'ai décidé d'arrêter en 2005. Ce n'est pas que je n'étais pas sûr de ma décision, mais je me suis écarté des circuits pendant quelques temps pour être sûr d'être en accord avec ma décision. Malgré tout, lorsque j'y suis retourné, deux ans après il me semble, sur des courses de DTM, j'ai toujours été très bien reçu par Audi, et j'y suis encore retourné pendant trois ou quatre ans, sur une ou deux courses dans l'année. J'ai toujours été super bien reçu par toute l'équipe, par le Docteur Ullrich, je faisais partie de la famille de toute façon. 

Le Docteur Ullrich, justement, pouvez-vous nous en parler un peu ? Comment se passaient les relations avec lui et quel meneur d'hommes est-il ?

Il a été à la base du succès. C'était quelqu'un qui était à l'écoute. Pour ce qui me concerne, il parlait français, il s'intéressait à la culture française, et du coup, il comprenait un peu aussi notre façon d'être, parce que nous, Français, on a des qualités et des défauts, comme toutes les nationalités. Il savait comment manœuvrer avec moi, c'était une grande chance.

Ensuite, je pense qu'il était assez juste dans ses décisions, dans son comportement avec les pilotes. Après, quand on a des grosses équipes comme ça... J'étais habitué à des structures plus réduites, même en travaillant avec d'autres constructeurs, et parfois il y a des décisions qui sont prises et, comment dirais-je… Par exemple sur un travail de développement, il faut qu'une solution choisie convienne à tout le monde, et quand il y a neuf pilotes, c'est compliqué. Donc après, il y a des décisions d'équipe qui sont prises, qui peuvent parfois ne pas plaire à tout le monde. On ne peut pas contenter tout le monde. Lui prenait ces décisions. Ça doit être compliqué de gérer des équipes aussi importantes que ça. Je pense que le Docteur Ullrich avait des responsabilités et des comptes à rendre par rapport aux gens qui donnaient des budgets au-dessus. Je pense qu'il a bien géré tout ça pendant des années.

Audi célèbre un doublé au Mans : Emmanuele Pirro coupe la ligne d'arrivée devant Laurent Aiello

Quand on se retrouve, comme Audi au début des années 2000, avec trois voitures qui sont capables de gagner et une concurrence un peu moins bonne, comment on le gère ?

Je pense que ça se gère tout seul. Malgré tout, on avait quand même des soucis, même si on gagnait ; il y avait des petites choses qui arrivaient pendant la course. Certaines voitures avaient un peu plus de soucis, et naturellement, elles rétrogradaient dans le classement. Ça se faisait naturellement. Il nous est arrivé d'être à quelques heures de l'arrivée, et ils [le staff] ont été amenés à figer les positions. C'est sûr que, pour certains, c'était un peu dur à accepter, mais parfois il faut savoir prendre ce genre de décisions pour la marque. Mais ça se faisait naturellement pendant la course. 

Parmi les pilotes que vous avez côtoyés, quel est celui qui vous a le plus marqué chez Audi ?  

Michele Alboreto. Pour plusieurs raisons. Pour ce qu'il a fait auparavant, bien sûr, c'était un pilote de Formule 1. Il était passionné, et puis il sortait du moule. Il ne rentrait pas dans le moule de chez Audi. Il y a des pilotes dont la volonté était de faire carrière chez Audi. Lui, bien sûr, ce n'était pas son cas, il n'en avait rien à faire, donc s'il avait quelque chose à dire il le disait. En cela, on était assez proche, car si j'avais quelque chose à dire, je le disais aussi. Je n'avais pas de plan de carrière chez Audi, contrairement à d'autres pilotes, ce qui fait que là-dessus on était assez proches. Je pense qu'il m'aimait bien aussi pour ça.

Et puis, c'était quelqu'un qui ne lâchait pas. J'ai été confronté dans ma carrière à pas mal de pilotes qui étaient plus âgés que moi et qui démontraient une volonté et une motivation qui leur permettaient d'être plus rapides que les jeunes, et j'ai toujours été admiratif de ça. Michele en faisait partie. Il avait une expérience incroyable, il nous parlait un peu de sa période F1, c'était sympa. 

Michele Alboreto, Christian Abt, Rinaldo Capello, Allan McNish, Stéphane Ortelli, Laurent Aiello, Tom Kristensen, Frank Biela, Emanuele Pirro

Comment Audi et vous avez réussi à gérer, humainement, la suite après son accident mortel lors d'une séance d'essais en 2001, sur le Lausitzring ?

C'était compliqué, parce que c'est arrivé un mois avant la course. Finalement, c'était pendant des essais, ça aurait pu être n'importe lequel d'entre nous dans la voiture à ce moment-là. On était potentiellement huit autres à pouvoir être dans cette voiture à ce moment-là. C'est la vie, c'est comme ça.

Ensuite, Michele a été remplacé par [Christian] Pescatori et il n'y avait aucun souci là-dessus, mais le truc, c'est qu'on a fait 18 heures de course sous la pluie cette année-là… Ce ne sont pas des conditions idéales au Mans, c'est même plutôt angoissant pour nous. Et c'est pour ça qu'en 2001, j'ai demandé au Docteur Ullrich, ou plutôt je lui ai indiqué que je ne souhaitais plus faire Le Mans, parce que ça m'avait marqué. Et puis en même temps, j'avais vraiment la volonté en 2002 de me concentrer à 100% sur le DTM. Ce sont les raisons pour lesquelles j'ai arrêté de courir au Mans.

Aujourd'hui, comment réagissez-vous à la décision d'Audi de quitter l'Endurance ?

Il fallait s'y attendre. Je pense qu'ils décident tous, à un moment donné, de s'arrêter. Il y en a certains qui se sont arrêtés beaucoup plus tôt que ça. Là, ils sont quand même restés un long moment, ils ont contribué pendant des années au succès de la course médiatiquement. C'est dommage pour les pilotes qui vont peut-être rester sur le carreau. Le reste, je ne sais pas. Ils ont été très longtemps deux pendant ces périodes où Audi a gagné. 

Laurent Aiello aux 24 Heures du Mans

Année Équipe Voiture Équipiers Clt.
1998  Porsche AG Porsche 911 GT1-98  A. McNish
 S. Ortelli
1er
1999  Audi Sport Team Joest Audi R8R  M. Alboreto
 R. Capello
4e
2000  Audi Sport Team Joest Audi R8  A. McNish
 S. Ortelli
2e
2001  Audi Sport North America Audi R8  R. Capello
 C. Pescatori
2e

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