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Monte-Carlo 1987 - Une manière étonnante de désigner le vainqueur

Les consignes d'équipe ne sont pas l'apanage des seules couses de Formule 1. Il y a 30 ans, le Rallye Monte-Carlo, qui marquait le début du Groupe A comme catégorie principale du WRC, en apporta la preuve sous une forme... originale.

Miki Biasion, Tiziano Siviero, Lancia Delta HF 4WD

Miki Biasion, Tiziano Siviero, Lancia Delta HF 4WD

LAT Images

Rétro : Dans l'Histoire des sports méca

Sur deux ou quatre roues, replongez-vous dans l'Histoire des sports mécaniques, celle qui a écrit la légende des hommes et des machines durant des décennies.

L'ère des Groupe B, interdites sur l'autel de la sécurité par la Fédération internationale du sport automobile (FISA) à la fin de 1986, avait été marquée par une polémique en fin de saison, quand Lancia avait questionné les commissaires techniques du Rallye Sanremo sur la conformité de jupes latérales sur les Peugeot 206 T16 Evo 2. Quelques mois plus tard, le Monte-Carlo 1987 fut lui aussi l'objet de deux controverses au centre desquelles se trouvait... l'équipe Lancia.

Passons rapidement sur la première, d'ordre technique, survenue en cours de rallye quand l'équipe Mazda, devenue la principale rivale de Lancia du fait du changement de règlement technique et du retrait de Peugeot, parti régner sur les pistes du Dakar, déposa réclamation contre les voitures italiennes qui caracolaient en tête. Celles-ci, assurait son patron, Achim Warmbold, bénéficiaient d'une astuce découverte en tests et dépassant le cadre du règlement, que son équipe n'avait pas eu la possibilité d'adapter.

Après enquête des commissaires, l'affaire fut classée sans suite – même si certains observateurs ne doutaient pas de la ruse de l'équipe italienne et de son directeur, Cesare Fiorio, comme d'une certaine naïveté, peut-être, de la part de son homologue du constructeur japonais.

Mazda se rebiffe... pour rien

Ce dernier s'inquiétait sans doute pour la suite de sa saison puisque, même au stade de l'épreuve où il déposa sa réclamation, un déclassement des Lancia n'aurait offert que la quatrième place à l'un de ses pilotes, Ingvar Carlsson, dont le chef de file Timo Salonen (champion du monde 1985 avec Peugeot) avait abandonné très tôt dans le rallye en raison d'ennuis de turbo.

Devant Carlsson, mais à bonne distance des deux Lancia de tête, pointaient deux autres champions du monde : Walter Röhrl, quadruple vainqueur du Monte-Carlo handicapé par une Audi 200 Quattro bien lourde, notamment sur les spéciales enneigées du début de rallye (ci-dessous), et Stig Blomqvist sur une Ford Sierra 4x4 manquant clairement de puissance. Tous deux allaient terminer le rallye, deux jours plus tard, aux troisième et quatrième places – à bonne distance des deux Lancia de tête.

Walter Röhrl, Christian Geistdörfer, Audi 200 Quattro

Deux Lancia, oui, alors qu'elles étaient trois au départ. Mais Bruno Saby, auteur du scratch dans une sorte de prologue à l'Alpe d'Huez n'ayant pas vraiment fait de publicité aux nouvelles Groupe A – dotées de près de 300 chevaux contre 450 voire plus pour les dernières Groupe B, mais un peu au ralenti sur les pentes enneigées –, était revenu tenir tête à ses deux équipiers, Miki Biasion et Juha Kankkunen, en milieu de seconde journée. Hélas, le Grenoblois, transfuge de Peugeot comme Kankkunen, devait abandonner sur une casse de transmission au départ de l'ES12. Et c'est là que débute la seconde controverse.

Consignes ou pas consignes ?

La fiabilité, en effet, était la grande inquiétude de l'équipe Lancia dont la Delta HF 4WD disputait là son tout premier rallye.

"Nous n'avons pas encore eu de problème", disait Cesare Fiorio avant même les ennuis de Saby, "mais nous sommes quand même inquiets, bien que les conditions d'enneigement de tout le rallye ne posent pas de problème sérieux à la mécanique. Les pilotes doivent conduire avec beaucoup plus de souplesse que si on était sur l'asphalte, et cela, évidemment, soulage un peu l'effort mécanique. Nous espérons que ça continuera comme ça, parce que la voiture doit quand même faire encore beaucoup de chemin pour être aussi fiable qu'on le voudrait."

En raison de cette inquiétude, déjà se posait la question de savoir si l'Italien imposerait des consignes à ses pilotes, lesquelles et de quelle façon.

"C'est vraiment un problème que j'aime bien avoir", répondait-il avec malice. "Celui que je n'aime pas avoir, c'est quand on est trois minutes derrière et qu'on n'arrive pas à suivre les autres."

Juha Kankkunen, Lancia
Juha Kankkunen, Lancia

Photo de: LAT Images

La solution, sans doute l'avait-il déjà trouvée. En attendant, Kankkunen et Biasion poursuivaient leur mano a mano, le Finlandais prenant un avantage d'une minute qui sembla décisif après l'ES17, à la faveur d'un mauvais choix de pneus de son coéquipier. Mais le lendemain, dans la toute dernière spéciale du rallye, le champion du monde en titre (avec Peugeot) s'arrêtait ostensiblement au bord de la route, le temps nécessaire à Biason pour reprendre l'avantage au chronomètre...

Explication de Fiorio, au micro de TF1 : "Avant-hier soir à Gap, nous avons dit : ‘Maintenant on ralentit, on va doucement. On assure jusqu'au Turini et au Turini, on va faire une belle bagarre, libre, et qui gagne le Turini gagnera la course.’ Cela a été décidé alors que les deux pilotes, Biasion et Kankkunen, étaient à égalité."

"Aujourd'hui sur le Turini, on a eu une belle bagarre, Biasion a gagné et c'était lui qui avait le droit de gagner [le rallye]."

Le Turini, "université du rallye"

C'était donc ça : le fameux col de Turini, juge de paix du rallye désormais disputé de jour car les spéciales de nuit avaient elles aussi été bannies, avait servi à départager les deux hommes. Un an avant la fameuse affaire de la victoire jouée à pile ou face par Jean Todt sur le Dakar, entre Ari Vatanen et Jacky Ickx chez Peugeot, Cesare Fiorio avait inventé une nouvelle façon de désigner un vainqueur.

"Il est très important de noter qu'après l'abandon de Saby pour la boîte de vitesses, Fiorio a dit ‘stop’ aux équipages. Et Kankkunen n'a pas été très correct. Il a continué d'attaquer. Moi, j'ai écouté la décision de Fiorio", insista quant à lui Biasion, qui signait sa première victoire en mondial.

"Le Turini, c'est l'université du rallye, et Fiorio a décidé que celui qui y ferait le meilleur temps serait celui qui gagnerait le rallye. Je pense avoir fait une descente fantastique, et j'ai gagné."

"No comment"

En conférence de presse, Kankkunen, le visage fermé, se contenta d'un "no comment" en guise de réponse à la question de savoir si cette version donnée par ses collègues italiens était la bonne. Si la réponse était oui, la vraie polémique, plus que de la politique de Fiorio, ne venait-elle pas du fait que, connaissant la règle du jeu, il ait agi de façon aussi visible et pas sur un plus discret pointage en retard, par exemple ? D'un autre côté, était-il obligé de l'accepter, cette règle, de par son statut de pilote professionnel et officiel ?

Tout cela n'allait pas empêcher le moustachu Finlandais de gagner le titre en fin de saison, le tour de Biasion venant les deux années suivantes, ni de rester six ans chez Lancia – avec à la clé une autre couronne en 1991, soit deux sur les quatre qu'il a remportés dans sa carrière.

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