Interview

Troisième constructeur, numérique : quel avenir pour l'IndyCar ?

L'IndyCar a fait les gros titres récemment en annonçant l'organisation d'une nouvelle course urbaine à Nashville en 2021. Sous l'impulsion de Roger Penske, son légendaire propriétaire américain, le championnat et l'Indianapolis Motor Speedway ont les fondations nécessaires pour un avenir brillant. Quel sera ce futur et quelles sont les menaces au-delà de la crise du coronavirus ?

Marcus Ericsson, Chip Ganassi Racing Honda

Photo de: Barry Cantrell / Motorsport Images

#ThinkingForward

Série d'entretiens #ThinkingForward avec les leaders des sports mécaniques

Dans le cadre d'une interview menée pour la série #ThinkingForward, nous donnons la parole à Mark Miles, PDG de l'IndyCar : il évoque l'arrivée d'un troisième constructeur et la manière dont la discipline se prépare à une présence plus forte sur Internet, ainsi que d'autres sujets majeurs.

Mark Miles

Mark, pour commencer, pouvez-vous nous résumer l'attrait de l'IndyCar pour le public ?

Les courses d'IndyCar vont vite. Nous aimons la diversité : nous roulons sur des ovales et des super speedways ainsi que sur des petits ovales, et nous courons également sur des circuits permanents, sur des circuits urbains éphémères. Je crois que cette diversité est vraiment intéressante et qu'elle attire beaucoup nos fans. Il y a une forte concurrence : un pilote peut littéralement partir en fond de grille puis gagner la course, et ça arrive. De nombreux pilotes peuvent participer au championnat et être de sérieux prétendants. Les petites équipes peuvent concourir contre les grandes. Les courses se font roue contre roue, il y a des dépassements, et je crois que ce n'est pas quelque chose que l'on voit partout en course automobile aujourd'hui, donc ce sont d'excellentes qualités pour l'IndyCar. L'autre chose, ce sont nos pilotes. Nous avons un mélange de jeunes pilotes vraiment exceptionnels et de pilotes vétérans bien établis, ils s'affrontent roue contre roue et environ la moitié des pilotes vient d'ailleurs que des États-Unis. Nous avons quelque chose à proposer pour tous ceux qui s'intéressent au sport automobile.

Josef Newgarden, Team Penske Chevrolet, Patricio O'Ward, Arrow McLaren SP Chevrolet

Cette série d'entretiens s'appelle #ThinkingForward. Et quand nous pensons à l'avenir de l'IndyCar, on se dit que ce n'est que le début de l'ère Penske, qui comprend vraiment la scène américaine du sport automobile et est impliqué depuis très longtemps. Quelle est la vision de la discipline pour l'avenir ?

Franchement, pour l'instant, nous sommes encore très concentrés sur l'Amérique du Nord. Nous avons eu des opportunités pour envisager de courir à l'étranger. Pour le moment, la réponse est : "Non, nous nous concentrons sur les États-Unis". Approfondissons et faisons vraiment tout ce que nous pouvons sur le marché américain. Avec tout le respect que j'ai pour la Formule 1, je pense qu'aux États-Unis nous sommes le championnat de monoplace qui domine, et que pouvons-nous y faire de plus ? Cela veut dire qu'à court terme, nous ne cherchons pas à savoir combien de courses nous pouvons avoir. Je crois que l'annonce de Nashville laisse présager de grandes choses pour le championnat l'année prochaine. La diversité est importante pour nous. Nous voulons être accueillants et inviter les gens de tous horizons à nous rejoindre, pas seulement en ce qui concerne nos fans, mais aussi dans notre recrutement et dans la composition des équipes et des pilotes. Il y aura des progrès et des preuves tangibles de cela, l'année prochaine je l'espère. La voiture évoluera. Nous étudierons aussi la possibilité d'avoir au moins un troisième constructeur. C'est un défi. Mais c'est peut-être quelque chose que seul Roger Penske est capable de réussir.

Mark Miles

Tout au long de cette série d'entretiens, nous avons entendu les dirigeants parler de la participation des constructeurs au plus haut niveau du sport automobile à l'avenir. Cette pandémie a été extrêmement difficile pour les constructeurs. Il est très clair que ces derniers doivent s'impliquer dans la compétition, du point de vue du développement technologique et du marketing. Mais voyez-vous cette logique changer d'une manière ou d'une autre, et êtes-vous inquiet du niveau d'investissement des constructeurs à l'avenir en raison de la crise ?

Il est évidemment difficile d'imaginer plus dure période pour avoir cette conversation. Heureusement, nous y travaillons depuis un certain temps. Il y a donc un certain nombre de constructeurs qui connaissent notre histoire et ont pu observer nos progrès. Je suppose que le COVID est en quelque sorte un ralentisseur. Je ne pense pas que la base va changer. Je pense que c'est ce que vous avez dit : c'est une opportunité de développement. Particulièrement sur le marché américain, c'est une opportunité marketing. Finalement, la proposition que fait l'IndyCar est incroyable. Si l'on regarde les coûts, avec comme point de vue le nombre d'yeux que l'on attire par rapport au coût pour être un constructeur avec peut-être deux ou trois équipes, je pense que c'est une formidable proposition par rapport au fait d'être en Formule 1 ou même en NASCAR. Lors de nos conversations, nous avons vu que c'était compris.

Zach Veach, Andretti Autosport Honda

Internet a été très important pour la Formule 1 et sa croissance. Les données montrent que, depuis que Liberty Media a pris la main, 52% des nouveaux fans ont moins de 35 ans. Comment l'IndyCar définit-il sa stratégie pour attirer un public plus jeune ?

Je dois dire que Liberty Media et la Formule 1 ont fait un excellent boulot dans ce domaine. Ils ont investi et ils montrent que ça peut marcher. Je ne sais pas si nous allons inventer un nouveau modèle. Nous allons globalement suivre cette voie. Dans ce pays, nous devons beaucoup aux médias linéaires pour l'essentiel de l'exposition des courses. Dans les années à venir, toute cette architecture changera. Avec de plus en plus d'abonnés qui quittent le câble, le streaming va prendre une plus grande importance. Vous savez, sur notre marché principal, la couverture linéaire apportera les plus grosses audiences – je ne sais pas pour combien de temps –, mais le streaming aura un rôle de plus en plus important. Au niveau international, nous pensons que ce sera vrai sur un certain nombre de marchés clés. Pour une grande partie du monde, le streaming est vraiment notre meilleure opportunité et je pense que vous nous verrez en faire beaucoup à cet égard.

Jay Frye and Mark Miles

Le sport automobile a repris plus tôt aux États-Unis qu'ailleurs dans le monde après le confinement, d'abord avec la NASCAR puis avec l'IndyCar. Quelles sont les perspectives pour le reste de l'année 2020 ? Vous souffrez toujours de chiffres élevés en ce qui concerne le COVID.

Il nous reste trois courses, dont deux à Indianapolis. Pour la double manche du Harvest Grand Prix, début octobre à Indianapolis, il y aura du public mais pas à la hauteur de la capacité d'accueil habituelle. Cependant, ce sera plus que ce que nous avons probablement vu pour du sport dans la ville jusqu'à présent. Puis il y aura la finale à St. Petersburg, en Floride, pour laquelle nous ne savons pas encore dans quelle mesure les fans pourront participer. Psychologiquement, ce sont un processus et un environnement étranges. Pour les concurrents, ça reste de la course et ils sont protégés. Bien sûr, nous préférerions avoir du public. L'une des grandes qualités de l'IndyCar, c'est son accessibilité. Quand nous avons des fans, ils sont là dans la zone des garages, dans le paddock, et nos pilotes sont ravis de signer des autographes et d'être proches d'eux. Ça nous manque vraiment.

Takuma Sato, Rahal Letterman Lanigan Racing Honda leads the field to the green flag

En parlant d'accessibilité, l'eSport a évidemment permis au monde des sports mécaniques de beaucoup s'ouvrir durant cette période. Pas seulement parce que les gens ont pu découvrir une discipline pour la première fois, notamment les jeunes, mais aussi parce que certains ont pu courir contre des pilotes connus. Que pensez-vous de l'eSport pour cette année et pour l'avenir ?

Cela a créé l'opportunité de mettre l'eSport à la mode. Nous avons organisé six épreuves et cinq ont été diffusées à la télévision aux États-Unis, avec de bons chiffres d'audience. Il y a un avenir, c'est certain. Je m'attends à ce qu'il y ait une croissance. Franchement, c'est un investissement que nous aimerions bien faire, mais il faut encore voir où ça se situe dans la hiérarchie de notre croissance. Nous aimerions avoir un titre pour l'IndyCar, un excellent jeu, qui soit passionnant. À partir de là, nous pourrons voir quelle est vraiment l'ampleur de la demande. Mais la première chose à faire, c'est le jeu. C'est un obstacle important en soi. Lorsque nous avons organisé des épreuves, pas seulement pendant le COVID mais également auparavant, les pilotes ont adoré. Ils aiment concourir avec le public. Je pense donc qu'il y a une opportunité, c'est sûr.

Rinus VeeKay, Ed Carpenter Racing Chevrolet

Vous avez annoncé ce nouvel événement à Nashville. Et vous dites que l'une des clés de l'IndyCar, c'est sa variété entre les courses urbaines, sur ovale et sur circuit permanent. Comment trouvez-vous le bon équilibre ?

Nous n'avons pas de quota mais l'équilibre est important pour nous. Il n'est pas précis mais c'est plus ou moins un tiers, un tiers, un tiers. Les ovales ne se trouvent jamais au milieu d'une ville. Indianapolis constitue peut-être l'exception. Les fans d'IndyCar adorent la course sur ovale, c'est ce qu'il y a de plus rapide et de plus captivant. Mais pour attirer du public, aller à 30 ou 60 minutes d'une ville est un défi supplémentaire, car il y a beaucoup de concurrence dans l'univers du sport et du divertissement. Nous devons travailler là-dessus. J'aime les courses urbaines car pour moi, quand on fait ça au cœur de la ville comme à Nashville, à St. Petersburg, à Long Beach, à Détroit ou à Toronto, ça prend le dessus sur toute la ville et on captive toute la communauté. C'est immanquable. C'est la nature de la course urbaine, mais c'est difficile à organiser, il faut trouver la bonne combinaison d'éléments entre ceux qui accepteront une certaine perturbation et ceux qui accepteront vraiment tout. Mais nous aimons ça. Les courses sur circuit routier sont plus faciles, il y a déjà un investissement de fait et nous connaissons les circuits. Il s'agit vraiment d'avoir un équilibre avec les deux autres formats.

Santino Ferrucci, Dale Coyne Racing with Vasser Sullivan Honda, Scott Dixon, Chip Ganassi Racing Honda, start, crash

On a également vu cette année qu'il était bon qu'un sport puisse avoir un but précis, qu'être un divertissement ne suffisait pas vraiment. Évidemment, de la Formule 1 à la NFL, nous avons vu de nombreux messages pour la justice sociale, ainsi que des sujets comme l'écologie et la diversité. Que pensez-vous de cela, et du fait que le sport soit une plateforme pour de grandes causes ?

Tout d'abord, je pense qu'il faut faire des choses qui vont au-delà du symbole, qui sont plus que des déclarations. Nous sommes donc investis pour amener de la diversité dans notre sport. Nous avons beaucoup de travail à faire pour être là où nous devrions dans ce domaine. Il s'agit de travailler avec les équipes et avec nos promoteurs pour que nous puissions agir sur notre propre écosystème. Puis il s'agira de faire venir des membres d'équipe et des pilotes. Nos formules de promotion seront importantes pour ça. Pour l'instant, notre filière ne semble pas très bonne sur ce point, mais nous agissons pour voir quelles sont les possibilités de faire la différence aussi vite que possible. Nous nous sentons responsables. Le sport, en tant que plateforme visible, a une grande opportunité pour que ces questions soient maintenues aux yeux du public. Mais en plus de ça, nous devons mettre de l'ordre dans notre maison et être un modèle, plus qu'un symbole. J'espère qu'au fil du temps, nous pourrons faire de réels progrès, et de manière constante.

Scott Dixon, Chip Ganassi Racing Honda, Scott Dixon, Chip Ganassi Racing Honda

Pour terminer, pensez-vous que cet air pur dont chacun a profité durant le confinement, et la manière dont chacun a pris conscience de sa propre vulnérabilité, vont rendre le sujet du développement durable, de la décarbonisation et de l'électrique plus important désormais ?

L'air n'est pas si pur ici, dans les trois quarts de la Californie. Nous subissons l'air des feux de forêt. Et ça va vraiment d'une côte à l'autre désormais. C'est donc une priorité, non seulement en tant que catastrophe naturelle, mais comme preuve du réchauffement climatique, comme avec tous ces ouragans dans le sud du pays. Je pense que tout cela accroît l'urgence pour faire tout ce que nous pouvons contre le réchauffement climatique et pour l'environnement. Ceci étant dit, notre devise actuelle est en quelque sorte : "Plus vite et plus fort". C'est un peu ce qu'est notre marque désormais. Nous n'ignorons pas les questions de développement durable. Il y a de nombreuses façons de s'y atteler hors de la piste avec nos promoteurs, dans la manière dont nous organisons nos épreuves. D'autres championnats ont fait un excellent travail. Côté piste, on voit des discussions au sujet des moteurs hybrides. Ce n'est pas pour remplacer le moteur de base, mais plutôt pour y apporter un complément. Je pense que ce sont des échanges en cours et que nous verrons des implémentations dans les années à venir. Nous verrons où cela nous mène. Mais je dois dire que dans l'immédiat, nos constructeurs que sont General Motors/Chevrolet et Honda veulent de la puissance. Ils pensent que nous constituons une excellente plateforme pour ce type de marché. Et nous continuerons à répondre à cette attente.

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