Analyse

La décision de 2007 à l'origine de l'empire Mercedes

En 2009 encore, il semblait impensable que Mercedes puisse dominer quelques années plus tard le monde de la F1 : le constructeur automobile allemand ne disposait même pas encore d'une équipe d'usine dans la discipline. Mais une décision prise deux ans auparavant, et qui a porté ses premiers fruits lors du Grand Prix de Hongrie 2009, a représenté le riche semis d'une récolte qui se poursuit encore aujourd'hui et fait le succès de la marque à l'étoile.

Lewis Hamilton, McLaren MP4-24

Photo de: Rainer W. Schlegelmilch

On se souvient des accoutrements vintage et des festivités organisées par Mercedes dans le paddock du Grand Prix d'Allemagne 2019. Pour simplifier le message vers l'extérieur, la marque célébrait 125 ans de présence à divers échelons de la compétition automobile ainsi que son propre rôle dans l'Histoire de celle-ci. Mais au-delà de ça, Mercedes commémorait aussi un anniversaire symbolique et significatif pour l'équipe : celui des 10 ans du Grand Prix de Hongrie 2009.

Un souvenir particulier pour Mercedes, qui vivait alors une saison décevante, mais s'était imposé sur le Hungaroring en tant que motoriste avec McLaren et Lewis Hamilton. Cette course avait jeté les bases de la fondation de tout ce qui allait suivra entre le champion britannique et l'équipe d'usine Mercedes depuis 2014.

La victoire de Hamilton au terme du Grand Prix de Hongrie 2009 fut la première de Mercedes dans l'ère hybride de la F1. En réalité, il s'agissait même de la première victoire hybride en F1, tout court. Le système KERS de Mercedes avait joué un immense rôle dans la victoire de McLaren ce jour-là, comme l'avait reconnu Hamilton, qui avait pu réaliser un dépassement crucial sur Mark Webber en déployant sa pleine capacité de puissance accumulée dans la brève ligne droite de départ/arrivée.

Le système de récupération d'énergie cinétique introduit cette année-là par Mercedes offrait aux pilotes un boost de 60 kW (environ 80 ch). Seules quatre équipes disposaient d'un tel système et deux d'entre elles (BMW et Renault) l'avaient abandonné avant la fin de la saison. Il s'agissait d'une innovation techniquement exigeante, qui collectait de l'énergie pouvant ensuite être déployée en tant que puissance électrique pour la première fois.

Le challenge à relever pour les ingénieurs était tel que Mercedes avait décidé de se lancer dans l'inconnue de sa conception et son développement dès 2007. La firme allemande avait vu cette zone de performance comme un élément vital pour pouvoir réaliser le pas de géant vers ce qui attendait la F1 encore plus tard : une technologie hybride encore plus intégrée au moteur, rebaptisé unité de puissance, comme le décrivait la réglementation technique 2014.

La compréhension de l'aspect crucial de ces règles par Mercedes a donné le ton et mené la marque vers l'ère de domination dans laquelle elle se trouve encore à ce jour. Bien entendu, de gros progrès ont aussi été réalisés du côté du châssis durant cette période : Mercedes est aussi devenu une référence dans le domaine du développement et de la gestion des changements de règles aéro. Mais sa besogne sur le moteur hybride fut la clé bien plus tôt que cela.

Un héritage qui servira pour le reste de l'Histoire de Mercedes

Cette expérience a également été mise en pratique en Formule E, où le constructeur s'est engagé en tant que team d'usine à partir de la saison 2019-2020. La structure dominante de la F1 moderne a préparé son arrivée dans la discipline de manière très sérieuse, avec le développement interne de son tout premier groupe propulseur 100% électrique.

Est-ce un raccourci que de penser que le fait que Mercedes ait conquis la F1 et son système hybride ultra-compliqué, et ainsi atteint un niveau d'efficacité d'une rare performance avec sa technologie MGU-K, lui assurait une adaptation douce et simple en Formule E ? Peut-on en quelques sortes associer les succès présents et futurs de Mercedes-Benz en Formule E à ce premier succès de son KERS, il y a 10 ans, en Hongrie, et suggérer qu'il pose aussi les jalons de l'Histoire de Mercedes dans son aventure 100% électrique ?

"La Formule 1 dispose d'un système de propulsion à haut voltage depuis 2009", expliquait Andy Cowell, ancien responsable du département Mercedes High Performance Powertrains, à Motorsport.com, au moment où l'arrivée en FE était imminente. "Il déployait 60kW à ses débuts, puis 120kW au moment du pas en avant réalisé en 2014. Bien entendu, cela rend la transition en Formule E plus simple, car ils y utilisaient initialement un moteur électrique McLaren de 120kW."

"Cela aide pour réaliser cette transition de disposer d'un système électrique plus puissant provenant de la F1", poursuit-il. "Mais ce n'est pas crucial : faire monter un système de haute performance à 60kW (comme le KERS) ou un système de haute performance de 120kW jusqu'à 250kW est un processus relativement similaire. Tout remonte au moment où Mercedes a décidé de produire son propre système KERS, lorsque les règles sont sorties en 2007. Il s'est agi du moment où une sérieuse propulsion électrique s'est mise en action dans l'arsenal de Mercedes en sports mécaniques."

Mercedes a pris part de manière très proactive dans les discussions liées à la mise en œuvre des règles autour de l'unité de puissance introduites en 2014. Pour un constructeur majeur impliqué en F1 avec son équipe d'usine et qui fournit plusieurs autres équipes clientes, ne pas le faire de manière très poussée aurait relevé de la faute professionnelle. Le pic d'activité au sein des quartiers généraux de Mercedes à Brixworth a été palpable dès le début de la phase de Recherche et Développement, et le site, qui regorge aujourd'hui d'employés dédiés au projet, demeure une ruche des plus organisées, qui anticipe les choses bien au-delà de la simple défense des 14 couronnes mondiales acquises en F1 entre 2014 et 2020.

Cowell estimait que le groupe dédié à la Formule E à Brixworth était composé "à 80%" d'ingénieurs F1. Mais Mercedes a aussi développé et alloué une importante part de ressources à une hypercar à puissance semi-électrique, semi-combustion. Project One est loin d'être une simple étude de style au design agressif. L'ingénieur anglais décrivait le site comme "l'ascension de trois montagnes différentes (F1, Formule E et projets routiers), avec chacune des trois équipes faisant partie d'une excursion individuelle excitante pour se rejoindre collectivement au sommet."

"Décision fut prise de placer tout cet investissement sur le site de Brixworth", indiquait-il. "Sur les moteurs, les onduleurs, l'électronique et les logiciels pour la partie contrôle, mais aussi avec la création de magnets dignes d'œuvres d'art, l'étude de la dynamique du rotor et tout un tas de courants technologiques permettant de rendre un système propulseur électrique plus efficient, intelligent et utile."

Des éléments passés de la taille d'une brique à celle d'un dictaphone

L'infrastructure en elle-même est particulièrement imposante, particulièrement du fait que Mercedes a progressivement ajouté de plus en plus de tentacules à son "arsenal sports mécaniques". Ce qu'a provoqué cette décision de s'engager dans ce secteur, il y a quasiment 14 ans, n'a pas uniquement offert à Mercedes une plateforme de base stable et durable pour produire un KERS et l'affiner par la suite en un système ERS F1. Il peut également faciliter et accélérer le processus de "downsizing de certains des composants électroniques de quelque chose avoisinant la taille d'une brique de construction à celle de votre dictaphone", clamait alors Cowell avec fierté.

Tous mis bout à bout, ces systèmes toujours plus compacts, efficaces et exploitables sont devenus, lorsqu'ils fonctionnent à l'unisson avec une compréhension totale de leur concepteur, une arme redoutable pour de multiples usages sportifs et routiers. "La stratégie de déploiement d'énergie que nous avions en 2014 était bien meilleure que celle de n'importe qui dans la pitlane", s'autorisait à affirmer Cowell.

"Nous l'avons faite évoluer et elle est directement applicable à la Formule E. Les systèmes périphériques ont grandement été réduits. Il y a des exemples très tangibles, comme celui de la mise côte-à-côte de la brique et du dictaphone, mais aussi d'autres, plus inintelligibles comme la créativité générée ou la philosophie dans la gestion de la puissance et son déploiement, qui impose de s'assurer qu'il soit toujours optimisé sur une course de Formule 1. C'est exactement ce dont il s'agit aussi en Formule E."

Sous la direction de Toto Wolff, PDG et directeur de l'équipe, Mercedes a adopté une approche n'offrant aucun répit. L'équivalent dans la vie, en quelques sortes, de hashtags vus sur les réseaux sociaux tels que #betterneverstops ("on ne s'arrête jamais de progresser"). Cela peut parfois prêter à sourire. Mais Wolff assure que le mot d'ordre interne de l'équipe est de s'assurer que tout le monde ait son projet à cœur et ne voie pas sa tâche comme une sorte de notion intangible. Cowell, qui a depuis quitté l'écurie pour se lancer dans autre chose et terminé sa longue collaboration en 2020, partageait alors ce point de vue et constatait que "l'état d'esprit de l'équipe et des gens est au cœur du processus d'ingénierie."

"Il vous faut un groupe de personnes, une forme de société, dont l'attitude consiste à faire en sorte que chaque chose qu'elle vient d'introduire en course soit déjà considéré comme dépassé et qu'il est possible de réaliser quelque chose de meilleur. On ne se dit jamais : 'c'est parfait', ou 'c'est optimal'. On dit : 'c'est comme ça aujourd'hui et cela sera meilleur de manière significative demain'. Il faut vous assurer que l'introduction ne soit pas non plus retardée, et c'est là que les sports mécaniques dont un merveilleux terrain pour le développement technologique à vitesse accélérée."

La pertinence pour les autres activités du groupe

Cet argument est souvent cité par les constructeurs comme une raison derrière leur engagement dans une discipline disposant de nouvelles technologies : il s'agit par exemple clairement du message adressé par l'essentiel des communicants des groupes impliqués en Formule E, en dépit du fait que la discipline propose un format aéro monotype.

Mercedes se distingue tout particulièrement dans son engagement en Formule E, en ce sens qu'il complète celui déjà réalisé en F1. Une combinaison qui "marche superbement" avec la stratégie élargie de la société allemande, toujours selon Cowell. Car une nouvelle fois, l'engagement dans la discipline 100% électrique n'avait rien à voir avec une simple réaction à une certaine obligation d'image à se lancer dans la discipline et vouloir suivre une tendance inévitable. Les racines du projet sont bien plus profondément ancrées dans l'ADN contemporain de Mercedes-Benz.

"En 2009, Mercedes a décidé qu'une équipe de Formule 1 était la bonne plateforme pour son engagement en sports mécaniques, et nous étions de grands supporters des réglementations 2014 qui commençaient à être créées en 2011", se souvenait Cowell. "C'est à ce moment-là que la FIA a dit : 'nous voulons faire de la F1 une formule réalisant de la conversion d'énergie car nous pensons que c'est la direction que prend le monde : qu'il s'agisse d'efficacité de moteur à combustion interne ou de conversion d'efficacité de la propulsion électrique, nous désirons des règles avec lesquelles vous pouvez développer et mettre en lumière les deux'."

"Je pense que tout ceci est très pertinent pour la route, aujourd'hui", poursuivait l'ingénieur. "La technologie est exactement ce qu'il faut en termes de pertinence routière." C'est bien entendu ce que recherche un constructeur d'automobiles comme Mercedes. La marque a désormais transformé un concept – sa première technologie hybride du KERS – en une réalité utilisée comme une fondation pour l'ingénierie ayant remporté tout ce qu'il y avait à remporter en F1 mais aussi permettant de préparer les nouvelles étapes du futur du monde de la compétition automobile, ainsi que de la technologie des voitures de Monsieur tout le monde.

Peut-être, donc, que ces quelques déguisements allemands vus à Hockenheim en 2019 avaient un simple côté folklorique pour beaucoup. Mais au cœur de l'équipe, ils célébraient bien plus qu'un simple besoin de créer un évènement médiatique ou un nouveau hashtag.

Avec Scott Mitchell

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