Opinion

Le show Alonso a-t-il vraiment montré les défauts des F1 actuelles ?

L’engouement suscité par la démonstration de Fernando Alonso dans la Renault R25 au Grand Prix d'Abu Dhabi m'a rappelé une conversation avec un collègue, il y a plusieurs années.

Fernando Alonso conduit sa Renault R25 championne du monde 2005

Photo de: Andy Hone / Motorsport Images

Le "c'était mieux avant" semble être une rengaine perpétuelle en F1. Le collègue avec lequel je discutais il y a quelques idées avait une théorie selon laquelle le présent est perpétuellement la plus mauvaise période que le championnat ait connu. Quelle que soit l'ère en cours, elle n'égalera jamais le glorieux passé de la Formule 1 et n'atteindra pas non plus ce qui lui est promis dans un avenir radieux.

Cette idée se vérifie à l'époque actuelle. Les monoplaces exceptionnelles de la saison 2020 – qui n'ont jamais généré autant d'appui, n'ont jamais été aussi rapides et n'ont jamais eu des moteurs aussi puissants dans l'histoire du championnat – ne font pas l'unanimité.

Ces voitures sont incroyables à piloter (si vous êtes l'un des 20 êtres humains capables de le faire) et quand elles sont observées depuis le bord de la piste, les virages rapides permettent de voir à quel point elles sont phénoménales. Pourtant, les monoplaces 2020 suscitent des plaintes régulièrement entendues depuis le début de l'ère turbo hybride.

Elles ne font pas suffisamment de bruit et sont trop lourdes. Elles ne peuvent pas se suivre assez facilement pour permettre des dépassements et les pilotes ne peuvent pas attaquer sans retenue à cause de la surchauffe des pneus et de l'économie de carburant.

C'est donc sans surprise que les quelques tours de Fernando Alonso dans la Renault R25, à quelques secondes des monoplaces actuelles, ont fait sensation. Cette plongée dans le passé a fait coup double, entre le son du V10 hurlant et une voiture visuellement impressionnante. L'agilité et la vivacité de la Renault sautaient aux yeux quand Alonso attaquait les vibreurs, donnant tout son possible. Comme l'a dit l'Espagnol, un seul rythme lui était familier au volant de cette voiture : à fond.

Fernando Alonso, Renault F1 Team with the 2005 Renault R25

Le choix d'une GoPro en guise de caméra embarquée a également offert un nouveau regard, grâce à son angle de vue différent de ce à quoi nos yeux sont habitués et qui génère une impression de vitesse – un effet renforcé par des images moins stables que celles des caméras habituellement présentes sur les F1.

Quand Alonso a regagné son garage sous les applaudissements à l'issue de ses relais, samedi soir, Esteban Ocon, son futur équipier, a souhaité jeter un œil à la monoplace. Le Français s'est même installé à son bord pour une brève exploration. Peu après, j'ai demandé à Ocon s'il avait été épaté par cette démonstration et si elle était le signe d'une mauvaise route prise par la F1 depuis 2005. Ce roulage a relancé le débat sur ce qui pourrait faire défaut au championnat tel qu'il est aujourd'hui avec ses voitures plus calmes, plus lourdes et plus pataudes.

"J'ai le sourire aux lèvres", a répondu Ocon. "C'est clairement l'impression de tout le monde. Je voulais vraiment vivre ça. Quelle monoplace. Quel son. En fait, ça me replonge dans mon enfance. Comme je l'ai toujours dit, c'est cette génération de voitures qui a suscité mon amour pour le championnat et m'a motivé à être le pilote que je suis aujourd'hui. Oui, ce bruit manque clairement. Je pense que quand les gens pensent à la Formule 1, ils pensent à... ce [son]."

"Les voitures que nous avons maintenant sont meilleures à piloter, elles ont plus de puissance, elles ont plus de couple. Ce sont tout simplement les meilleures voitures de tous les temps, mais si elles faisaient ce bruit, elles seraient probablement meilleures."

"Mais il faut vivre avec son temps. C'est comme ça. Le monde change, et je pense que c'est la même chose dans l'industrie automobile. Les voitures de série font de moins en moins de bruit, donc ça enlève une part d'émotion. Mais elles sont rapides, plus efficaces et plus fiables. C'est aussi simple que ça."

Fernando Alonso, Renault F1 Team with the 2005 Renault R25 and Esteban Ocon, Renault F1 Team

Le monde a en effet beaucoup changé depuis 2005 et même l'idée d'un retour aux bruyants V8 et V10 est entourée d'un certain romantisme, revenir en arrière n'est pas réaliste. La F1 a choisi l'hybride pour quantité de bonnes raisons et il ne faut pas oublier que même si les acteurs du championnat sont de plus en plus enclins à reconnaître que le concept des moteurs actuels était le bon, certains détails peuvent encore être améliorés.

Trop d'importance a été accordée à la technique et la F1 s'est retrouvée avec des unités de puissance bien trop complexes et excessivement coûteuses, qui n'ont pas été présentées au public comme il l'aurait fallu.

L'aspect sonore a lui aussi été trop sous-estimé. Même si le bruit de voitures actuelles n'a rien d'abominable, quelques décibels de plus ne feraient pas de mal. Et alors que la F1 ouvre le débat autour des nouvelles unités de puissance, prévues pour 2025 ou 2026, il est nécessaire de réfléchir à l'idée d'augmenter le régime des moteurs, pour donner l'impression que les voitures et les pilotes vont chercher plus loin.

Actuellement, les changements de rapports se font à 11'000 ou 12'000 tours/minute car c'est là que le couple maximal est délivré, donnant l'impression que les pilotes roulent à l'économie et ne sont pas à la limite. Les émotions qu'une F1 peut procurer à travers le son et l'image ne doivent pas être négligées et cet aspect doit toujours être pris en compte au moment de définir les objectifs à atteindre avec un châssis et une unité de puissance.

Le retour des étincelles en 2015, à travers l'utilisation de patins en titane, était une décision avisée. Elles ont nettement amélioré l'aspect visuel des monoplaces. Et même si les puristes estiment qu'il s'agit d'étincelles "factices" puisque ces patins sont imposés aux équipes, alors qu'ils étaient une nécessité dans les années 1980, pourquoi s'en soucier si cela rend les voitures spectaculaires ?

Pierre Gasly, AlphaTauri AT01, kicks up some sparks

Dave Robson, directeur de la performance du véhicule chez Williams, ne voulait pas manquer le roulage de la R25 le week-end dernier, le garage utilisé par Renault étant situé juste à côté de celui de l'écurie de Grove. Et même s'il s'inscrit dans la lignée des membres du paddock impressionnés par la voiture, reconnaissant que la démonstration lui a remémoré le bruit qui fait défaut actuellement, il a également conscience que la perception des gens évolue avec le temps qui passe.

"Je pense qu'en 2005, on se demandait probablement s'il ne manquait pas un élément que nous avions 10 ou 15 ans auparavant", a-t-il estimé. "Ce sont probablement des souvenirs, plus qu'autre chose. Mais le bruit est une évidence. Personnellement, ça me manque. Même si le travail est beaucoup plus simple avec le volume sonore des voitures actuelles. Je pense que le V10 et le régime à 18, 19 ou 20'000 tours/minute apportaient un élément explosif. Donc cet aspect me manque."

Et dans une certaine mesure, il est difficile de lui donner tort. Le spectacle n'a pas toujours été au rendez-vous en 2005, la faute à changements de pneus interdits et à des pneus rainurés qui n'ont jamais convaincu le public. Cette saison a également été marquée par des critiques sur des niveaux d'appui trop forts qui empêchaient les voitures de se suivre. Du côté des moteurs, le championnat a abandonné les V10 à l'issue de cette année 2005, parce qu'il voulait des V8 moins puissants...

Que la démonstration d'Alonso ne soit qu'une bouffée de nostalgie ou la preuve de mauvaises décisions dans les règlements, il est évident qu'elle rouvre le débat sur la direction que la F1 doit prendre. Elle ne doit pas ignorer les commentaires suscités par le roulage d'Alonso, et ce rare intérêt auprès des supporters et des membres des équipes.

À Abu Dhabi, il a été demandé à Toto Wolff s'il regrettait cette démonstration pouvant nourrir les arguments des personnes les plus critiques envers le niveau actuel du championnat. "Je pense que personne en Formule 1 ne regrette le roulage de cette voiture, parce qu'après l'avoir vue, nous devons comprendre pourquoi elle est si intéressante", a répondu le patron de Mercedes. "Est-ce que c'est dû au bruit et à une impression visuelle ? Je vois les images sans le son et ça me paraît toujours bien, pour quelle raison ? Il faut se pencher sur ça. Nous sommes les acteurs de ce championnat et nous devons faire mieux dans tous les domaines."

Il sera peut-être encore plus intéressant de voir un Lewis Hamilton âgé de 50 ans faire une démonstration avec la W11 de cette année au cours d'un Grand Prix de la saison 2035. Quelle sera la réaction ? Confirmera-t-elle des erreurs commises par la F1 durant l'ère que nous traversons ? Ou fera-t-elle naître un "effet wahou" rappelant qu'il s'agissait de la voiture la plus puissante, la plus rapide et la plus spectaculaire jamais vue jusque-là ?

Si mon collègue a raison, ce sera la seconde option.

Fernando Alonso, Renault R25

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