Analyse

Pourquoi la suspicion autour du moteur Ferrari a été ravivée

En publiant un communiqué laconique évoquant un accord aux détails "confidentiels" avec Ferrari sur la question du moteur 2019 un vendredi soir, quelques minutes avant la fin d'essais hivernaux qui étaient au centre de l'attention, la FIA pensait sans doute pouvoir atténuer l'impact médiatique d'une telle annonce...

Ferrari SF90

Photo de: Giorgio Piola

Mais les choses n'ont pas vraiment pris ce chemin. Au contraire, l'information et ses implications ont largement été relayées. Les suspicions qui étaient plus ou moins éteintes (au moins calmées), la trêve hivernale et la montée en puissance avant la saison 2020 passant par là, ont été réalimentées. Certes, F1 TV avait cessé sa diffusion des essais, certes les directeurs d'équipes avaient déjà quitté le paddock de Barcelone, certes l'attention des fans et des observateurs se focalisait sur la dernière feuille des temps et le bilan des six journées de roulage, mais ce que ne disait pas le texte publié par la FIA a rapidement sauté aux yeux.

Voici le communiqué, tel qu'officiellement publié en français : "La FIA annonce qu'après des enquêtes techniques approfondies, elle a conclu son analyse du fonctionnement de l'unité motrice de la Scuderia Ferrari de Formule 1 et est parvenue à un accord avec l'équipe. Les détails de l'accord resteront confidentiels."

Lire aussi :

"La FIA et la Scuderia Ferrari ont pris un certain nombre d'engagements techniques qui amélioreront la surveillance de tous les moteurs de Formule 1 pour les prochaines saisons du championnat et aideront la FIA dans ses autres tâches réglementaires en Formule 1, ainsi que dans ses activités de recherche sur les émissions de carbone et les carburants durables."

Alors que la question de la conformité à la réglementation technique est la seule à laquelle tout le monde cherchait une réponse l'an passé concernant le moteur de la Scuderia, ce communiqué n'en dit absolument rien. Autant dire qu'en pareilles circonstances, cela ne fait qu'ajouter du poids à la suspicion et donne une impression de trouble.

Premiers soupçons et données GPS

Charles Leclerc, Ferrari SF90

Retour quasiment un an en arrière. Lors du Grand Prix de Bahreïn 2019, les rivaux de Ferrari constatent une nette hausse de la vitesse en ligne droite des SF90, deux semaines après un GP d'Australie à la limite du désastre où la Scuderia, pourtant favorite après les tests de Barcelone, avait été dominée aussi bien en virage qu'en ligne droite. Les yeux sont restés rivés sur cet étonnant niveau de performance à mesure de l'avancée de la campagne.

En dépit des déclarations de Ferrari sur le choix d'une philosophie aéro réduisant la traînée et améliorant naturellement la vitesse de pointe, l'étude des données GPS récoltées de part et d'autre du paddock ne laisse pas vraiment de doute sur le fait que cette vitesse vient bien de la puissance moteur et pas de l'aérodynamique. À Monza, le gain dans les lignes droites est estimé à une seconde au tour, le genre de performance qui est difficile à comprendre et à expliquer pour les autres écuries sur un tracé où l'appui est réduit à peau de chagrin. Aussi, en course, malgré le DRS et l'aspiration pendant une grande partie de l'épreuve, Hamilton ne sera capable de véritablement tenter sa chance face à Leclerc qu'à une seule reprise, sans succès.

Lire aussi :

Chez les autres constructeurs, alors que la fin de saison se profile et que le niveau de performance en ligne droite des Rouges continue d'impressionner, deux théories émergent :

  • la première est qu'une fuite d'huile contrôlée par le biais du système de refroidissement permet d'en ajouter au processus de combustion, de sorte à pouvoir offrir un boost temporaire de puissance ;
  • la seconde est que Ferrari parvient à brièvement passer outre la limite de débit de carburant de 100 kg/h entre les points où la FIA prend des mesures. Le carburant supplémentaire servirait alors à procurer plus de puissance.

Directive FIA et avantage disparu

Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W10, devant Charles Leclerc, Ferrari SF90, Lando Norris, McLaren MCL34, Sebastian Vettel, Ferrari SF90 et Daniel Ricciardo, Renault F1 Team R.S.19

En dépit des suspicions, les contrôles de la FIA ne révèlent rien. La voiture passe les vérifications techniques sans problème à chaque Grand Prix. Avant le Mexique, Red Bull écrit à la FIA pour obtenir une clarification : est-il possible d'utiliser un système qui permet de contourner le capteur de mesure du débit de carburant ? Évidemment, cette requête n'est pas innocente. 

Et, bien sûr, l'instance répond par la négative. Il est clair qu'augmenter le débit de carburant entre les points de mesure n'est pas une interprétation acceptable et que cela contreviendrait aux règles. La FIA publie alors une directive technique dans laquelle le responsable monoplaces de la fédération, Nikolas Tombazis, rappelle que deux règles rendent de tels contournements illégaux : 

Article 5.10.3 : "Toutes les voitures doivent être équipées d'un débitmètre unique, entièrement situé dans le réservoir de carburant, qui a été fourni par la FIA avec une spécification qu'elle a déterminée. Ce capteur ne peut être utilisé que de la manière spécifiée par la FIA. Par ailleurs, tout le carburant apporté à l'unité de puissance doit passer par ce capteur homologué, et doit alimenter la chambre à combustion par les injecteurs décrits à l'Article 5.10.2."

Article 5.10.5 : "Tout système ou procédure dont le but et/ou l'effet est d'augmenter le débit ou de stocker et recycler du carburant après le point de mesure est interdit."

Lire aussi :

À Austin, première course suivant cette directive, l'avantage si clair en vitesse de pointe de Ferrari s'évanouit. Une situation qui n'est pas passée inaperçue du côté de la concurrence, provoquant notamment la désormais célèbre sortie de Max Verstappen : "C'est ce qui arrive quand vous arrêtez de tricher", au micro de Ziggo Sport.

Une remarque qui n'a pas vraiment plu à Ferrari, l'écurie étant toutefois bien à la peine pour convaincre sur les raisons de sa soudaine perte de vitesse, tentant de justifier cela par un mélange entre ancienne spécification moteur et expérimentation aérodynamique pour améliorer le passage en virage. Une réclamation officielle est même envisagée pour avoir la réponse définitive sur la question, mais celle-ci ne se matérialisera finalement pas.

Communiqué de la FIA et nouvelles suspicions

Les échappements de la Ferrari SF90

Après la publication d'une nouvelle directive technique obligeant les écuries à être équipées de deux débitmètres pour le carburant à partir de 2020, les discussions sur l'unité de puissance Ferrari ont progressivement disparu, en dépit d'une différence encore inexpliquée entre le carburant indiqué et le carburant réellement présent dans la monoplace de Charles Leclerc à Abu Dhabi. Les écuries rivales semblaient satisfaites des mesures annoncées pour 2020.

Cependant, en coulisses, la FIA a débuté une enquête formelle sur l'unité de puissance Ferrari pour comprendre réellement de quoi il retournait. Une investigation qui a débouché sur le communiqué de ce vendredi, prenant par surprise les autres équipes à la fois sur le moment de sa parution et sur son contenu.

De ce qu'il ressort de ces deux paragraphes, la FIA et Ferrari semblent avoir en quelque sorte transigé : en échange d'une aide de Ferrari pour mieux comprendre comment faire respecter ses propres règles et d'engagements dans d'autres domaines, la fédération tirerait un trait sur l'affaire du moteur et mettrait fin à toute procédure. Toutefois, le fait que les détails de l'accord soient "confidentiels" veut dire que nous ne saurons peut-être jamais réellement ce qui s'est vraiment passé.

Lire aussi :

Peut-être ce communiqué vise-t-il à sortir d'une impasse. D'un côté la FIA pourrait ne pas avoir totalement réussi à prouver une infraction de Ferrari à la réglementation. De l'autre, Ferrari pourrait ne pas avoir totalement réussi à convaincre la FIA que les règles n'ont jamais été enfreintes.

Et dans ce dernier scénario, deux options seraient envisageables. Soit une procédure formelle devant un tribunal afin d'obtenir une décision définitive, avec le risque d'une affaire traînant en longueur et de possibles conséquences pour l'image de la discipline. Soit, à l'inverse et comme cela peut être impliqué par le communiqué de la FIA, un accord pour mettre fin à la controverse à ce stade, ainsi qu'à toute procédure, et repartir sur de nouvelles bases pour l'avenir, empêchant les écuries de contrevenir à la réglementation.

Quoi qu'il en soit, la gestion de l'affaire dans son ensemble et la communication laconique autour de l'accord entre la FIA et Ferrari, avec l'apparente volonté de donner le moins de visibilité possible à cette annonce, n'ont fait que raviver la suspicion et finir de convaincre ceux qui inclinaient à le penser qu'il y avait bien anguille sous roche. À deux semaines de la reprise de la discipline reine à Melbourne, il y a fort à parier que l'un des sujets de discussion sera ce qu'il s'est passé ou pas en 2019, et non la saison à venir.

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Schumacher jouant un jeu psychologique face à Rosberg ? Fry en doute
Article suivant Pourquoi le défi de Kvyat en F1 n'est pas encore réussi

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France