Analyse

Honda a-t-il fait le recrutement qui va lui permettre de renaître ?

Fin connaisseur de tous les domaines techniques d'une MotoGP, doté de qualités humaines qui lui permettent de traduire les besoins des pilotes et de coordonner à la perfection une équipe basée en Europe et des ingénieurs japonais, Ken Kawauchi pourrait bien être l'atout qui permettra à Honda de sortir de la crise.

Ken Kawauchi, directeur technique Team Suzuki MotoGP

Photo de: Suzuki MotoGP

Les deux pilotes qui portaient les couleurs de Suzuki jusqu'à l'an dernier vont tous deux se retrouver cette année dans le groupe Honda, Joan Mir dans le team Repsol et Álex Rins chez LCR. Après ces transferts bouclés l'été dernier, un autre recrutement est venu créer la surprise cet hiver, celui de Ken Kawauchi, qui fut le directeur technique emblématique de Suzuki.

Le Japonais a pris ses fonctions en début d'année et s'est plongé dans le grand bain cette semaine, avec un premier test privé de deux jours mené par Honda à Jerez. Cette séance marquait par ailleurs les débuts de Ramón Aurin comme nouveau responsable du test team, structure dans laquelle, d'après les dernières informations de Motorsport.com, prend place un autre ancien de Suzuki, le technicien Toshifumi Fukae.

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Seule marque à ne pas avoir remporté de victoire en 2022, classée dernière du championnat constructeurs, Honda n'a cessé de dégringoler depuis trois ans, perdue sans la présence à temps plein et en bonne forme de Marc Márquez. De toute évidence, le champion espagnol reste le plus en capacité à mener la RC213V aux avant-postes, lui qui est le seul à avoir gagné à son guidon au cours des trois dernières saisons et qui, ces deux dernières années, s'est classé plus haut que ses collègues, à la 13e place de la hiérarchie générale l'an dernier malgré huit courses d'absence et septième il y a deux ans après quatre forfaits.

C'est Márquez aussi qui a mis les mots sur les changements nécessaires, appelant l'été dernier à une meilleure organisation afin de donner le bon élan au développement technique. Et une profonde restructuration s'est en effet mise en place, non seulement avec l'arrivée de deux nouveaux pilotes mais aussi avec le départ de Takeo Yokoyama, ancien directeur technique. De retour à l'usine de Tokyo, il est désormais chargé de superviser le personnel technique de Honda au Japon et de former de jeunes ingénieurs afin de les préparer à rejoindre à leur tour le paddock le moment venu.

L'identité de son remplaçant a été dévoilée il y a quelques jours. "Le HRC a recruté Ken Kawauchi comme directeur technique", a indiqué Alberto Puig dans une interview pour Motorsport.com, décrivant "une série de circonstances" ayant mené à cette embauche, et ajoutant : "Nous ne prétendons pas qu'il résolve tous les problèmes de la moto. [...] Le fait que Suzuki ait décidé de quitter le Championnat du monde a probablement influencé la décision de Ken de signer chez Honda. D'après ce que j'ai compris, il est passionné par les courses. Si Suzuki avait continué à courir, il n'aurait certainement pas changé d'air."

Si Alberto Puig reste prudent quant aux attentes que fait naître l'arrivée de Ken Kawauchi, Álex Rins, lui, ne cache pas son enthousiasme. "Je suis très heureux que Kawauchi ait signé avec Honda", explique le pilote catalan, qui n'a connu que Suzuki dans la catégorie MotoGP, qu'il a rejointe en 2017. "Ken était un acteur clé dans le projet Suzuki. Il a aidé à créer la moto et à la faire évoluer jusqu'à ce que l'on devienne Champions du monde [avec Joan Mir en 2020, ndlr] et que l'on gagne la dernière course [celle de Valence, remportée par Rins en novembre]. Je suis ravi de l'avoir à nouveau à mes côtés pour ce nouveau défi."

Kawauchi had overseen Suzuki's success since returning to MotoGP in 2015

Ken Kawauchi lors de la première victoire de Maverick Viñales avec Suzuki en 2016

Plutôt discret, son manque d'aisance en anglais auprès des médias n'aidant pas à en faire un personnage particulièrement connu, Ken Kawauchi n'en est pas moins un personnage central dans un stand. Il n'est mieux décrit que par les hommes qu'il a dirigés dans l'équipe technique de Suzuki, et ceux-ci ne tarissent pas d'éloges sur son profil.

Manu Cazeaux est l'un d'eux, lui qui a été impliqué dans le programme Suzuki dès sa relance en 2015, en tant que chef mécanicien de Maverick Viñales puis d'Álex Rins. "Pour moi, c'est un recrutement difficile à évaluer parce que je ne sais pas exactement quels sont les besoins de Honda ou ce que Takeo arrête de faire", explique-t-il à Motorsport.com. "Ce que je peux dire par rapport à son travail chez Suzuki, du moins pour moi et ma façon de comprendre la course, c'est que c'est une personne qui a une très grande expérience, à 360°. Il maîtrise plusieurs secteurs, du châssis à l'électronique, en passant par tous les éléments, comme le moteur ou les pneus. Il connaît bien tous les domaines de la moto."

"Ken a toujours travaillé dans la compétition", poursuit Manu Cazeaux, "il n'a pas d'expérience dans d'autres secteurs, et je pense qu'il peut apporter cela à Honda ; son expérience, ses connaissances et sa façon de diriger, dont il a prouvé chez Suzuki que c'est une méthode qui fonctionne. Il comprend quelles sont les demandes des pilotes et les transmet à l'usine afin qu'ils puissent réagir et développer la moto en fonction des besoins réels. C'est quelqu'un qui a montré qu'il dialoguait bien et qui a été capable de travailler avec d'autres nationalités sans aucun problème. Je pense que c'est une bonne recrue."

Il peut accélérer l'adaptation de Joan à Honda, car il connaît parfaitement son style de pilotage, ce dont il a besoin, et puis il sera un visage familier.

Frankie Carchedi, ancien chef mécanicien de Joan Mir

Dans le stand voisin, Frankie Carchedi se trouvait notamment aux côtés de Joan Mir lors du championnat remporté en 2020. "Il sait exactement ce qu'il faut pour y arriver", constate-t-il en évoquant le rôle joué par Ken Kawauchi dans ce titre. "Il a été le directeur technique de l'une des plus petites usines du MotoGP, si ce n'est la plus petite, et cela signifie qu'il a une énorme quantité de connaissances au niveau technique. Mais il est également conscient de l'importance du facteur humain dans la victoire. Je pense qu'il peut accélérer l'adaptation de Joan à Honda, car il connaît parfaitement son style de pilotage, ce dont il a besoin, et puis il sera un visage familier. Il aurait été dommage qu'aucune usine du paddock ne finisse par bénéficier de ses connaissances."

"La bonne personne au bon moment"

Claudio Rainato, qui était l'ingénieur données de Joan Mir, estime lui aussi que le Champion du monde 2020 pourrait bénéficier de l'arrivée de son ancien directeur technique et perçoit parfaitement ce que le technicien peut apporter à Honda. "C'est la bonne personne au bon moment", résume-t-il. "Ken a une grande expérience en tant que coordinateur technique, ce qui permet une coopération prolifique entre les développements menés à l'usine et les besoins de l'équipe de course. Il respecte les idées de chacun et il est capable de contenir l'approche 'sauvage' du côté européen du stand."

"Compte tenu de son profil, il n'apportera probablement pas de formule magique ou d'idée magique, mais il apportera une méthode à succès. L'approche qu'il a suivie chez Suzuki, en avançant à petits pas, pourrait être la voie qui permettra à Honda de sortir de la crise dans laquelle ils se trouvent, et avec sa poker face il pourra calmer le garage quand il le faudra. Il pourrait aussi être un grand allié de Mir, car ils s'entendent très bien. Il était un invité permanent des barbecues de Joan en Andorre pendant la pandémie."

Francesco Munzone, ancien ingénieur performance chez Suzuki, s'accorde sur cette capacité de Ken Kawauchi à faire régner l'harmonie dans un stand. "Avec l'expérience qu'il a acquise chez Suzuki, il peut apporter un nouveau concept de communication entre le groupe d'ingénieurs japonais et le groupe d'ingénieurs européen, une meilleure intégration des personnes, à la fois sur le circuit et à l'usine", observe-t-il, faisant écho au souhait exprimé par Marc Márquez. "Au final, c'est la clé : recueillir les bonnes informations sur le circuit et les transmettre ensuite à l'usine, de la façon la plus fidèle possible. Il peut profiter de son expérience chez Suzuki pour exploiter les outils dont Honda dispose déjà, et les utiliser d'une manière différente."

Avec Ken Kawauchi, Honda cherchera donc à mieux identifier et à simplifier les besoins de la moto afin d'orienter convenablement le travail des ingénieurs à l'usine. Par ailleurs, il apparaît clairement qu'outre sa capacité d'interprétation des besoins techniques, la coordination et la gestion humaine font partie des plus grandes qualités que lui reconnaissent ses anciens collègues, faisant de lui, a priori, la personne idéale pour faire le lien entre les mentalités européennes et japonaises et les différents groupes de travail. Si Honda a vu juste, il sera possible avec lui de mieux optimiser la chaîne de communication entre les pilotes, l'équipe présente sur les Grands Prix et la base du HRC à Tokyo. Le premier pas vers le retour des performances attendues ?

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