Analyse

Vingt ans après Roberts Jr, Mir ramènerait-il le titre à Suzuki ?

Ils sont nombreux à tenter de profiter du champ libre laissé par Marc Márquez au championnat. Et si c'était finalement Joan Mir, 23 ans, qui prenait l'ascendant sur les plus expérimentés des favoris ?

Joan Mir, Team Suzuki MotoGP

Photo de: Gold and Goose / Motorsport Images

Trois podiums obtenus lors des quatre dernières courses en date ont propulsé Joan Mir dans la plus improbable des bagarres pour le titre MotoGP. Mais le jeune pilote espagnol ne compte pas uniquement sur ces récents résultats : d'autres facteurs pèsent dans la balance pour que l'on puisse estimer qu'il a bel et bien une chance de remporter ce qui serait le premier titre de Suzuki dans la catégorie reine depuis Kenny Roberts Jr il y a vingt ans.

Il existe certaines similitudes entre cette saison 2020 et celle de 2000. À l'époque, c'est la pluie qui avait touché plus de la moitié des courses, ce qui avait eu tendance à niveler la hiérarchie et à favoriser les spécialistes du pilotage sur piste mouillée comme Kenny Roberts Jr, qui par ailleurs avait senti que l'arrivée de Valentino Rossi dans la catégorie reine n'allait laisser que peu de temps aux autres pilotes pour tenter de décrocher une couronne avant la prise de pouvoir du pilote italien sur le championnat. Cette année, l'absence inédite de Marc Márquez et l'introduction d'un nouveau pneu arrière par Michelin ont été, du moins jusqu'à présent, les ingrédients de ce qui est la saison la plus ouverte et la plus imprévisible de l'Histoire.

Les statistiques de cette saison montrent que le championnat se caractérise par le manque de régularité des pilotes. Avec 84 points au compteur, Andrea Dovizioso est le leader affichant le score le plus faible de l'Histoire à ce stade, alors que le cap de la mi-saison vient d'être passé après le septième Grand Prix disputé à Misano. Le fait que Mir se trouve à quatre points seulement du leader alors qu'il occupe la quatrième place prouve qu'aucun pilote n'a affirmé de réelle domination jusqu'à présent, alors que six vainqueurs différents se sont succédé en sept manches et que pas moins de 12 pilotes différents ont été applaudis sur le podium.

Dans ce contexte, la régularité sera le maître-mot et celui qui aura les meilleures chances de l'emporter à l'issue de la dernière course sera celui qui parviendra à maintenir la plus grande constance dans ses résultats jusqu'à la fin de la saison. Or, si l'on regarde de plus près les résultats les plus récents, personne n'est actuellement plus régulier que Joan Mir. Au cours des quatre dernières manches, il a marqué plus de points que quiconque (69) et il semble même avoir trouvé une façon de décrocher de solides résultats sans prendre de risques inutiles.

Pour sa deuxième saison en MotoGP, le Majorquin fait preuve d'une maturité qui dépasse ses 23 ans. Il l'associe à une éthique de travail et à une détermination qui ne sont pas sans rappeler Marc Márquez. Ironiquement, Mir aurait aisément pu être le coéquipier du Champion du monde cette saison si Alberto Puig, team manager Repsol Honda, l'avait choisi à la place de Jorge Lorenzo pour la saison 2019, au lieu de pousser pour qu'il rejoigne le team LCR. L'opportunité de rouler dans une équipe d'usine avait finalement convaincu le Champion du monde Moto3 2017 que son avenir était ailleurs, en l'occurrence chez Suzuki.

Joan Mir, Team Suzuki MotoGP

Lors de la première des deux courses de Misano, l'Espagnol s'est montré impitoyable face à Valentino Rossi, en opérant sur la star des lieux un dépassement sensationnel dans le dernier tour afin de s'octroyer la troisième place du podium. Une semaine plus tard, toujours à Misano, il s'est hissé à la deuxième place en passant coup sur coup Fabio Quartararo et Pol Espargaró en moins de 700m, après avoir réalisé que le Français ne parvenait pas se débarrasser de la KTM.

"Dépasser est une force qu'il faut travailler, sinon on peut la perdre. Il est préférable qu'un pilote agressif se corrige et tente d'atténuer son instinct, plutôt que d'essayer d'inculquer cela [l'agressivité] à un pilote qui ne l'a pas", a expliqué Mir à Motorsport.com, lui qui après sa première saison a travaillé spécifiquement sur cet aspect afin de corriger ce qui avait pu lui poser problème à ses débuts.

Pour Suzuki, la transformation du pilote au numéro 36 apparaît de manière évidente dans les données. L'année dernière, lors de la saison de ses débuts en MotoGP, ses techniciens avaient remarqué un paradoxe inhabituel : plus Joan Mir poussait fort et plus il utilisait d'énergie sur sa moto, plus il semblait être lent. "On pourrait dire que je surpilotais un peu, que je poussais trop. En 2019, plus j'essayais, plus je roulais lentement. Maintenant, je pousse moins et je vais plus vite", reconnaît Mir, qui semble désormais avoir trouvé grâce à son expérience le juste équilibre entre agressivité et tact.

"Nous avons passé toute l'année dernière à travailler sur son contrôle de l'accélérateur, pour qu'il soit plus souple et plus facile sur les pneus", ajoute Claudio Rainato, ingénieur électronique de Joan Mir. "C'est précisément ce qui l'aide en 2020. On peut voir qu'il arrive sur les derniers tours en ayant plus de gomme que la majorité des autres. L'année dernière, quand il ouvrait les gaz, c'était tout ou rien. Maintenant, il est beaucoup plus précis."

"En 2019, nous avons dû accélérer le processus d'apprentissage parce qu'il n'avait pas beaucoup d'expérience en Championnat du monde et qu'il n'avait fait qu'une seule saison en Moto2," ajoute son chef d'équipe Frankie Carchedi à Motorsport.com. "En 2019, c'était comme si nous avions condensé deux ans en un, mais on voit maintenant tout ce qu'il a appris. Grâce à cela, nous avons deux versions de Joan : la version lisse qui prend soin de ses pneus et la version agressive comme on a pu le voir dans les derniers tours des deux dernières courses."

Et le pilote espagnol sait à présent passer de l'un à l'autre, comme le confirment des données du Grand Prix de Saint-Marin que nous explique Claudio Rainato : "À chaque tour de la course, Joan a ouvert les gaz à 50% seulement dans le virage 3, sauf lorsqu'il a dépassé Valentino, où là il les a ouverts à 100%."

Francesco Bagnaia, Pramac Racing, Joan Mir, Team Suzuki MotoGP

Mir sait clairement quelle stratégie employer pour maximiser son potentiel. Et il affiche un mental si solide que l'on peine à croire qu'il dispute seulement sa deuxième saison en catégorie reine. Certains pilotes auraient eu du mal à accepter de voir s'échapper une victoire probable comme ce fut son cas en Autriche, lorsque la course a été interrompue au drapeau rouge après l'accident de Maverick Viñales. Mir y a cependant vu une confirmation de ses progrès et lui a donné un coup de pouce pour avoir encore plus confiance en lui.

"Il est important de ne pas être obsédé par la victoire. Je veux gagner, oui, mais si je ne gagne pas, alors il faut que je sois sur le podium. La victoire viendra sans que je la cherche", expliquait le pilote Suzuki après cette course. Quant au titre, malgré la spirale positive dans laquelle il se trouve il tient à prendre ses distances avec les espoirs placés en lui. "Avant, il faut que je commence à gagner des courses", prévient-il.

L'autre atout majeur de Joan Mir est sa moto. La majorité des pilotes s'accordent à dire que la GSX-RR présente aujourd'hui le package le plus complet sur la grille, et les performances du pilote espagnol semblent le confirmer. Avec un châssis aussi maniable que celui de la Yamaha, son moteur a gagné quelques chevaux supplémentaires pendant l'hiver, de quoi encore plus faciliter la vie des pilotes. Et surtout, la moto semble mieux s'adapter au nouveau pneu Michelin, qui a sur d'autres machines un effet majeur.

Il le concède, s'il lui reste un domaine dans lequel progresser, c'est bien dans sa performance sur le tour lancé, afin de mieux se qualifier. "Nous montrons que nous sommes capables d'obtenir des résultats constants même sans partir devant, mais si nous continuons à partir d'aussi loin, il y aura aussi des moments où ça ne fonctionnera pas", prévient le jeune homme. S'il continue à apprendre aussi vite qu'il l'a fait jusqu'à présent et parvient à cocher cette dernière case, nul doute qu'il sera alors inarrêtable… Et il pourrait bien alors offrir à Suzuki une célébration toute particulière de son centenaire !

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