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Riccardo Patrese, le véritable gentleman sans ego

Les pilotes ont tendance à être égoïste, mais pas Riccardo Patrese. Retour sur la carrière d'un véritable gentleman.

Riccardo Patrese

Photo de: Camille De Bastiani

Champion du monde de karting en 1974 et vainqueur du championnat F3 Europe en 1976, Riccardo Patrese est arrivé l'année suivante en Formule 1 avec Shadow. Il n'a pas fait d'étincelles mais a affiché de belles promesses et, en 1978 avec Arrows, il a vraiment imprimé sa marque. Si son moteur n'avait pas explosé dans les derniers tours, il aurait remporté le Grand Prix d'Afrique du Sud. Toujours compétitif, son meilleur résultat fut une deuxième place en Suède derrière Niki Lauda, dans une journée qui lui fit pourtant mauvaise presse.

Les concurrents de Patrese estimaient qu'il avait adopté en piste un comportement de pilote de F3, et ça ne leur plaisait pas. À Anderstorp, le flegmatique Ronnie Peterson était furieux devant la manière dont Riccardo l'avait empêché de le doubler.

À l'époque, le changement de trajectoire unique n'était pas permis en F1, avant qu'Ayrton Senna ne redéfinisse les standards de la course automobile. Bloquer l'autre était perçu comme une attitude sournoise et sans mérite. "N'importe quel idiot peut bloquer", disait Gilles Villeneuve avec mépris, et ses homologues pensaient la même chose. Ils percevaient Patrese comme un sale gosse.

"Je pense", m'a-t-il dit, "que je me comportais peut-être souvent comme ça à l'époque. Tout le monde pensait que j'étais arrogant, mais en fait j'étais timide. J'étais encore très jeune et je ne connaissais pas très bien les autres pilotes. Et je dois admettre que c'était très intense."

Ce qui a profondément affecté Patrese, ce sont les suites de l'accident mortel de Peterson à Monza. Même si la faute venait clairement d'ailleurs, les autres pilotes estimèrent d'emblée qu'il était responsable de la catastrophe, concluant qu'il devait en payer le prix. Si sa participation au Grand Prix suivant, à Watkins Glen, était acceptée, ils refuseraient de courir. C'est ainsi qu'ils obtinrent sa suspension pour une course.

Riccardo Patrese devant Ronnie Peterson au GP de Suède 1978.

Riccardo Patrese devant Ronnie Peterson au GP de Suède 1978.

"C'était parce qu'ils n'aimaient pas mon attitude pendant la saison, mais avec le timing dans lequel ils l'ont fait, on aurait dit qu'ils me punissaient pour l'accident de Monza", raconte Patrese. "Psychologiquement, je n'avais aucun problème avec ça, car je savais que ce n'était pas ma faute, mais il m'a fallu beaucoup de temps pour oublier comment ils m'avaient traité."

C'était une chasse aux sorcières, rien de moins. Des années plus tard, l'un d'entre eux m'a dit qu'il s'agissait du seul incident de toute sa carrière en sport automobile dont il avait honte.

Patrese est resté beaucoup trop longtemps chez Arrows, jusqu'à la fin de la saison 1981. Bernie Ecclestone avait tenté de le recruter chez Brabham en 1979 mais Patrese rêvait de Ferrari et refusait les contrats longue durée de manière à pouvoir accepter une offre de Maranello, si souvent promise mais jamais arrivée. Finalement, en 1982, Riccardo s'engagea avec Brabham, remporta son premier Grand Prix à Monaco puis son second l'année suivante à Kyalami. Pourtant, en 1984 et de façon mystérieuse, Ecclestone le remplaça par Teo Fabi et Riccardo signa pour Alfa Romeo. Une traversée du désert de deux saisons commença.

Il n'a jamais été égoïste, ce qui est rare chez un pilote, et il maîtrisait son ego, ce qui est rare aussi...

Patrick Head

"Les voitures étaient nulles, et j'étais tellement en colère que ça commençait à affecter ma vie privée ; je ne souriais plus du tout !", confie-t-il. "Je me souviens m'être dit un jour : 'Riccardo, tu dois faire quelque chose'. C'était un tournant dans ma vie. J'ai changé d'approche, de mentalité, j'ai tout changé, et je ne sais toujours pas comment j'ai fait."

Si Ecclestone était proche de quelques pilotes, Patrese était l'un d'eux, et il retourna chez Brabham pour deux ans. "C'était une chance que Bernie et moi soyons amis", insiste-t-il. "Lorsqu'il a cessé d'avoir une équipe en 1987, il m'a recommandé à Frank Williams."

Ça allait être la collaboration la plus productive de la carrière de Riccardo : "Quand je suis allé chez Williams, c'était comme si un appareil photo parvenait enfin à faire une mise au point". Tous les membres de l'équipe furent pris d'affection pour lui, notamment Patrick Head.

"Tu appelais Riccardo, tu lui demandais de faire un test à n'importe quel moment et il répondait : 'Très bien, je serai là'.", se souvient Head. "Il n'a jamais été égoïste, ce qui est rare chez un pilote, et il maîtrisait son ego, ce qui est rare aussi…"

Patrick Head s'adresse à Riccardo Patrese au GP des États-Unis 1990.

Patrick Head s'adresse à Riccardo Patrese au GP des États-Unis 1990.

Puisque l'on parle d'ego, le coéquipier de Patrese en 1991, Nigel Mansell, disait alors de lui : "Je considère la vitesse de Riccardo cette année comme un formidable compliment pour moi. Je suis le seul qui peut le motiver." Si Patrese avait été enclin à retourner le compliment, il aurait pu suggérer que c'était peut-être une motivation exagérée : Nigel ne le devança pas en qualifications avant Silverstone.

Les Williams-Renault n'étaient manifestement pas fiables en 1991, mais Patrese réalisa une belle saison avec quatre pole positions et deux victoires, au Mexique et au Portugal. Parmi les souvenirs impérissables, il y a celui des qualifications à Estoril.

La voiture de Patrese lâcha dès le début de la séance, mais le contrat de Mansell stipulait que les pièces de rechange chez Williams lui étaient exclusivement réservées. Ce n'est que dans les cinq dernières minutes, quand il fut évident que Nigel n'en aurait pas besoin, que Riccardo reçut l'autorisation de reprendre la piste.

Il n'y avait pas assez de temps pour changer les réglages mais Patrese était surmotivé et, après un seul tour de chauffe, il écarta Senna, Berger et Mansell pour s'octroyer la pole. Head rayonnait et Riccardo remporta la course.

L'année d'après, Williams se dota de la fameuse suspension active. En dépit du considérable avantage de performance que ce système procurait, Patrese était rarement au niveau de Mansell. "Je dois admettre que je préfère les voitures passives", expliqua-t-il, "car elles procurent beaucoup plus de sensations. Nigel a soit plus de courage, soit moins d'imagination, soit les deux..."

Patrese termina deuxième derrière Mansell au championnat et s'engagea pour Benetton lorsqu'il comprit que Williams signerait Prost en 1993. Dans les jours qui suivirent, il apprit que Nigel allait quitter la F1 et qu'il aurait en fait pu rester.

"C'est la vie, non ?", admet-il avec le recul. "Naturellement j'étais triste, mais j'ai dit : 'Non Riccardo, si tu as signé quelque chose, ou si tu as donné ta parole, c'est comme ça'." Malheureusement, Benetton se comporta de manière moins honorable à l'abord de la deuxième année du contrat : après une saison 1993 décevante, Patrese accepta l'idée que sa carrière en F1 était terminée.

Patrese ne s'est jamais habitué à la suspension active de la FW14B.

Patrese ne s'est jamais habitué à la suspension active de la FW14B.

Il n'aura décroché que six victoires, moins que ce que l'on aurait pu prévoir, mais je crois que Riccardo a pris plus de plaisir durant sa carrière que la plupart des pilotes que j'ai connus. En dehors aussi, grâce à la divine Suzy et à leurs trois enfants.

Patrese n'a jamais été obsédé par l'argent, ce qui l'a aussi fait sortir du lot. "Je connais d'autres pilotes qui se font beaucoup plus d'argent, mais je peux avoir une belle vie avec ce que je gagne", disait-il. "Frank [Williams] me paie 800 000 $, ce que je trouve correct pour un pilote comme moi."

Riccardo était loin d'être un pilote typique des années 1990, préférant Beethoven à George Michael, s'adonnant – en plus du golf et du ski – à des loisirs inhabituels comme collectionner des modèles rares de train Marklin. Oui, il a gardé un appartement à Monaco, mais sa maison a toujours été à Padoue, là où il est né.

On peut apprendre beaucoup d'un pilote en discutant avec ses mécaniciens, et ceux de Patrese l'adoraient. Les pilotes de F1 sont réputés pour rechigner à sortir le porte-monnaie, mais à la fin de chaque saison, Riccardo offrait à toute son équipe un dîner mémorable. Un véritable gentleman italien, et un magnifique pilote de course.

Riccardo Patrese sur le podium après sa victoire au GP du Portugal 1991.

Riccardo Patrese sur le podium après sa victoire au GP du Portugal 1991.

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