Analyse

Le rôle clé qu'a joué Szafnauer chez Aston Martin

Le départ d'Otmar Szafnauer représente la fin d'une ère pour l'écurie basée à Silverstone, actuellement connue sous le nom d'Aston Martin.

Otmar Szafnauer, team principal et PDG, Aston Martin F1, est interviewé

Otmar Szafnauer, team principal et PDG, Aston Martin F1, est interviewé

Glenn Dunbar / Motorsport Images

C'est la détermination d'Otmar Szafnauer qui a permis à l'équipe alors dénommée Force India de traverser la crise de l'été 2018 en étant rachetée par Lawrence Stroll et rebaptisée Racing Point, avant son développement et la transition vers le nom Aston Martin en 2021.

L'on imaginait que Szafnauer allait rester à sa tête pendant des années encore, même si la rumeur d'un départ à destination d'Alpine a semé le doute en novembre dernier. Ce mercredi, l'on a appris que l'Américain avait effectivement quitté l'équipe et qu'une réorganisation de sa direction était en cours. Les circonstances du départ de Szafnauer et la confirmation de son avenir devraient être connues rapidement. Mais qu'a-t-il accompli pendant ses 12 années à Silverstone ?

Otmar Szafnauer, Team Principal and CEO, Aston Martin F1

De l'automobile à la F1

Szafnauer avait précédemment travaillé pour Ford ainsi que les écuries BAR et Honda, mais le constructeur japonais a quitté la Formule 1 sans crier gare. C'est alors qu'il est entré en contact avec une écurie Force India qui venait de conclure sa première saison sous la propriété de Vijay Mallya et allait passer des moteurs Ferrari à Mercedes.

Cependant, il n'y avait pas de place pour Szafnauer en 2009. L'équipe avait un contrat de fourniture de boîte de vitesses avec McLaren, qui envoyait Simon Roberts de Woking pour être directeur général de Force India. Or, quand il est apparu que Roberts allait retourner chez McLaren, Mallya avait Szafnauer sur son radar.

"Il a fallu attendre septembre", expliquait alors le principal intéressé. "Et ils ont dit : 'Simon va probablement retourner chez McLaren, et nous allons devoir le remplacer. Et nous aimons ton expérience. Peux-tu venir à Monza rencontrer Vijay ?' J'ai donc rencontré Vijay à Monza pour la première fois. Et nous avons discuté. Quand on travaille si étroitement à ce niveau, il n'y a pas que l'expérience qui compte, c'est parfois la personnalité, l'alchimie et toutes ces choses-là. Vijay a dit qu'il voulait en discuter davantage. Nous l'avons fait, puis nous nous sommes serré la main."

Dr. Vijay Mallya, Sahara Force India Team Owner, Otmar Szafnauer, Sahara Force India F1 Chief Operating Officer

Vijay Mallya et Otmar Szafnauer

Un team principal qui n'en a pas le nom

Szafnauer a officiellement pris le rôle de directeur général quelques semaines plus tard, peu avant le Grand Prix du Brésil, avec pour tâche de superviser tous les domaines d'une écurie bien plus compacte que Honda ne l'était. Le natif de Roumanie n'était pas directeur d'équipe, titre qui revenait à Mallya, mais endossait une grande partie des responsabilités habituellement associées à ce poste. Il travaillait main dans la main avec Bob Fernley, directeur d'équipe adjoint, qui était les yeux et les oreilles de Mallya sur place et représentait Force India dans les réunions importantes.

Avec Szafnauer, l'écurie a commencé à faire des progrès remarquables. Neuvième du championnat en 2009, elle était septième en 2010 puis sixième en 2011, avant de nouveaux progrès au début de l'ère turbo hybride grâce aux performances de l'unité de puissance Mercedes. L'équipe a atteint la cinquième place en 2015, puis la quatrième les deux années suivantes. Jouer dans la cour des grands ne faisait qu'améliorer l'ambiance qui y régnait.

"Ma philosophie de gestion se résumait à trouver comment attirer des personnes talentueuses dans une équipe comme Force India sans avoir les ressources d'autres écuries", révélait Szafnauer. "La manière dont je l'ai fait était de m'assurer que ce soit la meilleure équipe du plateau dans laquelle travailler. J'ai travaillé vraiment dur pour m'assurer d'être un leader empathique et de donner confiance en soi à tout le monde, qu'ils sachent avoir un rôle majeur à jouer. Cela m'a permis d'attirer de vrais talents, même si nous n'étions pas Red Bull ou Mercedes."

Otmar Szafnauer, Chief Operating Officer, Force India, Sergio Perez, Force India

Otmar Szafnauer et Sergio Pérez

Une perturbation dans la Force (India)

Il y avait toutefois un problème : le nom de Force India n'était pas attractif, et les monoplaces arboraient peu de sponsors en dehors des marques associées à Mallya et à son partenaire Subrata Roy, du groupe Sahara. De surcroît, Mallya avait des problèmes financiers à la suite de la faillite de Kingfisher Airlines. Le budget était de plus en plus limité, et début 2018, l'écurie était en danger.

Szafnauer savait qu'il était impossible d'avancer avec Mallya aux commandes : il fallait vite trouver de nouveaux investisseurs ou de nouveaux propriétaires afin de sauvegarder l'avenir de l'équipe ainsi que ses emplois. Un fournisseur impayé a lancé une demande de liquidation judiciaire, et ç'aurait pu être game over à la trêve estivale 2018.

Pour éviter l'insolvabilité, la compagnie a été placée sous administration, processus qui allait faire gagner du temps, lui permettre de continuer à fonctionner et surtout de disputer les Grands Prix. Les administrateurs allaient être chargés de trouver un acquéreur, Mallya n'étant donc plus impliqué.

"Ce processus n'a été déclenché que parce que nous nous dirigions vers l'insolvabilité, qui allait être concrète sous quelques semaines", expliquait Szafnauer. "Tout aurait fermé. Les trois options étaient donc l'insolvabilité, l'administration ou la vente. Et l'option de la vente, sur laquelle je sais que les actionnaires travaillaient, prenait juste trop de temps. Nous allions être confrontés à l'obstacle de l'insolvabilité, et tout se serait arrêté."

Otmar Szafnauer, Sahara Force India Formula One Team Chief Operating Officer

Le processus d'administration a commencé juste avant la trêve estivale, conséquence directe de l'action menée par Sergio Pérez, à qui l'écurie devait une somme non négligeable. "Le placement sous administration l'emporte sur une demande de liquidation judiciaire, car tous les juges et les entités légales veulent que l'entreprise survive, c'est la priorité. Il y a quelques manières de la mettre sous administration, notamment que les actionnaires le fassent volontairement. Mais ça n'a pas été le cas. L'équipe ne peut pas mettre l'entreprise sous administration, il faut qu'un créancier le fasse. Bref, il fallait que quelqu'un le fasse."

"Checo [Pérez] était dans une position délicate. Il ne voulait pas faire ça, mais mettez-vous à sa place. Si dans trois semaines, l'écurie est insolvable, il perd son volant, ces 400 personnes sont au chômage… Avait-il vraiment le choix ?"

Szafnauer a eu la tâche difficile de remonter le moral des troupes. "La bonne nouvelle, c'est que nous sommes différents des autres équipes qui ont été placées sous administration, car nous avons de la valeur", indiquait-il à l'époque. "Nous avons de la valeur dans la mesure où nous sommes performants avec un budget faible et de bons sponsors, et nous gagnons beaucoup d'argent du groupe FOM. Cela nous rend différents et nous donne de la valeur – et quand on en a, il y a des gens qui viennent acheter. C'est aussi simple que ça. C'est pourquoi je ne suis pas aussi inquiet que si j'étais Manor ou Caterham."

L'écurie a été rachetée par Lawrence Stroll et ses partenaires, contrairement à la véritable inscription en Formule 1, et Stroll a dû établir une nouvelle entreprise afin de se distancer du bourbier juridique dans lequel était empêtré Mallya. Aucune écurie en difficulté n'avait été sauvée ainsi, car la survie de l'entreprise propriétaire de l'inscription avait toujours été sacro-sainte. Cependant, tout a été fait avec l'accord de la Formule 1, de la FIA et du motoriste, Mercedes. De plus, Stroll a remboursé les dettes de l'entreprise d'origine et payé les salaires en retard.

Chase Carey, Chairman, Formula 1, and Otmar Szafnauer, Team Principal and CEO, Racing Point

Chase Carey, président de la Formule 1, et Otmar Szafnauer

Racing Point repart de zéro (point)

Quand l'écurie est réapparue au Grand Prix de Belgique, elle avait une nouvelle identité, celle de Racing Point, et elle est repartie de zéro au championnat des constructeurs. Rien n'avait changé, si ce n'est le départ de Mallya et de Fernley, et la nomination de Szafnauer comme directeur d'équipe, car Stroll voyait en lui la personne idéale pour diriger le team alors qu'arrivaient les nouveaux investissements.

Ayant traversé la crise estivale, Szafnauer avait donc pour nouveau rôle de mener la reconstruction de l'écurie, avec davantage de ressources notamment humaines ainsi que la construction d'une toute nouvelle usine à côté de l'ancienne, qui était trop étriquée depuis longtemps. Stroll avait clairement l'ambition de créer une équipe victorieuse, en témoignent les attentes entraînées par son rachat d'Aston Martin et l'arrivée de ce nom en F1. Szafnauer a mis à contribution l'expérience engrangée en travaillant chez Ford et chez Honda, et a contribué aux recrutements clés, notamment celui de Sebastian Vettel.

Racing Point a remporté une course en 2020, le premier succès de l'équipe depuis l'époque Jordan. Cependant, cette année, Aston Martin a reculé dans la hiérarchie, en grande partie car sa monoplace a été plus affectée que les autres par le changement de réglementation technique imposé par la FIA pour 2021.

Clairement, il y avait de la pression sur Szafnauer, et la disqualification de Vettel en Hongrie, alors qu'il était monté sur la deuxième marche du podium, n'a pas aidé. En fin de saison, on a eu la surprise d'apprendre que Stroll avait embauché l'ancien directeur de l'écurie McLaren, Martin Whitmarsh, comme PDG d'Aston Martin Performance Technologies.

Otmar Szafnauer, Racing Point Force India Team Principal and Lawrence Stroll, Racing Point Force India F1 Team Owner

Otmar Szafnauer et Lawrence Stroll

Il était clair que le Britannique allait superviser toute l'entreprise et n'allait pas gérer l'écurie au quotidien. Cependant, il n'était pas farfelu d'imaginer que le poste de Szafnauer était compromis, bien que le principal intéressé ait affirmé que l'expérience de Whitmarsh était un atout pour Aston Martin. Quelques mois plus tard, nous avons la confirmation que Szafnauer ne va pas rester chez Aston.

Et maintenant ?

Reste à savoir à quel point l'équipe était préparée à son départ, alors qu'entre en vigueur la nouvelle réglementation technique de 2022, et à quel point il lui manquera après avoir joué un rôle clé au quotidien pendant plus de douze ans. Un rôle chez Alpine reste de l'ordre du possible, mais où qu'il débarque, il pourra compter sur les compétences de management qu'il a démontrées lorsqu'il a rejoint Force India en 2009.

"Ma philosophie est, avant de faire tout changement, de comprendre ce dont on dispose, sinon on se perd", déclarait-il alors. "Mes prochaines étapes à court terme sont de comprendre en détail comment fonctionne l'écurie, peut-être quels domaines pourraient requérir davantage de ressources, avec l'objectif de toujours améliorer les performances."

"Il y a beaucoup de gens dans l'industrie qui arrivent en tant que nouvelle équipe de management et qui changent les choses parce qu'ils pensent que c'est ce qu'il faut faire. Je l'ai vu dans des écuries de F1, où une grande entreprise – peut-être la compagnie mère – nomme une nouvelle équipe de management, et pour montrer à la compagnie mère qu'elle agit, celle-ci change des choses. Parfois, cela fonctionne, mais pour moi, c'est comme lancer une fléchette en fermant les yeux. Parfois, on atteint la cible, mais pas toujours. Il faut regarder où elle est avant de lancer la fléchette. Pour moi, c'est la bonne chose à faire."

Otmar Szafnauer

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