Analyse

Comment parler de santé mentale rend la F1 plus saine

La santé mentale est un sujet rarement abordé dans le monde du sport, notamment en Formule 1. Mais ces derniers mois, les pilotes ont commencé à s'ouvrir sur leurs craintes et complexes, et sur la manière dont ils les surmontent.

Kimi Raikkonen, Alfa Romeo, sur la grille avec les autres pilotes pour l'hymne national

Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images

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Les pilotes de Formule 1 sont des superhéros. Ils l'ont toujours été et le seront toujours, flirtant chaque week-end avec leurs limites et celles de leur voiture. Mais on oublie souvent qu'ils sont aussi des êtres humains. Ils connaissent des émotions et des difficultés comme le commun des mortels, mais doivent composer avec la pression de l'un des championnats sportifs les plus exclusifs et compétitifs au monde.

La catégorie reine du sport automobile est généralement un environnement où l'on est remplacé si l'on n'est pas au niveau. La santé mentale est stigmatisée de telle sorte qu'en parler peut être vu comme un signe de faiblesse. Et les pilotes n'aiment pas ça, craignant que cela leur soit défavorable. "Pourquoi parler de sa faiblesse, même si on en a une ? Pourquoi l'expliquer ? Non, je ne dirais jamais ce genre de choses", assure Max Verstappen.

Mais certains pilotes essaient de changer les choses. Daniel Ricciardo a participé à une campagne de sensibilisation à la santé mentale avec Renault et a expliqué l'importance d'être bien entouré, pour pouvoir évacuer la pression de la F1.

"On peut parfois garder des choses pour soi en pensant que c'est montrer une faiblesse par exemple", estime Ricciardo. "Pour moi, essayer de rester positif et tout ça, ça dépend vraiment des gens avec lesquels je choisis de m'entourer, de mes amis proches, de ma famille, avec qui on peut discuter des choses ouvertement. Je place beaucoup de confiance en les gens. Je pense qu'il est assez facile pour moi de parler à quelqu'un et d'être ouvert. Je ne refoule manifestement pas beaucoup de sentiments. Mais cet exutoire est nécessaire."

Lando Norris, McLaren in the press conference

Lando Norris s'est particulièrement ouvert sur les difficultés qu'il a connues au moment de son arrivée en F1, révélant lors de sa première saison qu'il travaillait avec un psychologue depuis son ascension des formules de promotion, afin de soulager son anxiété et de gagner en confiance. La pression d'une campagne inaugurale dans l'élite a fait des ravages pour lui.

"Les sports mécaniques sont majoritairement masculins. Il y a beaucoup d'ego et de fierté, et tout le monde n'a pas forcément envie de s'ouvrir et d'être un peu vulnérable", analyse l'Anglais. "[En 2019], j'avais l'air vraiment confiant et pas nerveux, mais je m'efforçais surtout de faire bonne figure. En mon for intérieur, j'avais vraiment du mal. Je pense juste l'avoir très bien caché."

Au fur et à mesure qu'il a pris en confiance, sa première saison en F1 se passant comme prévu, Norris a cessé de travailler avec son psychologue : "Faire les choses de manière plus autonome et prendre mes responsabilités faisait partie de la progression dont j'avais besoin." Il a trouvé le moyen de gérer son manque de confiance, évacuant cette pression de la F1 grâce à ses streams de jeux vidéo en direct. Et il a fait partie des pilotes les plus performants de la grille en 2020. Il se sent bien mieux.

Le syndrome de l'imposteur, qui donne le sentiment de ne pas être à la hauteur malgré un certain succès, est très courant en F1, vu comme tous les pilotes sont comparés dans la lutte pour la victoire, le podium et même les baquets. "C'est quelque chose qui m'a causé beaucoup de difficultés, surtout avant d'arriver en Formule 1, et [en 2019]", confie Norris.

"Croire que j'ai les capacités nécessaires, ce que je pense par rapport à mon coéquipier ou aux autres pilotes, toujours me comparer aux autres... c'est ce qui m'empoisonne parfois l'existence. C'est quelque chose qui est très dur à gérer, la confiance en soi et tout ça. Il y a beaucoup de choses qui m'ont donné des difficultés ces dernières années et quand j'étais plus jeune. Tout le monde ne veut pas forcément en parler tout le temps, mais je suis sûr que bien d'autres pilotes y ont réfléchi et ont connu des difficultés avec ça dans le passé."

Les pilotes doivent également composer avec le mal nécessaire que sont les réseaux sociaux. Tous les pilotes y sont présents, à l'exception de Sebastian Vettel. Si cela leur permet de faire découvrir leur vie aux fans et de gagner en notoriété – soit un outil marketing très utile – ils doivent également subir les critiques, voire insultes, de certains trolls. C'est notamment le cas de Romain Grosjean, même quand ses posts sont sans lien avec la F1, mais il a appris à gérer cette situation.

Romain Grosjean, Haas F1

"Mentalement, je suis assez fort, et je l'ai montré au fil des années", déclarait le pilote Haas avant sa fin de carrière précipitée. "Ce n'est jamais agréable à lire, beaucoup de gens présupposent des choses qui ne sont pas vraies." Et parfois, il réagit sans réserve : "Je réponds à certains et je parle. Ça me fait rire, et dès qu'il y a un bon résultat, j'ai envie de leur envoyer un pouce en l'air, ou peut-être un autre [doigt]…"

"J'imagine que c'est la liberté d'expression. Je soutiens pleinement que les gens disent ce qu'ils pensent, mais parfois ce n'est simplement pas fondé, c'est faux, et c'est un peu décevant. Nous devons juste faire en sorte de ne pas y prêter trop d'attention, car ce ne sont que des gens sur leur canapé. Ils n'ont aucune idée de ce que nous vivons, ils n'ont aucune idée de ce que supporte notre corps ou de la fatigue que représente notre carrière, de l'impact qu'elle a sur la famille avec tout le temps que nous passons à voyager. Ils aiment insulter parce que c'est facile et c'est gratuit. Ils peuvent continuer, peu m'importe. Merci à ceux qui me soutiennent. Je pense qu'il y a peut-être plus de gens qui me soutiennent que de gens qui me détestent."

Quant à Alexander Albon, son manque de résultats chez Red Bull entraînait une certaine pression, notamment sur les réseaux sociaux. Pour lui, la meilleure manière de gérer ça était simplement de ne pas lire, acceptant que ce que disent les gens est hors de son contrôle.

"C'est assez simple : je ne regarde rien de plus sur mon téléphone", expliquait l'Anglo-Thaïlandais en septembre. "En fin de compte, je suis le seul qui peut vraiment changer les choses. Tous ces commentaires, ils sont là, mais ils ne contrôlent rien, c'est moi qui contrôle tout. Je le comprends, ou je le vois, mais ça ne m'affecte pas. Je me dis juste qu'ils ont une opinion. C'est super. Mais je suis là pour progresser. Et c'est là-dessus que je me focalise."

Comme l'a mentionné Ricciardo, dans le monde machiste de la F1, qui fait la part belle à l'ego, les signes de vulnérabilité sont considérés comme une faiblesse. Cela crée une toxicité loin d'être saine dans l'environnement du paddock. Mais ça change. Les pilotes de F1 parlent plus ouvertement de la pression mentale du sport auto, y compris le septuple Champion du monde Lewis Hamilton. Ce dernier s'est exprimé sur Instagram au sujet de ses "deux visages", se définissant comme "quelqu'un qui essaie de comprendre la vie au jour le jour tout comme vous, qui tente de trouver la paix intérieure, de gérer son temps, d'équilibrer le travail et la vie [privée], de trouver du temps pour la famille et les amis, de travailler sur la gestion de ses émotions".

Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1

Hamilton a ajouté avoir connu "beaucoup de journées difficiles" et a insisté auprès de ses followers : "Ce n'est jamais mal de demander de l'aide si on en a besoin ou de dire à quelqu'un comment on se sent. Montrer son côté vulnérable ne rend pas faible, je préfère voir ça comme une opportunité de devenir plus fort."

Ce côté vulnérable est trop rarement aperçu en F1, ce qu'a reconnu Hamilton lorsque nous l'avons interrogé sur ces commentaires : "Entre pilotes, étant en fin de compte des compétiteurs, ce n'est pas la première chose à laquelle on pense, être ouvert et s'exprimer. Mais je trouve ça vraiment important – plus important que ce qui se passe ici [au circuit]. Ça ne concerne pas que moi : dans le monde, tout un chacun a des difficultés, quelles qu'elles soient, et cela crée des parallèles auxquels on peut se référer."

Les écuries ont également davantage de programmes focalisés sur la santé mentale pour soutenir leur personnel et en tirer le meilleur. McLaren a un partenariat avec l'association caritative Mind depuis juillet dernier et aide celle-ci à lever des fonds, notamment via une tombola ayant permis de gagner des casques au design personnalisé utilisés par Lando Norris et Carlos Sainz.

Et alors que les équipes se focalisent sur la "performance humaine", la santé mentale y joue un rôle de plus en plus prépondérant. "On veut que tout le monde soit à son meilleur niveau", souligne Norris. "Il faut trouver comment mettre chacun dans la meilleure position possible, la plus confortable pour être performant. De plus en plus d'écuries de F1 – y compris la nôtre, McLaren – reconnaissent de plus en plus ce genre de choses et y sensibilisent."

La nouvelle génération de pilotes de F1 est rafraîchissante à bien des égards, en particulier parce qu'elle s'ouvre davantage sur les questions de santé mentale, ce qui est extrêmement important. Espérons que cela créera un changement durable qui pourra être ressenti partout dans le paddock et rendre le monde impitoyable de la F1 plus compréhensif.

The drivers assemble to show their support for the End Racism Campaign

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