Opinion

Et si la Super Ligue s'était inspirée du sport automobile ?

Le projet de Super Ligue européenne, proposé par les dirigeants des clubs de football les plus prestigieux et qui menaçait de déchirer le monde du ballon rond, est tombé à l’eau. Dans le but de générer toujours plus de revenus, cette compétition était l’opposé de ce que la course automobile proposait il y a plus de dix ans avec la Superleague Formula, elle-même basée sur le football.

Carlos Sainz Jr., McLaren, joue au football dans le paddock

Carlos Sainz Jr., McLaren, joue au football dans le paddock

Mark Sutton / Motorsport Images

Dans la nuit de dimanche à lundi, les dirigeants de douze des clubs les plus prestigieux en Europe annonçaient la création de la Super Ligue, une nouvelle compétition réservée aux clubs élitistes du ballon rond. Une annonce qui a créé un véritable conflit avec les différentes instances dirigeantes ainsi que les supporters, et même les joueurs. Trois jours plus tard, les six clubs anglais impliqués dans le projet ont annoncé leur retrait. Florentino Pérez, président du Real Madrid et de l’ESL, annonçait vouloir "sauver le football", mais la véritable raison d’être de ce projet n’a échappé à personne : générer encore et toujours plus d’argent avec les droits télé. Et peu importe les conséquences sur les clubs plus modestes.

Mais sur le sujet des conflits d’intérêts, la Formule 1 n’est pas un exemple. La discipline reine s'est déjà retrouvée au bord du gouffre en 1981, puis en 2009 lors du Grand Prix de Grande-Bretagne, quand il était question d’un plafonnement financier de 30 millions de livres pour la saison suivante. Un demi-siècle plus tôt, les opposants à la F1 version 1,5 litre créaient la Formule Intercontinentale, sans succès.

Pour autant, l’idée de Super Ligue n’est pas nouvelle dans notre univers de moteurs. Le sport automobile a eu droit à la Superleague Formula, compétition bénéfique pour ses acteurs disputée entre 2008 et 2011. Et contrairement au projet présenté en début de semaine, ce championnat venait enrichir le paysage sportif, et non pas l'affaiblir.

La Superleague Formula, c’était ce curieux mélange entre football et course automobile, où les monoplaces, toutes identiques en termes de performances, arboraient des livrées aux couleurs des grands clubs internationaux. Une idée de Robin Webb, déjà impliqué dans le projet mort-né de Premier1 au début des années 2000.

Liverpool, le Milan AC ou Tottenham, tous trois membres de ce projet de Super Ligue cette semaine, étaient déjà au rendez-vous sur les livrées en 2008. Mais d’autres clubs moins prestigieux, comme Beijing Guoan ou Anderlecht, respectivement champions en 2008 et 2010, étaient des éléments clés. En 2008, c’est un autre club plus modeste, le PSV Eindhoven, qui finissait vice-champion, tandis que Bâle se classait troisième à deux reprises.

Davide Rigon (Beijing Guoan) en tête de la manche de Superleague Formula à Donington, en 2008

Davide Rigon (Beijing Guoan) en tête de la manche de Superleague Formula à Donington, en 2008

Les performances de ces clubs n’étaient absolument pas liées à leur palmarès ou à leur influence, mais plutôt aux compétences des personnes impliquées dans ces écuries : l’ancienne équipe de F1 Zakspeed, la très prometteuse Alan Docking Racing (également présente en Formule 3) ou le Hitech Junior Team, managé par David Hayle. Les pilotes devaient également montrer l’étendue de leur talent, notamment avec un format de grille inversée pour les deuxièmes manches de chaque week-end, propice aux accrochages.

À partir de 2009, les équipes les plus performantes de chaque week-end participaient à une super finale de cinq tours, où le gagnant empochait une prime de 100 000€, et qui rapportait également des points dès la saison suivante. Il s’agissait d’une véritable loterie où tout pouvait arriver (en témoigne la manche d’Ordos en 2010), ce qui devrait être un standard dans n’importe quelle discipline sportive. En d’autres termes, rien à voir avec la Super Ligue proposée dimanche dernier, et heureusement mise à pied par ses propres fondateurs.

Mais la Superleague Formula ne fut pas un long fleuve tranquille pour ses dirigeants. Quand le projet de Webb est devenu de plus en plus tangible, les questions liées aux droits télé, aux accords de licences ou aux sponsors ont commencé à dégrader les relations. Le directeur technique de l’époque, Steve Farrell, déclarait que ce projet était "un cauchemar juridique".

Les dirigeants de l’ESL qui ont pour projet de créer un championnat de matchs amicaux glorifiés pourraient apprendre une ou deux choses de la Superleague Formula. Même si personne ne l’avait demandé, ce championnat n’a jamais prétendu être ce qu’il n’était pas.

"Il y avait beaucoup de subventions de la part de la Superleague", explique aujourd’hui Farrell. "Le modèle n’a jamais vraiment été viable sur le plan commercial."

"Le concept des clubs ne fonctionnait pas pour les organisateurs", reconnaît Alan Docking. "Ils espéraient que des sponsors viennent s'associer au championnat via les clubs, mais cela ne s’est pas produit. Les sponsors de ces clubs n’étaient pas intéressés par le sport automobile."

L’effondrement en 2009 de l’A1GP, considéré comme la "Coupe du monde de la course automobile", a donné lieu à un étrange mélange de clubs et de nations se disputant le titre pour la dernière saison de Superleague Formula, en 2011. Deux meetings eurent lieu, avant que le projet ne disparaisse. C’est l’ancien pilote d’A1GP, John Martin, qui a remporté le championnat pour l’écurie de Docking, elle-même aux couleurs de l’Australie.

"On pensait pouvoir transformer les choses qui ne fonctionnaient pas avec les clubs grâce aux pays", confesse Farrell. "La beauté de ce format, c’est qu’il n’y a pas besoin de demander au pays pour mettre 'Angleterre' sur la voiture… Cela a rendu les choses plus faciles et le modèle a fonctionné. Le projet a failli atteindre le sommet de la montagne et il allait dévaler l'autre versant, mais il a chuté au dernier obstacle, sur deux ou trois choses stupides."

 

"S’ils avaient commencé avec ce format, ils seraient allés bien plus loin", ajoute Docking. Mais malgré l’échec final et l’arrêt prématuré de la saison 2011, la Superleague Formula fut un projet dont les organisateurs pouvaient être fiers. Véritable carrefour pour les pilotes en début et fin de carrière, le championnat a fourni de grands moments de spectacle, comme lorsque Davide Rigon s'est retrouvé en marche arrière pour conserver ses espoirs de titre en 2010. De plus, c’est cette volonté de tester des choses nouvelles qui a plu et a fait son succès, notamment auprès des pilotes impliqués.

"Tout le monde dit que c’est la chose la plus incroyable dans laquelle ils ont été embarqués, et je suis totalement d’accord", ajoute Farrell. "Vous aviez la liberté d’ignorer tout ce qui vous limite habituellement dans le sport automobile en disant 'voilà comment on crée un championnat captivant'. On pouvait s’asseoir et rêver d’une idée, comme la super finale ou le format complet du week-end. C’était simplement sensationnel."

Pérez et sa bande de dirigeants destructeurs, qui ont pour projet de créer un championnat de matchs amicaux glorifiés, pourraient apprendre une ou deux choses de la Superleague Formula. Même si personne ne l’avait demandé, ce championnat n’a jamais prétendu être ce qu’il n’était pas. Il a appris de ses erreurs et a évolué, sans mettre à sac son propre monde.

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