Opinion

Pourquoi la F1 doit abolir le point du meilleur tour

Ce concept est imparfait depuis que la Formule 1 l'a réadopté en 2019, et chaque semaine qui passe tend à montrer qu'accorder un point pour le meilleur tour en course est une mauvaise idée.

Valtteri Bottas, Mercedes W12

Photo de: Glenn Dunbar / Motorsport Images

Contenu spécial

Motorsport.com vous propose un contenu spécial de qualité.

Les statistiques sur le meilleur tour en course n'ont jamais été complètement représentatives, avec de nombreux facteurs à prendre en compte dans leur interprétation. Par exemple, le fait que les grands rivaux Alain Prost et Ayrton Senna aient signé 41 et 19 meilleurs tours respectivement nous dit quelque chose sur leur approche d'un week-end de course, mais ce n'est qu'un aspect dans la globalité des choses.

De même, Kimi Räikkönen est troisième dans la hiérarchie historique des meilleurs tours. C'est en partie grâce à sa véritable rapidité chez McLaren, mais plus de la moitié de ses 46 réalisations datent de l'époque Ferrari, souvent en fin de course à un moment qui les rend dépourvues de toute pertinence.

Pourquoi la Formule 1 a-t-elle décidé du retour du point pour le meilleur tour en course en 2019, 60 ans après sa disparition ? Quand l'annonce a été faite en mars 2019, Ross Brawn, manager sportif de la F1, a déclaré : "Avec la FIA, nous sommes engagés depuis un certain temps à évaluer des idées et des solutions qui peuvent améliorer le spectacle tout en maintenant l'intégrité de notre sport. Nous avons envisagé cette solution, qui représente une réponse à des recherches détaillées menées auprès de milliers de nos fans dans le monde entier, pendant plusieurs mois."

"Combien de fois avons-nous entendu les pilotes à la radio demander quelle équipe détient le meilleur tour en course ? Désormais, ce ne sera plus seulement une question de palmarès et de prestige, il y aura une motivation concrète qui rendra la dernière partie de la course encore plus intéressante."

Lewis Hamilton receives the 2020 DHL Fastest Lap award

Ce n'était pas la pire idée du monde, mais il était inévitable que cela change la manière dont les écuries et les pilotes gèrent leurs affaires. L'exemple le plus évident en est peut-être le récent Grand Prix du Portugal, où deux pilotes du top 3 sont rentrés au stand en fin d'épreuve afin d'obtenir ce point bonus.

Max Verstappen a signé le meilleur tour mais en a été privé car il n'avait pas respecté les limites de la piste, Valtteri Bottas héritant de ce point. Le leader Lewis Hamilton, qui avait vaincu ces deux rivaux et était détenteur du meilleur tour avant un arrêt tardif (mais prévu) de Sergio Pérez, a été raisonnable et n'a pas pris le risque d'un autre changement de pneumatiques. Il s'est passé la même chose à Barcelone une semaine plus tard.

Il ne s'agit pas de critiquer les équipes et pilotes qui ont effectué ces arrêts tardifs. Cela a du sens pour eux de jouer ce point supplémentaire si l'écart derrière est suffisamment grand. Mais l'un des idéaux de la F1 est sa méritocratie. Souvent, le meilleur tour ne revient pas au pilote qui le mérite. Cela a toujours été le cas en raison de l'évolution des courses, ou du besoin de prendre soin des voitures auparavant ou de baisser la puissance désormais, mais la situation actuelle l'exacerbe.

Le record du nombre de meilleurs tours, détenu par Michael Schumacher avec 77 réalisations, est d'ailleurs probablement l'un des seuls que Hamilton ne battra pas. Il est "seulement" deuxième, avec 55 à son actif.

Il est parfois difficile de déterminer quand est-ce qu'un arrêt tardif a pour but d'obtenir le meilleur tour. Par exemple, Christian Horner a laissé entendre que la stratégie de Pérez au Portugal avait pour but de lui donner de meilleures chances d'obtenir ce point supplémentaire, même si le Mexicain n'a pas fait d'arrêt en plus. Cependant, dans la plupart des cas, c'est très clair.

Sergio Perez, Red Bull Racing RB16B, makes a pit stop

Sur les 45 Grands Prix qui ont eu lieu depuis le retour du point pour le meilleur tour en course, à 17 reprises (soit près de 40%) il a été marqué par un pilote qui a fait un arrêt au stand tardif probablement dans ce but. Et cela ne compte pas les meilleurs tours signés par des pilotes qui sont passés par les stands pour d'autres raisons telles que des crevaisons.

Il est intéressant que cela n'inclue pas le meilleur tour de Lando Norris au Grand Prix d'Autriche 2020, dû à un dernier tour exceptionnel avec une puissance maximale alors qu'il était en quête de son premier podium en F1, avec succès.

Cela ne revient pas à dire qu'aucun de ceux qui ont signé le meilleur tour grâce à un arrêt tardif n'a de mérite. Au Grand Prix de Hongrie 2020, Hamilton était si dominateur qu'il a été capable de rentrer au stand, de faire le meilleur tour et de gagner quand même. Mais c'est l'exception qui confirme la règle.

Les deux fois où Pierre Gasly a signé le meilleur tour avec Red Bull en 2019, c'est précisément parce qu'il n'arrivait pas à tenir le rythme des leaders mais était suffisamment loin devant le reste du peloton pour passer au stand. En d'autres termes, il a été récompensé de ne pas faire du très bon travail.

On pourrait soutenir que c'est simplement devenu un des nombreux facteurs de la course, mais cela tend à défavoriser les pilotes qui ont le plus de chances de mériter ce point. Cela ne semble pas être une manière juste ou pure de rendre le championnat serré, ce qui semble désavouer l'argument de Brawn sur "l'intégrité".

Par ailleurs, seuls les pilotes qui finissent dans le top 10 peuvent marquer ce point. On imagine qu'il s'agit d'empêcher ceux qui sont en dehors de s'arrêter au stand pour se l'octroyer (même si l'on se demande pourquoi ils auraient moins de mérite qu'un pilote de top team qui le fait lors d'une course médiocre). Mais cela peut nuire à des pilotes qui méritent ce meilleur tour en performance pure.

Pierre Gasly, Red Bull Racing RB15

Bottas a signé le meilleur tour de manière légitime au Grand Prix du Brésil 2019 mais a ensuite été contraint à l'abandon, devenant l'un des deux pilotes depuis 2019 à avoir réalisé cette performance sans obtenir le point qui va avec (aux côtés de Kevin Magnussen à Singapour la même année). Si Charles Leclerc avait été complètement lâché par sa Ferrari après sa performance spectaculaire au Grand Prix de Bahreïn 2019, il aurait connu le même sort, alors qu'il avait bien plus de mérite que certains pilotes susmentionnés.

Et imaginez si quelqu'un perdait une course à cause d'un problème, comme une course mal fixée, lors d'un arrêt au stand dédié à l'obtention de ce meilleur tour. Ce serait un coup de théâtre, certes, mais pas forcément ce que devrait être la F1. Et il convient de mentionner que sans son arrêt tardif pour chausser des pneus neufs, Verstappen aurait sûrement battu Hamilton pour la victoire au dernier tour du Grand Prix de Grande-Bretagne 2020...

Le pire, c'est que cela pourrait changer l'issue du Championnat du monde. Ce n'est pas aussi mauvais que l'idée des points doublés au Grand Prix d'Abu Dhabi 2014, mais il y a un précédent : Stirlng Moss a mal lu le panneau qui lui était montré alors qu'il dominait le Grand Prix du Portugal 1958 et n'a donc pas tenté de reprendre le meilleur tour à Mike Hawthorn, qui a marqué ce point bonus pour la cinquième fois de la saison. À la fin de l'année, Moss avait quatre victoires à son actif contre une pour Hawthorn, mais a perdu le championnat pour un point, résultat unanimement considéré comme l'une des grandes injustices de l'Histoire de la F1 – à moins d'être un fan invétéré de Hawthorn.

Mike Hawthorn and Stirling Moss

Cette règle a également tendance à favoriser ceux qui ont la voiture la plus rapide. Les grands pilotes peuvent parfois faire la différence sur un Grand Prix ou une saison grâce à leur talent, leur constance et l'absence d'erreurs, mais ils peuvent difficilement surmonter un désavantage technique pour faire le meilleur tour.

Jackie Stewart et Alain Prost (tous deux au volant de ce qui pouvait être considéré comme la troisième voiture la plus rapide) n'ont signé que trois et deux meilleurs tours respectivement lorsqu'ils ont remporté les championnats 1973 et 1986, dans ce qui est considéré à juste titre comme deux des plus belles campagnes jamais réalisées en F1.

C'est en qualifications que l'on voit la véritable rapidité des F1, avec pour récompense une position favorable sur la grille de départ. Les éléments nécessaires à la victoire sont bien plus complexes. Le meilleur tour en course tombe dans une zone grise entre les deux.

Le point du meilleur tour était une expérience intéressante. Mais il ne récompense pas ceux qui devraient l'être, fausse encore plus les statistiques et peut entraîner des scènes plus grotesques qu'intéressantes à la fin d'une course. Il est temps d'y mettre un terme.

Kimi Raikkonen, Ferrari SF71H

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Pérez espère une prolongation qui se fera "naturellement"
Article suivant "Tout va bien" entre Norris et Gasly malgré l'incident en France

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France