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Opinion - Alonso, un mauvais avocat pour une cause juste

En évoquant la question de la cohérence des décisions des commissaires, Fernando Alonso a mis sur la table un vrai sujet de débat. Mais sa façon de l'aborder n'est malheureusement pas de nature à poser les conditions de discussions saines.

Fernando Alonso, Alpine F1

Photo de: Alpine

En tirant tout droit dans l'échappatoire du virage 2 à Sotchi, sans prendre la peine d'envisager de rester sur la piste et sans perdre beaucoup de vitesse, Fernando Alonso n'a pas triché. Oh que non, il a assuré qu'il voulait prouver quelque chose. Ce quelque chose, c'est que les décisions des commissaires diffèrent en fonction du pilote soupçonné d'une infraction.

Raté. Comme d'autres avant lui cette saison, ce dont il s'est d'ailleurs plaint dès juillet, il n'a pas été sanctionné alors même qu'il était tout à fait possible de le faire en tenant compte des faits et des règles en vigueur (qui ne sont pas seulement constituées des instructions du directeur de course sur la manière de naviguer dans l'échappatoire).

Du coup, deux semaines plus tard, alors que son tout-droit a soulevé quelques questions, sans plus, il a tenté de se justifier en élargissant son champ de recherche : ce n'est pas seulement la cohérence des commissaires qui est en jeu, c'est la cohérence des débats qui sont lancés. Sous-entendu : si le virage coupé de Sotchi a été traité différemment dans le débat public (ce qui est déjà discutable, mais passons), c'est parce que c'est moi, Fernando Alonso, qui l'ai commis.

"Il y a différentes règles pour différentes personnes, ou différentes discussions pour différentes personnes", a-t-il ainsi déclaré en conférence de presse à Istanbul, mélangeant déjà deux sujets différents, avant d'ajouter à la confusion le soupçon de la collusion et/ou du favoritisme : "Attendons de voir qui sera le prochain à couper la ligne blanche à l'entrée des stands, attendons de voir quelle sera sa nationalité et quelle sanction il aura."

Dans un exercice de brouillage des pistes, une spécialité des démagogues, voici qu'Alonso, partant de la problématique simple de la cohérence des décisions prises par les commissaires, mixe plusieurs sujets en une bouillie rhétorique, comme pour mieux faire oublier que sa soi-disant démonstration russe (que d'aucuns appelleront simplement et poliment "tentative réussie de contournement des règles") s'est soldée par un échec – si tant est que l'on veuille bien y croire.

Quoi qu'il en soit, ce qui ressort de son discours c'est : si les commissaires ne vous sanctionnent pas ou qu'il n'y a pas de débats sur vos infractions présumées, c'est sans doute que vous devez avoir la bonne nationalité (ou que vous êtes la bonne personne). Et au vu de l'exemple choisi dans la déclaration ci-dessus, une référence à la simple réprimande reçue par Lando Norris pour avoir franchi la ligne blanche à l'entrée des stands à Sotchi, il désigne implicitement les Britanniques.

Si le système des commissaires est mis en place de façon à permettre aux Britanniques de s'en tirer, il a très mal fonctionné.

Une théorie intéressante, qui a tout de même tendance à se heurter à un petit problème : si l'on prend par exemple le classement des pilotes qui ont reçu le plus de points de pénalité sur la dernière saison complète, donc 2020, figurent aux quatre premiers rangs : Alex Albon, Lewis Hamilton, George Russell et Lando Norris. Tous de nationalité britannique (Albon court sous licence thaïlandaise depuis 2013 mais a grandi comme citoyen britannique). Si le système des commissaires est mis en place de façon à permettre aux Britanniques de s'en tirer, il a donc très mal fonctionné l'an passé.

Blague à part, Alonso est un homme malin et un communicant particulièrement en prise avec les fans. Le discours qu'il tient, et dont il faut signaler qu'il fait suite à des propos stigmatisant le traitement par les médias spécialisés des pilotes non britanniques dans des luttes pour le titre face à des Britanniques, est habilement calqué sur ce qui peut se lire ça et là dès qu'une discussion sur le sujet s'engage sur les réseaux sociaux, dans les forums spécialisés ou dans les commentaires d'articles.

La domination de Hamilton sur la Formule 1 ces dernières années, en plus de la radicalisation des discours et du développement d'un supporterisme qui s’accommode mal de la retenue et de l'objectivité, a eu tendance à faire se multiplier les tenants d'une vision des décisions des instances (au sens large, puisque cela va de l'établissement des règles aux décisions des commissaires) qui favoriseraient le septuple Champion du monde et Mercedes.

Comme dans toute discipline sportive, ce débat n'est en lui-même pas inintéressant s'il pouvait se tenir de façon sereine : arbitre-t-on différemment les équipes/sportifs qui dominent un sport ? Si oui, pourquoi ? Comment cela peut se traduire et à quelle fréquence ? Au GP de Russie 2020, alors que Hamilton avait écopé de deux points de pénalité pour les procédures de départ hors zone et se trouvait dangereusement proche d'être suspendu selon le système du permis à points, les instances avaient de façon inhabituelle choisi d'effacer ces deux points, en faisant reposer la responsabilité de l'incident sur l'équipe. Il est légitime de se demander si un tel retour en arrière aurait été fait si la superstar de la discipline n'avait pas été concernée, quand bien même il y avait là encore des interrogations de fond pertinentes sur la question de la responsabilité et le système du permis à points.

Mais ces questionnements ne sont pas propres à la F1 et ne traduisent pas, dans l'écrasante majorité des cas, un quelconque favoritisme. Toutefois, ces dernières années, au lieu d'un certain fatalisme sur le sujet ou de débats courtois, c'est une vraie guerre de tranchées qui s'est mise en place. La FIA, qui a longtemps été qualifiée de "Ferrari International Assistance" à une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas et où la Scuderia empilait les titres, est désormais affublée du sobriquet de "maFIA" dès qu'une décision ou même une enquête est menée en pouvant avoir un impact positif pour Mercedes ou Hamilton. Et, par capillarité, ce monde majoritairement anglo-saxon qu'est la F1 protégerait aussi les concurrents venus d'outre-Manche.

Bref, Alonso connait ce contexte et sait sur quelle vague il surfe. Le problème, c'est qu'il y a pourtant là un vrai sujet. Le débat sur les décisions des commissaires et leur cohérence globale n'est pas à prendre à la légère. Dans un sport planétaire et populaire, aux intérêts sportifs et économiques si grands, dont l'ambition est de toucher un public plus jeune et plus nombreux, ce qui va encore renforcer la pression des intérêts divers, il est clair que le système actuel pose question.

D'autant plus qu'il suffit de retirer deux roues et de regarder le Championnat du monde voisin, à savoir le MotoGP, pour savoir qu'un système avec un collège unique de commissaires est possible et, peut-être, souhaitable. Tout comme la vidéo en football, ceux qui croient que cela changera drastiquement les choses et éradiquera une grande partie des problèmes se trompent (là encore, il suffit de regarder du côté du MotoGP, qui n'est pas exempt de polémiques), mais au moins il sera plus simple de parvenir naturellement à une cohérence d'ensemble puisque les décisions seront prises par les mêmes personnes. Aujourd'hui, le fait qu'il y ait un collège de commissaires différent à chaque épreuve contribue, malgré les efforts d'uniformisation mis en œuvre par la FIA, à brouiller parfois les lignes.

Alonso n'est pas un justicier solitaire qui se dresse face à un pouvoir corrompu en brandissant une indicible vérité : non, Fernando Alonso défend les intérêts de Fernando Alonso.

Outre la simple question des sanctions (ou de leur absence), il y a ce qui est peut-être encore plus important : leur rédaction et donc leur justification. Sur ce plan, les variations sont parfois incroyables. Et c'est un vrai problème car face à une décision laconique et en l'absence de communication de la part des commissaires eux-mêmes (il faut rappeler que si Michael Masi assure après chaque GP le SAV auprès des médias, ce n'est pas lui qui participe à la prise de décision), comment saisir ces nuances qui, entre deux faits très proches, vont justifier que l'on parvienne à une solution différente ?

Le paddock F1 est un monde opaque, et beaucoup de choses se disent en coulisses loin des yeux et des oreilles du public, mais les décisions rendues par les commissaires sont des documents publics qui, chose assez rare pour un sport aussi complexe, sont disponibles assez rapidement sur le site de la FIA. Leur importance dans la compréhension et dans l'éducation des fans ne devrait pas être négligée.

Et face à ces questions légitimes, ces problématiques importantes, Alonso n'est pas un justicier solitaire qui se dresse face à un pouvoir corrompu en brandissant une indicible vérité : non, Fernando Alonso défend les intérêts de Fernando Alonso, Fernando Alonso justifie le virage coupé par Fernando Alonso. Et le discours volontairement brouillé qu'il sert – en prenant bien soin de flatter les bas instincts des fans qui y voient la confirmation que le système est vicié, voire pire, truqué – n'est pas de nature à ouvrir le débat mais bien à agrandir le fossé qui sépare les différents acteurs et à radicaliser encore un peu plus les discours en mettant sa notoriété au service d'une théorie complotiste, avec comme effet secondaire (intentionnel ?) de possiblement mettre la pression sur les commissaires.

Je ne résiste pas au plaisir de terminer en mettant en avant ce qui s'est passé lors des qualifications du Grand Prix de Turquie, pour ce qui constitue une des dernières décisions en date prise par les commissaires. Lors de la Q1, courue sur une piste séchante, Alonso a débuté son tout premier tour lancé en passant dans une zone de doubles drapeaux jaunes. Il est allé au bout de son tour. Après la séance, il a été convoqué par les commissaires pour un soupçon de ralentissement insuffisant. Cela n'a pas manqué d'amuser et même, bien entendu, d'être vu comme la conséquence de ses déclarations 48 heures auparavant.

On rappellera au passage tout à fait innocemment que c'est une infraction pour laquelle, entre autres, Hamilton, Russell et Norris avaient écopé de plusieurs places de pénalité sur la grille l'an passé, respectivement aux Grands Prix d'Autriche, de Grande-Bretagne et de Turquie.

Les commissaires à Istanbul ont toutefois décidé de n'infliger aucune sanction, car le temps d'Alonso dans le tour suivant celui de l'infraction présumé était selon leurs analyses "approximativement 3,5 secondes plus rapide". Le souci, c'est que plusieurs écuries ont en privé fait part d'une certaine incompréhension : les conditions évoluaient rapidement et, dans les faits, au moment où son premier chrono a été signé, il s'agissait d'un tour compétitif, alors que d'autres pilotes avaient quant à eux significativement relâché leur effort.

Chacun tirera les conclusions qu'il veut sur cet épisode mais, une chose est sûre : Alonso n'est pas britannique.

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