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Fernando Alonso et Renault, le remariage parfait ?

Fernando Alonso va mettre fin à deux années d'absence en Formule 1 pour retrouver la grille avec Renault l'année prochaine. Les deux parties ont déjà une histoire commune, mais est-ce une raison suffisante, ou bien ce remariage est-il destiné à se retourner contre l'équipe et son pilote ?

Dossier Fernando Alonso dans GP Racing

Dossier Fernando Alonso dans GP Racing

GP Racing

Pourquoi l'écurie Renault a-t-elle fait signer Fernando Alonso pour qu'il fasse son retour en Formule 1 en 2021 ? Une meilleure façon de poser la question pourrait être : pourquoi ne l'aurait-elle pas fait ? Après tout, l'on parle de l'un des plus grands pilotes de l'Histoire de la F1. Si une écurie cherchant à renouer avec le succès peut profiter du niveau de performance qu'Alonso peut apporter, pourquoi ne saisirait-elle pas l'opportunité ? On parle du niveau de de quelqu'un qui, par exemple, a permis à la deuxième voiture la plus lente du plateau de terminer sixième du championnat constructeurs il y a deux ans.

C'est ce que permet d'avoir Fernando Alonso : un pilote qui va extraire la performance d'une voiture comme presque aucun autre en est capable. C'est ainsi que Martin Whitmarsh, ancien directeur de McLaren, résume l'apport du pilote espagnol : "Les grands pilotes marquent les points que la voiture mérite. Les pilotes exceptionnels – comme lui – en marquent plus que ce que la voiture mérite. Un seul autre pilote avec lequel j'ai travaillé était capable de le faire. C'était au début de ma carrière et il était brésilien."

Cet "autre pilote" auquel Whitmarsh fait référence est naturellement Ayrton Senna. Cependant, il y a des réserves émises concernant Alonso, et elles sont importantes. Nous allons y venir. Mais d'abord, revenons sur ce dont Renault va bénéficier. Même s'il a aujourd'hui 39 ans, Alonso était clairement le meilleur pilote que l'écurie pouvait recruter.

N'oublions pas à quel point il est fort

Fernando Alonso, Arrow McLaren SP Chevrolet

"En F1, il est question d'avoir les meilleurs pilotes", dit George Russell chez Williams. "Fernando est absolument l'un des meilleurs. Ça a clairement du sens pour Renault et Fernando, et je pense qu'il va revenir faire de l'excellent boulot."

Alonso est une idole sportive internationale, un statut qu'il a acquis au cours d'une carrière de vingt ans et qui ne laisse aucun doute possible quant à sa stature de pilote de course. Les statistiques de sa carrière sont suffisamment impressionnantes : ses 32 succès en font le sixième pilote le plus victorieux de l'Histoire de la F1. Ajoutez à cela deux titres mondiaux et le troisième total de points le plus élevé, même si la pertinence de ce dernier chiffre est à relativiser compte tenu de l'évolution moderne du barème.

Toujours est-il que ce sont ces statistiques qui mettent vraiment en avant les qualités d'Alonso. Avec onze points de plus répartis correctement en 2007, 2010 et 2012, il serait même quintuple Champion du monde. S'il n'avait pas eu une malchance inouïe, dont il n'était pas responsable en 2010 et 2012, Alonso serait quatre fois Champion du monde. Tout ceci alors qu'il n'a probablement jamais piloté la meilleure voiture du peloton dans sa carrière. Même Pat Symonds, patron technique de Renault à l'époque, a récemment reconnu dans un podcast de la F1 que l'écurie n'aurait gagné aucun des deux titres mondiaux en 2005 et 2006 sans Alonso.

Ce qui distingue avant tout Alonso, c'est sa capacité d'adaptation, la souplesse qui lui permet de tirer le meilleur parti de n'importe quelle voiture, quel que soit son comportement. "Il est très rapide sur un tour", explique Symonds. "Il y en a probablement qui peuvent être proches de lui en qualifications, mais quand il faut gérer une course, savoir comment la prévoir, comment utiliser la voiture, il ressemble à Schumacher, à Senna. Il a cette capacité à avoir une vision d'ensemble de la course, du début à la fin."

Directeur de la performance chez McLaren, Andrea Stella a travaillé avec Alonso pendant neuf ans, chez McLaren et Ferrari, de 2010 à 2018. Il perçoit chez l'Espagnol un "cercle vertueux" de qualités, "avec Fernando très haut placé pour chacune d'entre elles mais pas forcément le meilleur pour chacune". "Il est très complet", ajoute-t-il. "On a du mal à trouver un point faible concernant ses talents de pilotage à haut niveau."

Sera-t-il aussi bon qu'il l'était ?

Dossier Fernando Alonso dans GP Racing

Peu importe à quel point Alonso fut bon durant son premier passage en F1, il y aura inévitablement des interrogations quant au fait qu'il puisse revenir au même niveau. Alonso aura 40 ans durant la saison 2021 et le parallèle sera forcément dressé avec le comeback d'une autre légende, Michael Schumacher. Lors de son retour en F1 à l'âge de 41 ans avec Mercedes, l'Allemand n'avait pas été au même niveau que lorsqu'il avait remporté ses sept titres mondiaux.

Il y a toutefois un certain nombre de pilotes qui ont prouvé que l'âge – ainsi qu'une pause en F1 – ne constituaient pas un obstacle au succès. Alain Prost a remporté son quatrième titre à 38 ans, après une année sabbatique. Nigel Mansell a finalement décroché la couronne en 1992 à 39 ans, est parti en Amérique pour gagner le championnat IndyCar à 40 ans, puis est revenu en F1 en 1994 pour remporter le Grand Prix d'Australie en partant de la pole position, à 41 ans. Fin 1982, Mario Andretti est revenu en F1 avec Ferrari à l'âge de 42 ans et a immédiatement signé la pole position. Il est resté compétitif en IndyCar après 50 ans. Quant au dernier cas de figure, il date des années 50, mais Juan Manuel Fangio avait 40 ans lors qu'il a remporté le premier de ses cinq titres…

Schumacher est l'exemple le plus récent. Néanmoins sa situation et celle d'Alonso ne sont pas comparables. Schumacher avait été victime d'une grave blessure au cou dans un accident de moto en 2009 et certains pensent, même s'il prétendait le contraire, que cela a joué lors de son retour. Il ne connaissait pas non plus les pneus Pirelli et leur propension à surchauffer, l'empêchant de piloter comme il le faisait auparavant. Alonso, lui, reviendra un an plus tôt par rapport à Schumacher et il est resté compétitif dans d'autres catégories.

En 2019, Alonso a passé six mois en WEC, remportant les 24 Heures du Mans une seconde fois, tout en échouant à se qualifier pour les 500 Miles d'Indianapolis en raison des ennuis rencontrés par McLaren. Puis il y a eu six mois de préparation pour le Dakar, auquel il a participé en janvier. Cette année, il a fait son retour à Indianapolis en août, avant de commencer à travailler avec Renault.

"L'année dernière a été une saison très active pour moi", a rappelé Alonso lorsque l'accord avec Renault a été annoncé, en juillet. "J'étais presque chaque semaine derrière un volant. Je me sens prêt et à 100% au niveau du pilotage. Physiquement aussi, j'ai dû préserver mon corps. J'ai dû commencer une préparation très spécifique. J'ai débuté en février et je suis maintenant à 100%. J'ai fait des tests physiques et j'ai eu les meilleurs résultats de ma carrière. Je suis motivé, heureux et plus fort que jamais. Le chrono est la seule chose qui compte, pas l'âge."

Directeur général de Renault F1, Cyril Abiteboul affirme que l'âge d'Alonso n'est "pas une inquiétude", avant de préciser : "C'est quelque chose dont nous avons tenu compte, nous avons pris le temps d'en discuter. Ce qui compte le plus n'est pas le statut ou la situation physique, c'est davantage la motivation. J'imagine que la seule chose qui a une incidence sur le niveau de performance, à un certain âge, est le niveau de motivation. C'est pourquoi nous avons pris le temps de discuter de ce qu'il a pu faire en dehors de la F1, en F1 aussi, de la manière dont il voit le projet, de ce que nous serons capables de lui offrir ou pas en 2021, ainsi que des perspectives pour 2022. En se basant sur tout ça, selon moi, l'âge n'est pas un facteur pour la durée de notre contrat."

Daniel Ricciardo, celui qu'Alonso remplacera chez Renault, ne voit pas de problème non plus sur ce point. "On ne dirait pas qu'il soit plus lent avec l'âge", fait remarquer l'Australien en repensant à la saison 2018, lors de laquelle Alonso a battu son coéquipier Stoffel Vandoorne chez McLaren lors de chaque séance de qualifications et a inscrit 81% des points de l'écurie. "Sa dernière saison en F1 était solide, de ce que j'ai vu. Il était évident qu'il tirait le meilleur de la voiture." Ancien pilote de F1 et proche d'Alonso, Pedro de la Rosa acquiesce : "Il sera aussi rapide qu'il l'était, c'est certain. Car il s'entraîne tous les jours depuis qu'il a quitté la F1, il pilote des voitures différentes, et il a un talent inné."

Comment les liens se sont-ils renoués ?

Fernando Alonso, Renault F1 Team

La décision finale prise par Renault de s'allier pour la troisième fois à Alonso est intervenue après l'annonce du départ de Daniel Ricciardo chez McLaren, quand le premier domino est tombé avec la non-prolongation de Sebastian Vettel chez Ferrari.

De l'extérieur, on voyait qu'Alonso était le seul espoir de l'équipe, et vice-versa. Mais ce serait une erreur de représenter entièrement les choses ainsi. Abiteboul dit que Renault discutait avec Alonso depuis son retour avec une équipe d'usine en 2016. Il confirme aussi qu'il y a eu de sérieuses discussions l'an dernier, lors du dernier Grand Prix de la saison à Abu Dhabi. Selon Abiteboul, Alonso "est un observateur très intelligent de ce qui se passe dans le paddock". L'Espagnol avait pris note des récents changements de personnel chez Renault, dont le recrutement du nouveau directeur technique Pat Fry, avec qui il a travaillé par le passé chez McLaren et Ferrari.

"Les discussions ont débuté bien avant la décision de Daniel de partir pour McLaren", révèle Abiteboul. "Je ne sais pas où les choses nous auraient menés si Daniel avait pris une décision différente, et franchement, le timing de sa décision ne nous a pas aidés. Nous étions concentrés sur d'autres aspects. Mais c'est derrière nous, et je suis très à l'aise avec ce choix."

Abiteboul reconnaît que les "liens émotionnels" du passé ont joué. Mais il y a aussi eu un processus de décision rationnel. Directeur non exécutif de Renault, Alain Prost a confié que l'équipe avait discuté avec trois pilotes de pointe : Alonso, Vettel et Valtteri Bottas. Alonso a été préféré à Vettel. "Valtteri pilote une Mercedes et c'est difficile pour lui de quitter cette équipe pour le moment", explique-t-il. "Nous ne connaissions pas exactement la motivation de Sebastian. Mais Fernando a toujours démontré sa motivation à l'idée de revenir dans l'équipe."

Certains ont critiqué Renault d'avoir choisi Alonso plutôt qu'un jeune pilote de son programme. En réalité, ce n'était pas du tout un choix. Ricciardo s'en allant, le seul pilote engagé chez Renault était Esteban Ocon, qui doit encore faire ses preuves au plus haut niveau. Il était presque inconcevable de voir une équipe ayant l'ambition de gagner des courses en 2022 se lancer dans cette saison-là avec un duo formé par Ocon et un pilote promu de la F2, tout aussi prometteurs que soient Guanyu Zhou et Christian Lundgaard.

Par ailleurs, Renault est encore au milieu du processus qui doit transformer l'équipe en top team. Quelqu'un avec l'expérience et la sagesse d'Alonso peut jouer un rôle important à cet égard. D'un autre côté, il y a la "culture de la gagne" qu'il apporte avec lui et qu'il cherchera à imposer à Renault. Et puis il y a la certitude de voir ses qualités donner un coup de fouet à l'ingénierie.

"Un aspect intéressant avec Alonso, c'est que lorsqu'il y a un problème, il a tendance à se voir dans tous les virages", explique Andrea Stella. "S'il y a trop de survirage, on le verra quasiment partout. D'autres pilotes diraient qu'il y a du sous-virage là, du survirage ici. On peut créer son propre sous-virage, par exemple. Si la voiture est un peu nerveuse, qu'on ne s'engage pas suffisamment tôt pour tourner, par exemple. Cela décale le virage et il y aura toujours du sous-virage en milieu de courbe. Mais tous les pilotes ne réalisent pas que cet équilibre en milieu de courbe est surtout le résultat de ce qui se passe cinquante mètres plus tôt. Et c'est très compliqué pour un ingénieur, car si l'on va juste voir le pilote, on est perdu car on reste focalisé sur le sous-virage de milieu de courbe."

L'épineuse question de son attitude

Fernando Alonso, McLaren Mercedes MP4/22

Renault avait des doutes concernant Alonso, basés sur l'historique des tensions qu'il a connues avec ses précédentes équipes. Il y a évidemment le tristement célèbre épisode de McLaren en 2007. Mais son passage chez Ferrari s'est également achevé avec un certain degré d'animosité. Si les relations se sont plus tard remises d'aplomb avec McLaren, ça ne s'est pas bien terminé non plus avec le motoriste Honda. Hurler "GP2 engine, GP2 engine" à la radio dans la ligne droite de Suzuka peut être vu comme l'un des débordements les moins réfléchis d'Alonso. Il l'a payé plus tard en voyant Honda refuser de le motoriser pour Indianapolis.

"Ce qui s'est passé avec Fernando et différentes équipes était mon plus gros problème et point d'interrogation", concède Prost. "J'en ai parlé à Fernando à de nombreuses reprises. Je lui fais vraiment confiance pour qu'il ait une autre philosophie. À mon avis, les deux années passées en dehors de la Formule 1 n'étaient peut-être pas une mauvaise chose pour lui afin d'avoir un ressenti différent, une vision différente. Il sait ce qu'il va avoir au niveau des performances de la voiture, il sait que 2021 sera aussi un peu difficile. Il y est préparé... Je crois vraiment qu'il sera très différent de ce que les gens imaginent."

Abiteboul ajoute : "C'est l'une des raisons pour lesquelles il était important pour lui de prendre du recul par rapport à la F1. Ne sous-estimons pas à quel point la F1 peut être impitoyable et toxique. Peu importe à quel point l'on travaille dur, à quel point l'on pense être bon, parfois c'est juste impossible. Je crois qu'à un moment donné, c'est ce qui fait voir rouge à chacun d'entre nous, à l'exception peut-être de Toto [Wolff], Mercedes et Lewis [Hamilton]. Prendre ce genre de pause est la meilleure garantie de ne pas voir ce type de choses se reproduire."

"Et puis il faut clairement nous assurer de ne pas le décevoir avec des promesses non tenues. C'est pour cela que nous avons pris le temps d'être clairs et spécifiques par rapport à là où nous nous situons aujourd'hui, là où nous nous situerons en 2021, et là où nous pensons nous situer en 2022."

Alonso tire dans le même sens : "J'en suis conscient. Je n'ai pas hiberné pendant deux ans. J'ai regardé la télévision et je sais qu'une seule équipe gagnera en 2020, et probablement en 2021. Pour les 19 autres pilotes de la grille, nous essayons de travailler avec notre équipe pour l'avenir. Je pense que la réglementation 2022 apportera une certaine équité et de l'action plus rapprochée, avec des équipes plus serrées et moins de marge pour inventer quelque chose qui offre un gros avantage de performance. Je suis détendu, conscient de ce que sera 2021 et plein d'espoir pour 2022. Il s'agit de bâtir quelque chose, d'y croire, d'avoir les capacités et l'investissement, et j'ai trouvé tout ça chez Renault."

Le nœud du problème

Fernando Alonso

Au bout du compte, même si certains tenteront de compliquer les choses, le scénario paraît limpide, puisque les deux parties l'abordent avec les yeux bien ouverts. Alonso a un contrat de deux ans et il y a des options de prolongation de part et d'autre. Il sait à quoi s'attendre en 2021, car il voit déjà la Renault qu'il pilotera et les évolutions limitées qui y sont apportées. Dans le même temps, Renault génère de la publicité en ayant Alonso dans sa voiture et en le faisant revenir en F1.

En 2022, avec une réglementation visant à resserrer la hiérarchie, l'équipe espère prendre un nouveau départ et être capable de se battre pour des victoires. Si cela fonctionne, ce sera parfait puisque Renault a l'un des meilleurs pilotes disponibles. Alonso relève le défi de remporter peut-être enfin un troisième titre mondial. Qui sait ? Si ça ne fonctionne pas, Alonso, Renault ou bien les deux pourront choisir de ne pas continuer ensemble. Qu'est-ce que l'un et l'autre ont à perdre ?

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