Opinion - L'arbitre du duel Verstappen-Hamilton n’est pas à la hauteur

Personne ne niera que le duel que se livrent Max Verstappen et Lewis Hamilton depuis le début de saison 2021, et surtout son dernier épisode en date à Interlagos, est passionnant à suivre. Mais clairement, l'arbitrage n'est pas au niveau des deux hommes.

Max Verstappen, Red Bull Racing RB16B, se bat avec Lewis Hamilton, Mercedes W12

Photo de: Charles Coates / Motorsport Images

Ce dimanche à Interlagos, il y a sans doute peu de fans de Formule 1 qui n'ont pas vibré. L'intensité du duel entre Lewis Hamilton et Max Verstappen, dans un contexte très tendu à la fois par les enjeux de la fin de saison, par les différents accrochages de la campagne et par le déroulé du week-end de São Paulo, était de nature à tenir en haleine.

Et même si cela est répété depuis longtemps dans ce championnat si particulier, il faut mesurer la chance qui est la nôtre d'assister à une lutte aussi serrée entre deux pilotes/écuries déterminés, dans laquelle le rapport de force évolue parfois énormément, quasiment d'une course à l'autre. Mais hier, outre l'aspect purement sportif de la bataille, ce qui reste de l'épreuve est le sentiment très étrange laissé par l'absence d'intervention de la direction de course et des commissaires.

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L'épisode clé est évidemment celui du 48e tour, dans lequel Hamilton se trouve enfin en position de tenter une attaque sur Verstappen. Après avoir incité le Néerlandais à se positionner à l'intérieur du premier virage, le mettant hors de position pour l'ensemble des S de Senna, le Britannique s'est retrouvé suffisamment près à la sortie du troisième virage pour que son DRS permette à la Mercedes de se porter à la hauteur puis de dépasser la Red Bull dans la seconde ligne droite, en se présentant en tête au freinage.

Jusqu'ici, rien de très inhabituel mais la suite est déterminante : dans une manœuvre soit désespérée soit calculée, Verstappen retarde bien trop son freinage, repasse devant Hamilton qui a freiné bien plus tôt, ouvre sa trajectoire puis sort de la piste jusqu'à ne pouvoir arrêter sa RB16B qu'au moment où il a dépassé la ligne blanche de l'équivalent de trois largeurs de voiture. Dans le processus, Hamilton doit sortir avec lui pour éviter l'accrochage. Verstappen reprend ensuite la piste en ayant retrouvé la position qu'il venait de céder quelques instants auparavant.

Qu'importe la manière de tourner les choses, même en étant très laxiste dans l'interprétation de la réglementation : il y a là au moins deux règles qui ont "potentiellement" pu être enfreintes, et de manière claire.

Une action, deux règles, trois infractions éventuelles

Capture d'écran GP Sao Paulo

La première règle concerne évidemment le respect des limites de piste, et plus particulièrement de l'article 27.3 du Règlement Sportif. Ce dernier dispose en premier lieu que : "Les pilotes doivent entreprendre tous les efforts raisonnables pour utiliser la piste à tout moment et ne peuvent pas délibérément quitter la piste sans raison valable." Puis le même article indique : "Si une voiture quitte la piste, le pilote peut la rejoindre, cependant, cela ne peut être fait que s'il est sûr de le faire et sans tirer d'avantage durable."

En effet, comme expliqué ci-dessus, Hamilton ayant déjà pris l'avantage sur Verstappen, le freinage très retardé (volontairement et sans blocage) s'apparente logiquement à une manœuvre de dépassement. Or, celle-ci n'a été complétée que bien au-delà des limites de piste, au milieu de la publicité Pirelli qui décore le dégagement à cet endroit.

On se rappellera que ce même Verstappen, qui avait alors dépassé de bien moins que ça les limites de piste lors de sa tentative de dépassement sur Hamilton à Bahreïn en début de saison, avait dû rendre à juste titre sa position lors de la première manche de la même saison. Plus récemment, c'est Fernando Alonso qui avait été contraint de le faire après avoir plongé sur Antonio Giovinazzi puis être sorti de piste pour finalement dépasser l'Italien aux États-Unis.

Et même si l'on considère par une interprétation très libre que Verstappen défend une position qu'il tient encore, il est évident que sa sortie de piste lui a assuré de la conserver.

La seconde règle, c'est l'interdiction de contraindre un pilote à passer hors piste. Cela est proscrit par l'Article 2 du Chapitre IV de l'Annexe L du Code Sportif International qui explique, en français dans le texte : "Des manœuvres susceptibles de gêner les autres pilotes, telles qu’entraîner volontairement un véhicule au-delà du bord de la piste ou [...] sont strictement interdites."

C'est la conséquence logique de la situation de départ et du freinage ultra tardif de Verstappen : en ne se ralentissant pas suffisamment sans être contraint à le faire et en traversant la piste depuis l'intérieur du virage jusqu'à l'extérieur de la trajectoire de sortie, le pilote Red Bull a bloqué le passage auquel Hamilton, positionné à l'extérieur, avait légitimement le droit. Ce dernier, ce n'est pas une première, a dû faire le choix d'avorter son virage pour éviter l'accrochage, se retrouvant à son tour hors piste. Si Verstappen ne retarde pas son freinage au point de sortir de piste, Hamilton semblait tout à fait en position de prendre le virage en restant dans les limites.

On se souviendra que le Grand Prix d'Autriche de cette année avait vu deux pilotes situés à l'intérieur d'un virage (Lando Norris et Sergio Pérez) être pénalisés de cinq secondes pour avoir contraint un adversaire à quitter la piste. Alors certes, nous n'irons pas jusqu'à dire que les situations sont tout à fait les mêmes, mais en l'absence d'enquête, il n'est même pas possible de comprendre en quoi leurs différences justifieraient des approches différentes.

"Let Them Race" ?

Que l'on soit partisan d'une interprétation stricte des règles ou du "let them race", il y a toujours un règlement que les concurrents ont accepté de respecter, que les instances doivent s'efforcer d'appliquer. Or ici, non seulement il n'y a pas eu de pénalité, mais il n'y a même pas eu d'enquête. C'est tout bonnement incompréhensible alors qu'il y a au moins deux voire trois infractions (ainsi qu'une victoire et donc un titre, accessoirement) en jeu.

D'autant plus qu'interrogé sur le sujet après la course, puisqu'en l'absence d'enquête officielle il n'y a dans les faits aucune justification formelle à la décision de ne pas prendre de décision, Michael Masi a livré un discours pour le moins étonnant. "On analyse et, comme je l'ai dit plusieurs fois déjà, on juge les incidents au cas par cas, et on regarde tout ça. Et n'oublions pas que nous avons les principes généraux du 'Let them race'. En regardant tout ça, avec tous les angles dont nous disposions, cette philosophie a été adoptée."

"Je pense que si vous regardez à la proximité des voitures, l'entrée dans le virage, son placement et la nature du virage. Le fait que les deux voitures soient sorties de la piste, qu'aucune n'ait perdu de place ou quelque chose comme ça, a probablement été l'avis général sur cette question."

Pourtant, en juillet, il déclarait, après l'accrochage Verstappen/Hamilton de Silverstone : "Je pense qu'il s'agit d'un élément majeur qui est un pilier depuis de nombreuses années. Et cela a fait l'objet de discussions entre toutes les équipes, la FIA et la F1 avant mon arrivée, et les directeurs d'équipe étaient tous très catégoriques : vous ne devez pas tenir compte des conséquences d'un incident."

Évoquer l'idée – déjà hautement discutable puisque Hamilton avait factuellement dépassé Verstappen dans la ligne droite (capture d'écran ci-dessous) – que personne n'a perdu de position dans l'affaire suite à la sortie des deux voitures comme élément de jugement du cas ressemble tout de même bigrement à une prise en compte des conséquences de l'incident d'Interlagos.

C'est d'autant plus injustifiable que s'il y avait eu contact entre les deux pilotes, donc si Hamilton avait pris le risque de maintenir sa trajectoire face au chantage à l'accrochage sous forme de plongeon vers le dégagement que lui a imposé Verstappen et cela sans que le Britannique soit en tort, on peine à croire que les conséquences n'auraient pas non plus été prises en compte pour cette fois bel et bien sanctionner Verstappen, sans pourtant que ce dernier n'ait agi différemment.

C'est enfin d'autant plus crucial que si Verstappen avait été reconnu coupable de l'infraction consistant à forcer son adversaire à sortir de piste, il aurait dû écoper de cinq secondes de pénalité. Et la dynamique de la fin de course, avec Bottas à ses trousses, aurait été totalement modifiée, tout comme le risque d'éprouver sa mécanique pour résister au retour du Finlandais et de perdre encore plus de points au championnat. Pour rappel, Bottas a terminé à trois secondes de la Red Bull.

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On ajoutera pour parachever le tableau que Michael Masi a expliqué sans sourciller que la décision, qui aurait pu être cruciale pour décider de la victoire – car comme on le souligne souvent, dans la F1 contemporaine, les contraintes aérodynamiques et pneumatiques d'une lutte en piste sont telles qu'il n'y a parfois qu'une seule opportunité de dépasser –, a été prise sans pouvoir visionner... la caméra embarquée de Verstappen. On ne sait même pas si, en l'absence de décision formelle qui serait susceptible de demande de révision, Mercedes peut être en capacité de soumettre l'action de Verstappen à réexamen alors même que le directeur de course a reconnu publiquement qu'il manquait un élément déterminant au moment de juger si une enquête devait être lancée.

Quand c'est flou...

Bref, c'est la dernière d'une série d'incohérences aux ramifications potentiellement énormes de la part de la direction de course et des commissaires. La réalité, désormais, c'est qu'il n'est quasiment plus possible de véritablement prédire quelle sera l'orientation d'une décision malgré des faits pour le moins clairs. Quand Masi répète que les incidents sont étudiés "au cas par cas", c'est paradoxalement sans doute plus vrai et plus problématique que jamais.

Que la réaction première de Red Bull, dans ses échanges radio avec le directeur de course sur l'incident, soit de soulever le fameux "let them race" comme carte magique pour justifier la manœuvre est également révélateur mais non moins problématique. Car quel est le poids de cette formule fourre-tout qui n'a aucune manifestation réglementaire face à des règles écrites noir sur blanc ? Quelle est son influence réelle sur la manière dont agissent les officiels ?

Visiblement, elle est énorme car c'est à la fois un argument de défense du clan Red Bull et un argument de justification de la direction de course. On notera que s'appuyer sur la réglementation devient visiblement très secondaire dans un tel contexte.

Pourtant, dans le cadre des incidents du premier tour, Masi lui-même a reconnu qu'il y avait eu un coup de frein sur le "let them race" à la demande des équipes notamment. Cela s'est appliqué pour Gasly en Turquie sur une piste humide, mais pas pour Ricciardo au Mexique sur une piste sèche. Alors, comment comprendre quand les règles s'appliquent et leur interprétation ? Pourquoi le "let them race" à géométrie variable sert à justifier tout et n'importe quoi ? Y a-t-il un pilote dans l'avion ?

Aussi, comment expliquer que, dans un week-end où les commissaires ont (à raison) fait preuve d'intransigeance (et de pédagogie avec notamment des décisions claires et argumentées), d'un côté en pénalisant l'infraction technique de Mercedes en dépit du fait qu'elle résultait d'un dysfonctionnement ou d'une casse, de l'autre en faisant enfin respecter certaines règles qui avaient été oubliées jusqu'ici (toucher une voiture sous Parc Fermé, zigzaguer en ligne droite ou défaire sa ceinture dans le tour d'honneur), le même collège ait balayé d'un revers de main toute enquête sérieuse sur la manœuvre de Verstappen ?

Les lignes sont désormais brouillées, les mêmes actions, qu'importe leur gravité intrinsèque, semblent avoir des conséquences aléatoires en fonction de considérations vagues, ponctuelles. D'un événement à l'autre, soit c'est une philosophie qui s'applique, soit ce sont les règles, soit c'est un mélange, soit ce sont des concepts jamais avancés jusqu'ici, soit un gloubi-boulga pâteux et opaque dont Michael Masi tente de faire le service après-vente à l'issue de chaque Grand Prix, quitte à se contredire d'une semaine à l'autre.

Alors que la Formule 1 vit sa saison la plus passionnante depuis au moins cinq ans et connaît un succès populaire qui ne se dément pas, l'arbitre n'est clairement pas à la hauteur des attentes en ne fixant pas de cadre clair et en ne sachant pas faire respecter ses règles ou imposer dans la durée des interprétations. Que l'on privilégie le spectacle au détriment du fair-play est une chose, mais alors il faut le dire clairement, mettre en place une interprétation claire et durable, et pas n'assumer cette position que quand il n'y a pas vraiment de conséquences.

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