Analyse

Ce que cachent les rumeurs autour d'Aston Martin et Wolff

Lawrence Stroll a bouclé le volet administratif de son investissement chez Aston Martin, mais l’opération s’est déroulée dans un contexte économique devenu délicat. Entre chute de l’action en bourse et rumeurs impliquant notamment Toto Wolff, que faut-il retenir de la manœuvre ?

Lawrence Stroll et Toto Wolff

Photo de: Glenn Dunbar / Motorsport Images

La semaine dernière, la confirmation d'une levée de fonds à hauteur de 536 millions de livres par Lawrence Stroll pour remettre à flot Aston Martin était censée être une occasion importante d'aider le constructeur britannique à se tourner vers un avenir plus brillant. Le consortium Yew Tree de Stroll apporte lui-même une manne financière significative, avec une injection de 260 millions de livres au nouveau capital, et les actionnaires ont approuvé un plan d'équipe d'usine pour Aston Martin en F1. Cela aurait dû être une situation gagnant-gagnant pour toutes les parties concernées. Mais en cette période de pandémie mondiale sans précédent, qui met les entreprises sous pression, même des chiffres aussi impressionnants n'ont pas suffi à éloigner la morosité.

L'entreprise a prévenu que, même avec la contribution de Stroll comme futur président exécutif, elle n'avait pas le capital pour survivre lors des 12 prochains mois, à moins de changer de voie et de trouver encore plus de liquidités. Dans ce contexte, la bourse a livré son verdict. Le prix de l'action tournait autour de 2,20 £ avant l'assemblée générale qui a approuvé le projet du Canadien, mais l'avertissement lancé a inquiété les investisseurs. Le lendemain, l'action a brièvement chuté à 0,65 £ avant de repasser au-dessus de la livre le jour suivant, bien qu'il puisse s'agir d'un petit rebond de courte durée. Depuis, les choses ont toutefois semblé se stabiliser, avec des signes de turbulence beaucoup moins importants sur les marchés financiers. Mercredi matin, le cours de l'action Aston Martin évoluait autour de 0,80 £.

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Il est clair que la période n'est facile pour aucun constructeur automobile, mais ce sont les marques de luxe qui risquent de subir le plus de tension lorsque l'économie finira par se redresser. Aston Martin se retrouve encore plus que quiconque sous les feux de la rampe, car la marque ouvre actuellement un nouveau chapitre. De plus, elle se met elle-même en avant puisque, dans un moment où certains concurrents pourraient remettre en cause leur engagement en F1, elle y accentue sa présence. Dans le cadre de l'investissement réalisé par Lawrence Stroll, Aston Martin va en effet délaisser son contrat de sponsor titre avec Red Bull Racing (estimé à 20 millions de livres) pour s'allier en 2021 à Racing Point, qui deviendra alors son équipe d'usine.

Lawrence Stroll, Owner, Racing Point and Lance Stroll, Racing Point

Au lendemain de la chute du cours de l'action, Lawrence Stroll a publié une interview en insistant sur la pleine continuité du projet F1. "Une marque avec l'histoire d'Aston Martin doit courir au plus haut niveau des sports mécaniques", a-t-il dit. "De mémoire récente, je pense que c'est la chose la plus passionnante qui soit arrivée en Formule 1 et c'est incroyablement enthousiasmant pour toutes les parties prenantes de la discipline, particulièrement les fans." Avant d'ajouter : "L'attention mondiale portée à la Formule 1 est sans égal et nous l'exploiterons pour mettre en valeur la marque Aston Martin sur nos marchés clés."

Mais même avec une proposition initiale comportant un plan sur dix ans et quatre années garanties de sponsoring, il demeure vraisemblable qu'Aston Martin ne pourra pas échapper à la pression financière qui pèse sur la société mère de véhicules de route. La concernant, les finances sont sous une tension extrême et dépenser 20 millions de livres par an pour un programme de F1 pourrait ne pas être vu comme une nécessité. C'est pourquoi le succès de la marque Aston Martin et celui de son ambitieux projet en F1 ne peuvent pas être dissociés.

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Avant que la crise du coronavirus ne survienne, Lawrence Stroll avait déjà mis la main à la poche. En plus du large plan d'investissement annoncé, le consortium Yew Tree avait injecté 55,5 millions de livres au capital dès février. La clé de ce qui se passera pour le projet Aston Martin F1 à long terme dépendra de ce que l'homme d'affaires sera capable de faire pour maîtriser les finances de la branche des véhicules de route. À court terme, Aston Martin a évoqué des prêts et d'autres leviers financiers pour traverser les 12 prochains mois. Mais il lui faudra un meilleur plan à long terme.

Une rumeur qui circule depuis plusieurs mois veut que Stroll recrute le directeur de Mercedes, Toto Wolff, afin de bénéficier de ses qualités de management qui ont fait leurs preuves pour mener les Flèches d'Argent à six titres mondiaux consécutifs en F1. Il a même été question qu'il devienne PDG d'Aston Martin. Cependant, Wolff a clairement indiqué ces derniers jours que sa priorité était de signer un nouveau contrat pour rester chez Mercedes. Il a démenti les rumeurs lui prêtant un rôle officiel chez Aston Martin ou tout investissement "stratégique" dans l'équipe.

Interrogé le week-end dernier sur les spéculations autour de son avenir chez Mercedes, Wolff a répondu dans les colonnes du quotidien Österreich : "Dans la plupart des articles que l'on peut lire, les gens estiment que 1+1 font 3. Quel est mon statut actuellement ? Ma participation dans Mercedes est solide, mon contrat court jusque fin 2020 et nous avons toujours de bonnes discussions quant à ce que nous voulons faire ensemble. Nous discutons. Mais tout ceci a été relégué au second plan par le coronavirus. Nous avons tous des problèmes plus importants à régler actuellement, des problèmes humains dans nos entreprises. Je ne vais pas devenir PDG d'Aston Martin et je ne vais pas non plus y faire un investissement stratégique." 

Toto Wolff, Executive Director (Business), Mercedes AMG

Ne pas consentir d'investissement stratégique ni endosser de rôle officiel n'empêche pas Wolff de s'impliquer financièrement à un degré moindre. Stroll et lui sont amis et des sources indiquent qu'un investissement personnel serait toujours d'actualité. Mais aucun accord de ce type ne pèserait suffisamment pour changer la donne pour Aston Martin.

Si un investissement personnel de Wollf auprès d'un autre constructeur automobile paraîtrait quelque peu inhabituel compte tenu de l'attention qu'il porte à Mercedes, il n'y aurait en fait pas de conflit d'intérêt : cela n'aurait donc pas d'incidence sur le fait qu'il demeure impliqué avec la marque allemande. Car Daimler est déjà actionnaire d'Aston Martin, après avoir conclu en 2013 un accord pour disposer de 5% des parts en échange de la fourniture de sa prochaine génération de moteurs et de composants électroniques. Daimler est aujourd'hui le fournisseur le plus important d'Aston Martin et, comme l'ont confirmé des documents officiels, a un droit de veto pour tout futur investisseur partenaire.

"Les différents accords régissant le partenariat de fourniture entre Daimler et Aston Martin Lagonda imposent certaines restrictions qui ont pour effet de limiter la capacité du groupe à obtenir l'investissement de concurrents stratégiques de Daimler, ou d'autres parties spécifiques, sans le consentement de Daimler", précisent les documents financiers. "Si certains concurrents stratégiques de Daimler acquièrent un intérêt ou que d'autres parties spécifiques acquièrent un intérêt particulier dans la compagnie sans le consentement de Daimer, Aston Martin Lagonda ou Daimler peuvent donner un préavis d'au moins trois ans pour que les principaux accords commerciaux opérationnels et les accords de fourniture entre Daimler et le groupe prennent fin."

Cela signifie que s'il devait y avoir un plan d'investissement supplémentaire – qu'il implique Wolff ou non –, il ne pourrait se réaliser qu'avec la bénédiction de Daimler.

L'autre rumeur apparue récemment dit que l'ancien PDG de Lotus, Dany Bahar, a présenté à Stroll un plan d'investissement qui aiderait à la transformation d'Aston Martin. L'une des idées de Bahar serait d'attirer des investisseurs chinois et d'éloigner Aston Martin de la production de voitures de route pour aller vers des véhicules plus originaux. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ce plan est réel, mais Bahar a refusé de commenter tout investissement éventuel de sa part, tandis qu'Aston Martin se montre également silencieux sur la question.

Dans un monde qui change vite et qui fait face à des défis inédits, il est difficile pour toute entreprise de savoir ce que l'avenir lui réserve dans les semaines qui viennent, sans parler des mois et des années. Les activités d'Aston Martin pour la route comme pour la F1 ne seront pas à l'abri, c'est pourquoi la marque doit encore surmonter des obstacles considérables à court comme à plus longue échéance. Mais pour Stroll, qui a connu le succès commercial avec bon nombre d'entreprises comme Tommy Hilfiger et Michael Kors, le casse-tête actuel ne sera pas une distraction pour ses ambitions sur la durée. "Je suis investi en Formule 1 avec une vision à long terme et il s'agit juste d'une pause dans l'aventure", promet-il.

Aston Martin logo

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