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Ayrton Senna, une télémesure au volant

Est-ce cette rigueur de Senna, si souvent décrite, qui lui permit d’être tenu en si haute estime de Honda, dont on sait que les japonais ont des méthodes très « tatillonnes », ainsi que de Ron Dennis, lui aussi connu pour sa maniaquerie? Pour Jean-Louis Moncet, interrogé spécialement par ToileF1 à l'occasion du vingtième anniversaire de la disparition du champion, cela ne fait aucun doute

Est-ce cette rigueur de Senna, si souvent décrite, qui lui permit d’être tenu en si haute estime de Honda, dont on sait que les japonais ont des méthodes très « tatillonnes », ainsi que de Ron Dennis, lui aussi connu pour sa maniaquerie? Pour Jean-Louis Moncet, interrogé spécialement par ToileF1 à l'occasion du vingtième anniversaire de la disparition du champion, cela ne fait aucun doute.

Jean-Louis Moncet - Senna, une véritable télémesure

"Très sincèrement, oui. Et notamment du côté des motoristes de Honda, parce que le moteur restait pour lui le cœur de la F1 -ce qui est d’ailleurs de nouveau la réalité aujourd’hui-, et les Japonais étaient très sensibles à ça. Et comme c’était quelqu’un qui avait une très grande sensibilité dans ce domaine-là…



J’en parle dans un livre écrit en collaboration avec Bernard Dudot [Ingénieur moteur F1 Renault]. A l’époque, il n’y avait pas de télémesure. Senna, c’était une vraie télémesure ! Sur un Grand Prix de 72 tours, tous les 10 tours, il se souvient de la pression de suralimentation qu’il y a, des tours qu’il prenait.

Il l’expliquait tous les 10 tours, pour fournir un retour sérieux. Il savait s’il était en avance sur sa consommation, etc, etc ! Personne n’était capable de ça ; ils savaient conduire en faisant attention à l’aéro, ce qui avait changé sur les pneus ; mais lui, sur le moteur, il était incollable. Incollable ! Et c’est sûrement ce qui a tant plu aux gens de Honda.

Ron Dennis, c’était un peu différent. Il n’y a pas d’affectif chez Ron Dennis pour choisir un pilote ou un autre. Il voulait les deux meilleurs au monde ; il a essayé de tenir ce pari là ; il l’a tenu pendant un an. C’est ça qu’il voulait. Voir les meilleurs du monde. Peu importe qui ils étaient. Les auteurs des meilleurs chronos qui gagnaient les courses. Il lui fallait ça.

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Bill Suserg - Senna, le premier ingénieur au volant

Nous avons souhaité creuser cet aspect technique et cette fascination de Senna pour le moteur en poursuivant l'analyse avec notre consultant technique exclusif, Bill Suserg.



ToileF1 - Comment un pilote peut-il ressentir des informations telles que la pression de suralimentation ou de comportement du moteur dans la configuration de cette époque ?

Bill Suserg – "Cela se traduit déjà par la poussée, les G encaissés à l’accélération. Si le ressenti est plus linéaire, la poussée l’est aussi. Mais cela peut venir d’un coup et s’essouffler après la poussée. Avec le turbo, on peut ressentir ces deux sensations".

Senna avait mis le doigt sur quelque chose sur quoi il pouvait directement agir avec le moteur. Se concentrer sur le moteur plutôt que le châssis : y avait-il une bonne et une mauvaise philosophie ?

"A cette époque-là, ça ne pouvait être qu’une bonne philosophie de se concentrer sur le moteur. Les performances de l’auto étaient essentiellement liées au moteur. L’aéro commençait à intervenir, mais sans plus. C’était plus l’apparition des aides électroniques qui aidait le châssis. Mais le moteur occupait pas loin 70% des performances d’une F1 à cette époque".

"Le pilote doit avoir un don qui s’appelle l’oreille musicale. C’est ressentir le moteur dans le dos. C’est le seul endroit où l’on peut le ressentir, avec la poussée dans le baquet. Senna avait cette qualité que je pense que peu de pilotes ont eu depuis".



Grosjean avait expliqué cette année sur les tests de Bahreïn qu’il avait été un peu perturbé sur les tombées de rapports du fait de ne plus entendre le moteur car il pilotait beaucoup à l’oreille

"Il peut en effet sentir si le moteur ‘pousse’ ou s’il ‘souffle’. Un moteur qui commence à souffler, effectivement, c’est un moteur qui s’étouffe. En détectant cela, Senna pouvait changer de mélange, et modifier le rendement. Senna l’entendait. Je pense qu’un autre pilote entendait aussi bien le moteur mais n’avait pas le même ressenti, et il s’agissait de Mansell. C’était quelqu’un qui savait lever le pied quand il sentait que la richesse montait trop, que le moteur tournait trop ‘gras’. Ça se traduisait avec des échappements qui devenaient rouges".

Avec un effet direct sur la consommation, du coup ?

"Oui. Ça permet de retarder les pitstops. A l’époque, les pneus n’étaient pas un gros problème. C’était vraiment la consommation. Pour différer les arrêts, la qualité de Senna était d’écouter son moteur ; soit pour pousser, soit pour lever le pied.

Il était privilégié avec Honda. Pour eux, il était un ingénieur au volant ! C’est exactement ça. C’est ce que dit Moncet. Senna a été la première télémétrie au volant".

Senna travaillait aussi étroitement au Japon avec Honda sur des technologies sportives routières. A-t-il pu disposer d’outils lui permettant de développer sa compréhension applicable à la F1 ?

"Cette oreille est précieuse pour un constructeur automobile. C’est très précis. Il est très complexe d’écouter un moteur et de pouvoir dire « non, là il tourne trop gras, trop léger ; il ne reçoit pas assez d’air. On pourrait augmenter la vanne by-pass [vanne qui décharge le surplus de pression directe dans l’échappement, ndlr] ». Tout ça est vraiment complexe. C’est un musicien. Un chef d’orchestre" !

Maintenant qu’il existe des bancs de tests pour le moteur très sophistiqués, un pilote peut-il encore tirer un avantage dans ce domaine ?

"Franchement, je ne pense pas. Il n’a pas le temps d’écouter que le calculateur a déjà corrigé en quelques millisecondes. Avant, on écoutait, interprétait, réagissait : ça prenait une seconde. Ici, le calculateur agit sur les différents paramètres. A l’époque, il fallait tourner des vis ! Aujourd’hui, c’est l’électronique qui intervient.

Pour en revenir à Grosjean, c’est vrai que jouer de l’oreille sur les passages de vitesses lui permettait de se concentrer sur son pilotage et de ne pas regarder les LED, de mieux maîtriser sa conso avec le V8, car on embarquait le moins de carburant possible aussi. Mais rien à voir avec le temps de Senna".

Pour conclure, à quelle époque l’aéro a-t-elle basculé comme étant le premier secteur de performance en F1 ?

"Je pense les années 2000. La grande, grande maitrise de l’aérodynamique en F1, son excellence date de 2009".

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