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Beltoise, épisode 3 - "Avec Ligier, on aurait pu être Champions du Monde"

À l’occasion du premier anniversaire de la disparition de Jean-Pierre Beltoise, le 5 janvier 2015, Motorsport.com publie l’interview exclusive qu’il avait accordée en 2011 au magazine F1 Racing.

Jean-Pierre Beltoise

Jean-Pierre Beltoise

Après avoir quitté Matra pour BRM, le pilote français a vécu trois saisons qu’il décrivait comme agréables et couronnées par une superbe victoire sous le déluge au Grand Prix de Monaco 1972. Mais le retour espéré sur une voiture bleue en 1975 ne s’est pas concrétisé... (Photos Jérôme Chabanne)

C’était un peu n’importe quoi, chez BRM, non? Outre leur moteur V16, j’ai vu qu’au début, ils alignaient cinq voitures. Pas trop ambitieux?

Oui, peut-être. Mais il y avait de bons ingénieurs, comme Tony Southgate. La vie était belle, j’étais bien. J’habitais en France, mais j’allais souvent en Angleterre. En fait, je ne voulais pas signer pour une troisième saison. Mais fin 1973, donc, ils m’appellent, et me disent : “On a trouvé, on tire tant de chevaux en plus.” Et moi, comme un idiot, je les crois. Je ne vérifie pas. En fait, le banc avait glissé de 40 chevaux... Je me suis fait avoir! [rire]

Et cette victoire à Monaco en 1972, alors? Ça reste le plus beau jour de votre carrière?

Ce fut une libération. À l’époque, les voitures étaient moins fiables qu’aujourd’hui et j’avais un peu la réputation d’être un casseur, alors que ce n’était pas de ma faute. Et ce jour-là, tout s’est bien passé. C’est vrai que j’étais peut-être un peu handicapé par mon bras bloqué sur le sec, mais beaucoup moins sur le mouillé car la direction était un peu plus légère.

Tout s’est bien passé, j’ai mis la voiture au point exactement comme je le voulais, y compris en faisant des choses anormales. L’ingénieur me disait : “Mais enfin Jean-Pierre, on ne peut pas faire ça, c’est de la folie,” mais je répondais : “Si, on le fait..”

Par exemple, pour sur-braquer et contre-braquer plus facilement, j’ai fait enlever les butées. “Mais Jean-Pierre, on va toucher la coque!” Et moi : “Rien à f...!” [rire]. Et c’est grâce à ça que je n’ai pas fait de tête-à-queue en course. Qu’est-ce que j’ai fait d’autre... Ah oui, j’ai roulé sans barre anti-roulis avant. Vous faites ça aujourd’hui, la voiture ne marche plus.

 

Jean-Pierre Beltoise
Jean-Pierre Beltoise

Photo by: Jérôme Chabanne

 

Comment s’est passée la course ? Vous avez pris très vite la tête, c’est ça?

J’étais en deuxième ligne et me suis retrouvé tout de suite en tête. Je suis passé à droite, où il y avait moins d’huile déposée par les voitures en stationnement toute l’année à cet endroit. J’ai eu un meilleur grip et j’ai piqué en tête dans Ste-Dévote. Après, tout s’est bien passé à part avec certains retardataires.

Ça reste un excellent souvenir. Des années plus tard, quand je courais en Production, un de mes amis répondait à ceux qui s’étonnaient que je ne me fasse pas “taper” par tel ou tel pilote : “Eh, Bébel, il a quand même gagné le GP de Monaco!” [rire]

Ce jour-là, tout s’est bien passé. C’est vrai que j’étais peut-être un peu handicapé par mon bras bloqué sur le sec, mais beaucoup moins sur le mouillé car la direction était un peu plus légère.

À propos de sa victoire au GP de Monaco 1972

Cela n’a-t-il pas été trop dur, fin 1973, de voir vos deux équipiers chez BRM, Niki Lauda et Clay Regazzoni, passer chez Ferrari?

Un peu... Je me demande, avec le recul, si le fait de ne pas avoir accepté la proposition d’Enzo Ferrari d’aller le voir quelques années plus tôt n’a pas joué... Peut-être pas, peut-être que je rêve, mais je me demande. Surtout qu’en 1973, j’étais devant Lauda et Regazzoni la plupart du temps.

Et donc, après votre troisième saison chez BRM, vous auriez pu retourner chez Matra...

Fin décembre 1974, dans une conférence de presse, Lagardère annonce une réduction de budget et l’engagement d’une seule voiture en 1975, pour moi. Mais ce programme était dépendant de l’arrivée de nouveaux sponsors et Lagardère a dit qu’il confirmerait tout ça début janvier. Et là, il annonce : “Nous arrêtons la F1.”

C’était dommage, car nous avions trouvé pourquoi le V12 ne fonctionnait pas. Il a bien progressé ensuite et quand il a fini dans la Ligier en 1976, il était très bon.

La version assez répandue, concernant Ligier qui a repris le programme Matra, est que vous aviez amené le budget Gitanes à l’équipe, qui vous a ensuite préféré Jacques Laffite... C’est bien ça?

Moi, et Henri Pescarolo. Nous devions tous deux piloter. Son cas a été réglé très tôt, six mois avant le mien. On me l’a vite fait comprendre. Puis, en ce qui me concerne, j’ai travaillé, me suis investi dans ce projet. J’ai fait les premiers essais, et ne suis plus jamais remonté dans la voiture...

Je vais me faire l’avocat du diable, mais ne peut-on pas considérer qu’en effet, Jacques Laffite était plus rapide qu’un Pescarolo ou un Beltoise à ce stade de leur carrière à tous les trois?

Moi, je pense sincèrement que si on m’avait pris, nous aurions pu être champions du monde...

En ce qui me concerne, j’ai travaillé, me suis investi dans ce projet. J’ai fait les premiers essais, et ne suis plus jamais remonté dans la voiture...

Évoquant l'aventure Ligier qui s'est déroulée sans lui

La Formule 1 s’est arrêtée à ce moment-là pour vous...

En fait, ça s’était arrêté au GP des États-Unis où la voiture m’avait échappé aux essais, pour une raison que je ne me suis jamais expliquée. J’ai eu la cheville cassée et je n’ai pas couru. Le lendemain, un jeune pilote s’est tué exactement au même endroit... J’avais vu tellement de gens se tuer et les risques étaient encore plus grands pour les pilotes du fond de grille. Or, Matra se retirant et toutes les bonnes places étant prises...

Je vous coupe, mais il me semble que vous aviez été impliqué dans le fameux carambolage de Silverstone en 1973, non?

En effet. J’étais parti en septième ligne et n’avais rien vu venir. Ce jour-là, j’ai d’abord cru que ma voiture serait en état de repartir. Mais en la voyant...

Ah ben non!

[Rire] Voilà. En fait, non. Et plus tard, j’ai découvert en voyant des photos que j’avais décollé deux mètres en l’air au-dessus du peloton...

 

Jean-Pierre Beltoise
Jean-Pierre Beltoise

Photo by: Jérôme Chabanne

Donc, vous hésitez alors à continuer?

Voilà. Et après l’épisode Ligier, je me retrouve dans la même situation. Williams voulait m’engager, mais Williams, à cette époque, c’était le fond de grille, pas beaucoup d’argent, etc. Et un jour, j’apprends par Bob Wollek qu’un championnat de type NASCAR va être lancé en France, avec la catégorie Production, promotionné par Claude Ballot-Léna, et je dis banco. J’y ai passé quelques belles saisons [sur BMW puis Peugeot].

À partir de ce moment, plus de contacts avec la F1, les protos?

La F1, non. Les protos, j’ai continué un petit peu avec Rondeau puis j’ai eu la sensation qu’avec ce type de voitures – comme les Porsche très évoluées aérodynamiquement que j’ai conduites plus tard – et aux vitesses atteintes, le pilote ne pouvait plus rien contrôler en cas de pépin. Alors j’ai dit : j’arrête.

Avez-vous continué pour autant à suivre ces catégories?

J’ai toujours suivi la F1 de près. De très près même. J’avoue que je ne le fais pas pour l’Endurance. Même s’il y a mon copain Pescarolo, même si j’aime bien Peugeot [rappelons que cette interview date de 2011]... Je trouve ça ennuyeux. Alors qu’un GP de F1, même pas passionnant, c’est quand même intéressant! On peut toujours se dire, même si c’est parfois difficile à suivre, qu’untel va sans doute changer de pneus, etc. On peut toujours espérer qu’il se passe quelque chose.

(À suivre)

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