Bernie Ecclestone, le méchant de film qui a fait culminer la F1
Bernard Charles Ecclestone, a.k.a. Bernie, fête ses 90 ans ce 28 novembre 2020. Le Grand Argentier de la Formule 1 que l'on aime à présenter comme un cupide dictateur demeurera l'homme ayant eu la plus grande influence sur la discipline sur laquelle il a régné près de 50 ans.
Pour avoir une preuve éclatante des changements que Bernard Charles Ecclestone a apportés dans la discipline que l'on appelle désormais le "pinacle du sport automobile", il suffit de comparer les images des paddocks de Formule 1 ou des abords des circuits sur cinq décennies.
Là où, dans les années 70, les mécaniciens (rarement) vêtus d'une combinaison étaient recouverts de boue et de tâches d'huile en reconstruisant des voitures avec n'importe quel outil leur passant sous la main (et provenant souvent même du garage voisin), leurs équivalents modernes produisent des chefs-d'œuvre étincelants, arborent des barbes impeccablement tondues et n'affichent pas la moindre tâche sur leurs combinaisons bardées de sponsors, chacun accomplissant sa propre tâche bien délimitée par des processus incroyablement professionnels et optimisés. Quel que soit l'endroit où l'on regarde sur un circuit, la F1 est devenue un sport incroyablement précis, organisé, minuté, calibré, réglementé.
L'indice de la contribution d'Ecclestone réside dans une évolution sur cinq décennies complètes. C'est le temps pendant lequel le nonagénaire – il fête ses 90 ans aujourd'hui – a tiré et plié le sport à sa propre image. En d'autres termes, si la F1 était une entité vivante, elle aurait des cheveux blancs, serait de petite taille et garderait une certaine part de provocation.
Celui qui répond au surnom de "Bernie", employé par les grands de ce monde comme par les fans est cependant "Mr E." pour les membres du personnel et son entourage professionnel. Un terme particulièrement bien choisi lorsqu'il est prononcé rapidement en anglais : "Mistery" (mystère) !
Ecclestone a véritablement fait son entrée en scène en 1972 avec Colin Chapman, qui avait acheté l'équipe Brabham. Le Britannique s'intéressait pourtant à la F1 depuis plus de dix ans, d'abord en tant que manager de Stuart Lewis-Evans, qui est mort après un accident lors du Grand Prix du Maroc en 1958, puis en tant que propriétaire de deux Connaught avec lesquelles il n'a pas réussi à se qualifier pour deux Grands Prix en se trouvant au volant, handicapé par sa vision.
À la fin des années 60, Bernie Ecclestone s'est mis au service de Jochen Rindt. Il est alors le manager de son grand ami, avec qui il partage parties de backgammon, aime parier sur un peu tout, et monte diverses farces et mises en situation cocasses dans le paddock. Très touché par les disparitions successives de son ancien équipier Bruce McLaren et de son ami Piers Courage, l'Autrichien peinait à comprendre la philosophie de conception sans concession de Colin Chapman, dont les Lotus étaient réputées dangereuses et imprévisibles. Rindt perdit la vie lors du Grand Prix d'Italie, à Monza, après un accident tragique dans la Parabolique imputé aux freins de son auto, et dont Bernie mettra des années à se remettre.
Incapable néanmoins de prendre ses distances avec la F1 qui sacrait son ami à titre posthume, et en dépit des drames répétés dans le paddock, Ecclestone estima que la possession d'une équipe serait moins douloureuse en termes d'attachement personnel. C'est ainsi qu'en l'espace d'une décennie, il amena son équipe Brabham à l'allure impeccable jusqu'aux couronnes mondiales.
La conquête suivante d'Ecclestone sera sa passe d'armes avec la FISA au sujet de la propriété de la discipline, avec l'aide précieuse de son acolyte Max Mosley, un brillant avocat aux dents longues. La Fédération Internationale du Sport Automobile était alors l'organe régulateur. Bientôt, les différentes parties prenantes du sport acceptèrent qu'une personne déterminée, visionnaire et acrobate comme Ecclestone apporte des éléments de confort pratique pour la tenue quotidienne des courses et développe le Championnat du monde en quelque chose de plus attractif pour les promoteurs, les médias et les fans.
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Ecclestone comprit très vite l'enjeu massif représenté par la télévision et comment le développement de la Formule 1 pourrait être intrinsèquement accompagné par la mise en place de moyens de diffusion solides de par le monde. C'est ainsi que le Britannique décida d'investir avec ses propres deniers dans la création d'une infrastructure de capture et diffusion d'images high-tech pour l'époque, et qu'il réunit commercialement et politiquement tous les acteurs majeurs de la discipline autour des Accords Concorde.
En régissant les droits commerciaux de la F1 afin de proposer un réel "produit" commercialisable à la valeur marchande croissante, duquel les revenus tirés lui bénéficièrent bien entendu fortement mais eurent également le mérite de créer de nouvelles opportunités pour tous, Ecclestone plaça autour de lui un cercle de confiance, au sein duquel Max Mosley occupait une position centrale. Le Britannique administrait la Fédération Internationale de l'Automobile et se créa lui aussi rapidement un patrimoine opulent.
En moins de 10 ans, Ecclestone vit son propre statut passer de multimillionnaire à multimilliardaire. Pendant un temps, seule la Reine Elizabeth II d'Angleterre fut une compatriote plus aisée que lui.
Formula One Management (FOM) est sans doute l'entité la plus verticalement intégrée du sport, contrôlant les programmes télévisés, les laissez-passer pour les paddocks, l'agence de voyage de la F1, la signalisation sur la piste, l'hospitalité VIP du paddock et bien évidemment, la Commission F1 qui encadre les règlements de la F1 avant de les envoyer à la FIA (actionnaire minoritaire de la FOM) pour ratification. Au cours de ce processus, Ecclestone a transformé ce qui était un passe-temps pour ceux qu'il appelait les "garagistes" qui parcouraient le monde avec une ou deux voitures en remorque en grattant de l'argent à chaque tournant, en plus grand événement sportif continu du monde, diffusé dans des millions de foyers tous les quinze jours. Pendant longtemps, seuls les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de Football pouvaient se targuer de rassembler plus de monde devant les écrans de télévision derrière une "marque", une fois tous les quatre ans uniquement.
Les stars de la F1 sont des icônes mondiales et des institutions comme Ferrari (dont il avait compris l'importance cruciale et fait un pivot) et des dizaines de multinationales de renom engagent chaque année des centaines de millions en devises fortes dans ce qui aurait aussi pu s'appeler le "Bernie's Show". Ses efforts incessants ont professionnalisé la F1 et entraîné toutes les autres catégories avec elle. Sa détermination à aller chercher chaque dollar a certes amené la F1 dans des enfilades sinueuses, mais au final, elle est plus riche aujourd'hui grâce à de telles expériences et cette autocratie assumée, que la majorité des parties prenantes était aussi bien contente de pouvoir lui laisser. Son influence s'étend tout au long de la "chaîne alimentaire" des sports mécaniques, en passant par la F2 et la F3 et même le karting.
Cela dit, Ecclestone n'est pas parfait : son refus obstiné de former et placer un successeur (jusqu'à ce que Liberty Media n'intervienne et ne le remplace au forceps par Chase Carey) a laissé un souvenir différent à de nombreux fans récents, qui ont alors vus étalés publiquement nombre de sujets auparavant bien cloisonnés et à contrecourant de l'air du temps.
L'épitaphe de l'increvable Bernie indiquera à juste titre qu'il a changé la F1, et ainsi tout le sport automobile, essentiellement pour le mieux.
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