Billet d'humeur - Le danger est toujours là

C'était une séance de qualifications pas comme les autres, ce samedi 14 novembre en Turquie. Elle a suscité des interrogations, parfois sans réponse attendue, mais avec une certitude : rappeler que la F1 est un sport à risque ne sera jamais vain.

Max Verstappen, Red Bull Racing RB16, fait un tête à queue devant Kimi Raikkonen, Alfa Romeo Racing C39

Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images

En cette "drôle" d'année 2020, renouer avec les émotions du sport est une chance. Même s'il implique le huis clos et des conditions drastiques, le sport automobile a pu être parmi les premiers à se relancer après le confinement du printemps dernier. Qui aurait cru, en avril, que sept mois plus tard l'on assisterait déjà au 14e Grand Prix de l'année ? La Formule 1 a réalisé un gros travail d'adaptation pour y parvenir, de contorsion même parfois, et dans une période aussi difficile que celle que nous traversons, la moindre plainte est à relativiser. Cependant, alors que le calendrier de secours est passé par des circuits que nous n'avions plus l'habitude de voir, il est légitime aujourd'hui de s'interroger à l'issue d'une séance de qualifications hors du commun, disputée à Istanbul dans le cadre du Grand Prix de Turquie.

Oui, ce qui s'est déroulé ce samedi alimentera les débats, les discussions des plus passionnés, et suscite quelques questions que l'on est en droit de se poser sans verser dans la critique systématique, mais simplement dans l'espoir de comprendre plus tard. En se tournant vers des lieux qui ne figuraient pas au calendrier initialement, la F1 a également pris le risque d'enrayer une mécanique extrêmement bien rodée. Et l'histoire a souvent tendance à le montrer : l'imprévu est souvent son meilleur ennemi.

Tout a commencé vendredi matin, dès les premières minutes des essais libres, en découvrant des monoplaces quasiment à l'arrêt, roulant sur des œufs et donnant parfois le sentiment d'avoir demandé à un éléphant de jouer un numéro de funambule. On savait que la piste de l'Istanbul Park avait été entièrement resurfacée il y a tout juste quelques semaines. Pirelli aussi le savait, mais visiblement trop tard : le manufacturier de pneus a été mis devant le fait accompli. Ainsi, son allocation de pneus pour le Grand Prix de Turquie avait déjà été entérinée et, surtout, il était impossible de revenir en arrière pour des raisons évidentes de logistique. En disposant plus tôt de cet élément, la firme à laquelle rien ne semble décidément épargné aurait très probablement opté pour des pneus plus tendres, améliorant au moins un peu la situation. Cet aspect est en tout cas celui qui est à la base de tous les problèmes rencontrés ce week-end.

Valtteri Bottas, Mercedes F1 W11, fait un tête à queue alors que Lance Stroll, Racing Point RP20, le passe

La situation a été exacerbée ce samedi matin, quand la pluie s'est invitée. Avoir fait rouler une armada de voitures de série la veille au soir dans l'espoir d'améliorer l'état de la piste n'avait donc servi à rien, si tant est que cela ait vraiment pu changer la donne… À l'heure des qualifications, la situation a empiré avec une pluie plus dense mais la séance a tout de même pu débuter, offrant un ballet de sorties de piste avec des monoplaces en perdition sur un tarmac luisant et incapable d'évacuer correctement l'eau en surface. Au plus fort des mauvaises conditions, la direction de course a sagement pris la décision d'interrompre les hostilités et d'attendre une légère embellie dans le ciel turc. Bien lui en a pris, alors que plusieurs pilotes ont décrit des conditions trop dangereuses, Max Verstappen compris. Alex Albon a même estimé que la F1 avait eu de la "chance" de ne pas vivre un "gros accident".

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Puis il y eut la précipitation, dictée par le retard déjà pris et, vraisemblablement, par la crainte de ne pas pouvoir boucler ces qualifications avant la tombée de la nuit. Ainsi l'on a vu le feu passer au vert au bout de la voie des stands pour lancer la Q2 alors qu'un engin de levage était encore présent sur la piste afin d'évacuer la monoplace de Nicholas Latifi. Une image que l'on peine à accepter, même avec un timing qui a permis in extremis aux premiers pilotes d'arriver sur les lieux une fois la grue retirée. Depuis un funeste jour d'octobre 2014, on est en droit de refuser en bloc de voir de telles images. Le directeur de course Michael Masi a d'ores et déjà fait savoir que la procédure serait revue.

Des commissaires retirent la monoplace de Nicholas Latifi, Williams FW43 de la piste

Enfin il y a cette délicate gestion de la problématique des drapeaux jaunes. Dans cette séance devenue imprévisible, il était quasiment inévitable d'y être confronté. Avec une poignée de minutes pour tenter d'améliorer son chrono, avec des conditions évoluant très rapidement, avec une propension à l'erreur forcément importante, tout était réuni pour assister après les qualifications à la litanie des convocations. Armés du droit à l'interprétation, des images, de la télémétrie et des témoignages des pilotes, les commissaires ont, bon gré mal gré, tenté de démêler les situations. Inévitablement, et même en décortiquant attentivement les justifications de chaque décision, difficile de ne pas brouiller le message à l'adresse des observateurs. Et pourtant, en dépit du sentiment d'incohérence que cela peut parfois procurer, en dépit de la nuance qu'il faut comprendre entre un simple et un double drapeau jaune, en dépit d'arguments qui tiennent la route une fois analysés avec le recul, l'on n'aimerait pas se retrouver à devoir trancher à leur place !

Sportivement, cette séance de qualifications restera dans les mémoires de ceux qui se sont régalés devant leur télévision. On les comprend : un tel bouleversement de la hiérarchie est rare et a donné lieu à du spectacle. Le tout a aussi débouché sur autre chose qu'une domination de Mercedes, cassant les habitudes lassant les passionnés bien qu'elle ne soit pas à remettre en cause si elle est légitimement acquise. Pourtant, il ne faudrait pas que ce spectacle et cette incertitude, tant désirés par certains, conduisent à oublier les points noirs soulevés auparavant. Ces interrogations nées de ces qualifications n'ont rien de polémique, à l'heure où la F1 – et plus généralement le sport automobile – est plus sûre que jamais grâce au travail sans relâche des instances.

Rien n'est plus beau qu'une compétition riche en suspense. Qui prétendrait le contraire ? Souhaitons juste que cela ne se fasse pas en se croyant invincible et en oubliant que le danger guette en permanence. Dire que la F1 est et restera toujours un sport dangereux est une évidence. C'est néanmoins une piqûre de rappel nécessaire. L'écrire ne nous coûte rien afin de le garder bien en tête. Pour ne pas revivre les instants douloureux de Suzuka 2014 et Spa 2019. Entre autres.

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