Ces champions que l'on a rarement vus en tête (1/2)

Il est déjà arrivé 22 fois que le pilote couronné en Formule 1 ne soit pas celui qui a parcouru le plus de kilomètres en tête cette saison-là. Si Lewis Hamilton est sacré à Abu Dhabi, il rejoindra ce clan étonnant. En voici dix exemples parmi les plus marquants.

Rene Arnoux, Renault RE30B, devant Keke Rosberg, Williams FW08 Ford, Alain Prost, Renault RE30B, et Niki Lauda, McLaren MP4-1B Ford, au départ

Photo de: Rainer W. Schlegelmilch

1964 : Surtees sur le fil

Jim Clark : 322 tours soit 1453 km en tête (39,5%)
John Surtees : 89 tours soit 700 km en tête (19,1%)

John Surtees, Ferrari 158, bataille avec Jim Clark, Lotus 25 Climax

John Surtees (Ferrari) bataille avec Jim Clark (Lotus) à Monza

C'est en position de force que Jim Clark et Lotus ont abordé la saison 1964. Le pilote écossais avait outrageusement dominé la campagne précédente pour remporter son premier titre mondial avec la Lotus 25 et a de nouveau donné le ton en menant le Grand Prix de Monaco pendant 36 tours avant d'endommager sa barre de stabilisation lors d'un contact avec les bottes de paille, puis de subir une perte de pression d'huile. C'était un signe de ce qui l'attendait.

Alors qu'il alternait entre l'ancien modèle, la 25, et un nouveau pas encore au point, la 33, Clark a signé plusieurs succès : à Zandvoort en menant de bout en bout, à Spa-Francorchamps en prenant la tête dans le dernier tour quand Dan Gurney et Graham Hill sont tombés en panne d'essence tandis que Bruce McLaren faisait face à un problème de batterie, et à Silverstone, là aussi en passant toute la course en tête devant son public, certes suivi de près par son compatriote Graham Hill.

Cependant, les déconvenues ont été plus nombreuses. Clark a mené les 30 premiers tours du Grand Prix de France à Rouen avant d'être trahi par son moteur, était en tête à l'issue de la première boucle sur les 22 kilomètres du Nürburgring lorsque sa boîte de vitesses s'est montrée récalcitrante ; transmission, bris de piston et pompe à essence ont causé autant de problèmes lors des trois épreuves suivantes, notamment à Watkins Glen, où il avait passé 31 tours en tête.

Pendant ce temps, John Surtees a connu un début de saison très difficile avec la Ferrari 158, enregistrant trois abandons en quatre courses sur problème mécanique. Par la suite, le Britannique a multiplié les podiums et a notamment parcouru 297 kilomètres en tête pour s'imposer au Nürburgring, ainsi que 56 tours à Monza, théâtre de son deuxième et dernier succès de la saison.

Avant le dernier Grand Prix à Mexico, c'est un Graham Hill très constant sur sa BRM qui menait le classement général avec 39 points au compteur devant Surtees (34) et Clark (30). Ce dernier a signé la pole position sur l'Autódromo Hermanos Rodríguez et a dominé la course, menant les 63 premiers tours sur 65, alors que Hill avait tout perdu en étant percuté par Lorenzo Bandini, tandis que Surtees n'était que quatrième. La victoire aurait offert le titre à Clark, mais une fuite d'huile dans les derniers kilomètres l'en a privé, et c'est Surtees qui a été couronné. C'est d'ailleurs l'unique Grand Prix où il a mené le Championnat du monde.

1968 : Hill vainc Stewart

Jackie Stewart : 236 tours soit 1360 km en tête (32,3%)
Graham Hill : 194 tours soit 755 km en tête (17,9%)

Graham Hill,Lotus 49B-Ford, devant Jackie Stewart, Matra MS10-Ford

Graham Hill (Lotus) devance Jackie Stewart (Matra) à Zandvoort

En l'absence de Jim Clark, décédé à Hockenheim après un quasi-Grand Chelem au Grand Prix d'Afrique du Sud en ouverture de la saison (pole position, meilleur tour, victoire et 79 tours sur 80 en tête), ce sont Jackie Stewart et Graham Hill qui se sont disputé le titre mondial en 1968. Hill est devenu le seul leader de Team Lotus et s'est imposé à Jarama avec la 49 puis à Monaco avec la toute nouvelle 49B, profitant certes d'incidents devant lui, même s'il a mené 77 des 80 tours en Principauté après l'accident de Johnny Servoz-Gavin.

Quant à Stewart, contraint à l'abandon à Kyalami, il a manqué les deux Grands Prix suivants pour cause de blessure. À son retour, le pilote Matra était en grande forme, puisqu'il a mené la majorité de la course à Spa-Francorchamps au volant de la MS10 avant de tomber en panne d'essence dans le dernier tour, s'imposant ensuite avec 87 tours en tête sur 90 à Zandvoort. Stewart a réalisé d'autres performances dominatrices en menant de bout en bout au Nürburgring et à Watkins Glen, et, après avoir accusé 24 points de retard sur Hill après trois courses, n'avait plus que trois longueurs de retard à l'aube du dernier Grand Prix au Mexique, l'Anglais ayant enchaîné quatre abandons, principalement à cause du manque de fiabilité de sa Lotus – notamment alors qu'il menait à Brands Hatch.

Sur l'Autódromo Hermanos Rodríguez, c'est Jo Siffert qui a signé la pole position avec une Lotus engagée par Rob Walker, alors que Hill et Stewart n'étaient que troisième et septième respectivement. Hill a pris la tête au premier tour et si son rival lui a disputé la victoire, il s'est imposé et a remporté son deuxième titre mondial par la même occasion, bien que Stewart ait mené près du double de tours… sans réaliser la moindre pole.

1973 : Peterson mal récompensé

Ronnie Peterson : 393 tours soit 1847 km en tête (39,7%)
Jackie Stewart : 214 tours soit 1088 km en tête (23,4%)

Ronnie Peterson (Lotus) mène devant Jackie Stewart (Tyrrell) à Silverstone

Ronnie Peterson (Lotus) mène devant Jackie Stewart (Tyrrell) à Silverstone

Cinq ans plus tard, Jackie Stewart était déjà double Champion du monde et briguait un troisième titre pour ce qu'il savait déjà être son ultime campagne dans l'élite. Le pilote Tyrrell avait un certain succès avec son écurie depuis 1970 même si Emerson Fittipaldi l'avait vaincu au championnat en 1972. La saison 1973 était un nouveau duel entre Lotus et Tyrrell, mais encore une fois, le manque de fiabilité des monoplaces conçues par Colin Chapman – la 72D en début de saison puis la 72E – a joué un rôle crucial dans la course au titre.

Ronnie Peterson avait rejoint un top team, Lotus justement, pour sa quatrième campagne en Formule 1. Le Suédois était clairement le pilote le plus rapide cette année-là, auteur de neuf pole positions sur 15 possibles. Peterson a mené 56 tours à Montjuïc Parc, 78 à Anderstorp, 38 à Silverstone, 63 à Zandvoort, mais la victoire lui a échappé à chaque fois, à deux reprises sur problème mécanique.

Certes, Peterson s'est imposé en menant de bout en bout à Monza et à Watkins Glen, ayant précédemment profité d'un accrochage entre Scheckter et Fittipaldi puis d'une panne de ce dernier pour triompher au Castellet et à l'Österreichring. Ses sept abandons en 15 Grands Prix lui ont toutefois coûté cher face à la fiabilité de la Tyrrell et à la constance de Stewart.

En effet, l'Écossais a terminé 12 courses sur 14 dans le top 5 avant de déclarer forfait pour la dernière manche, meurtri par l'accident mortel de son coéquipier et presque héritier, François Cevert. Il s'est ainsi éclipsé, non sans avoir signé en cette dernière campagne d'ultimes performances époustouflantes, comme cette victoire avec 25 secondes d'avance à Kyalami depuis la 16e place sur la grille.

1974 : Fittipaldi tire son épingle du jeu face aux Ferrari

Niki Lauda : 339 tours soit 1384 km en tête (30,4%)
Emerson Fittipaldi : 77 tours soit 362 km en tête (8%)

Niki Lauda, Ferrari 312B3, devant Emerson Fittipaldi, McLaren M23 Ford

Niki Lauda (Ferrari) en tête du Grand Prix de Monaco devant Emerson Fittipaldi (McLaren)

Il paraît inconcevable qu'Emerson Fittipaldi ait remporté le Championnat du monde 1974 en étant cinquième dans la hiérarchie des kilomètres en tête, et pourtant.

En qualifications, la suprématie de Niki Lauda était totale au volant de la Ferrari 312 B3, l'Autrichien signant neuf pole positions en quinze Grands Prix – la même performance que celle de Peterson l'année précédente. Et le scénario a été le même : Lauda a perdu des points par dizaines avec sept abandons sur problème mécanique et deux accidents. Le podium lui a ainsi échappé à Kyalami et à Anderstorp, et même la victoire à Monaco, à Monza, à Mosport Park et à Brands Hatch, où il a mené pendant 69 tours avant une crevaison. Ses succès à Jarama et à Zandvoort, ce dernier magistral en passant toute la course en tête, n'ont pas suffi à le hisser dans le top 3 au championnat, mais il y avait quand même du mieux pour la Scuderia après une saison 1973 en demi-teinte.

Déjà titré avec Lotus en 1972, Emerson Fittipaldi avait pour sa part l'opportunité d'offrir à la jeune écurie McLaren son premier titre mondial. La M23 n'était peut-être pas la monoplace la plus compétitive du plateau, et Fittipaldi n'a mené que trois des 15 Grands Prix, les trois qu'il a remportés : à Interlagos, à Nivelles et à Mosport Park, parfois en profitant des mésaventures de ses rivaux, mais encore fallait-il répondre présent. Le Brésilien a su multiplier les arrivées dans le top 5 quand il n'était pas victime de rares problèmes de fiabilité, et sa victoire au Canada l'a propulsé en tête du championnat, à égalité de points avec l'autre pilote Ferrari, Clay Regazzoni, avant le dernier Grand Prix, tandis que Jody Scheckter restait mathématiquement en lice.

À Watkins Glen, les deux principaux prétendants au sacre ne se sont qualifiés que huitième et neuvième, mais un amortisseur défectueux allait empêcher Regazzoni de défendre ses chances en course. Fittipaldi a concrétisé avec la quatrième place à l'arrivée, suffisante pour être couronné.

1982 : Rosberg sort vainqueur d'une saison folle

Alain Prost : 258 tours en tête, soit 1009 km (21,3%)
Keke Rosberg : 80 tours en tête, soit 337 km (7,1%)

Rene Arnoux, Renault RE30B, devant Keke Rosberg, Williams FW08 Ford, Alain Prost, Renault RE30B, et Niki Lauda, McLaren MP4-1B Ford, au départ

René Arnoux (Renault), Keke Rosberg (Williams) et Alain Prost (Renault) en tête au départ du Grand Prix de Belgique

 

Si quelqu'un avait écrit le scénario de cette saison 1982, il lui aurait certainement été reproché son manque de réalisme. Le simple fait que l'on dénombre onze vainqueurs différents et dix-huit pilotes sur le podium en seize Grands Prix en dit long...

En performance pure, dans une certaine mesure, c'est Renault qui dominait cette campagne avec cinq pole positions chacun pour Alain Prost et René Arnoux. Deux pilotes qui sont également les seuls à avoir passé le cap des 1000 tours en tête cette année-là, eux qui ont mené de bout en bout les Grands Prix d'Afrique du Sud (à deux) et d'Italie (Arnoux).

La Ferrari 126 C2 avait pourtant du potentiel, mais la Scuderia a connu une année noire avec le conflit fratricide entre ses pilotes Didier Pironi et Gilles Villeneuve lors de leur doublé à Imola, qui allait mener indirectement à l'accident mortel du Québécois lors des essais du Grand Prix suivant, à Zolder. Pironi, lui, menait le championnat avec une belle avance de neuf points sur John Watson à cinq courses du but, mais s'est brisé les jambes en percutant la Renault de Prost en essais à Hockenheim. Sa saison était finie. Patrick Tambay a signé de beaux résultats en débarquant à Maranello à la mi-saison, marquant plus de points que quiconque en deuxième moitié d'année, mais ça n'a pas suffi pour jouer le titre.

Or, Renault a peiné à profiter des déboires de Ferrari, avec de nombreux accidents et problèmes mécaniques pour Prost et Arnoux au volant de la RE30B ; à eux deux, ils cumulaient 20 abandons sur 32 possibles... cinq d'entre eux sont survenus alors qu'une Renault était en tête : Arnoux a été trahi par son moteur à Imola et à Zolder, les deux pilotes sont partis à la faute à Monaco, Prost a lui-même subi divers pépins techniques à l'Österreichring ainsi que lors des deux courses américaines, sans abandonner toutefois dans ces deux cas. C'est dire si le potentiel d'un bien meilleur résultat global existait, et le doublé signé au Grand Prix de France n'était qu'un maigre lot de consolation...

John Watson faisait contre toute attente partie des candidats au titre, avec McLaren, en dépit de performances fort médiocres en qualifications, où il n'est entré qu'une fois dans le top 8 – ce qui ne l'a pas empêché de signer cinq podiums, dont une victoire étonnante à Détroit depuis la 17e place de la grille, ainsi qu'un autre succès à Zolder en partant dixième.

Cependant, c'est Keke Rosberg qui a triomphé pour Williams, alors qu'il n'avait jamais mené un Grand Prix de Formule 1 auparavant. Le Finlandais n'a gagné qu'une course en 1982, toutefois avec la manière, dépassant Alain Prost dans l'avant-dernier tour à Dijon-Prenois. John Watson lui avait fait subir le même sort à Zolder, où Rosberg a mené pendant 64 boucles avant de commettre une erreur dans l'avant-dernier passage. La régularité certes relative du pilote Williams, avec dix arrivées dans le top 5 en 16 Grands Prix, lui a permis d'être couronné avec seulement 44 unités au compteur.

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