Analyse

Comment Ferrari peut redresser la barre en 2021

Après avoir menacé Mercedes pour le titre mondial à plusieurs reprises, Ferrari a connu en 2020 une dégringolade inédite depuis le début des années 1990. Il pourrait lui falloir un certain temps pour retrouver le droit chemin.

Mattia Binotto, Team Principal Ferrari

Photo de: Steven Tee / Motorsport Images

Pour comprendre comment Ferrari s'est raté dans les grandes lignes lors de la saison 2020 de Formule 1, et pourquoi il sera si difficile de rebondir, il faut revenir un an en arrière. Le 28 février 2020, environ cinq minutes avant le drapeau à damier de la dernière journée d'essais à Barcelone, une annonce de la FIA a fait l'effet d'une bombe.

"La FIA annonce qu'après une enquête technique approfondie, elle a conclu son analyse de la manière dont l'unité de puissance F1 de la Scuderia Ferrari est exploitée et a trouvé un accord avec l'équipe", indiquait le communiqué. "Les détails de l'accord resteront confidentiels entre les deux parties. La FIA et la Scuderia Ferrari se sont mises d'accord sur un certain nombre de décisions techniques qui amélioreront la surveillance de toutes les unités de puissance de Formule 1 pour les saisons à venir."

Cette enquête a duré plusieurs mois et a vu les experts de la FIA étudier dans le moindre détail l'unité de puissance Ferrari, qui faisait l'objet de spéculations lors des dernières courses de 2019. Les autres écuries s'attendaient à ce que la fédération trouve des preuves de tricherie et pénalise Ferrari, potentiellement en annulant certains résultats de la saison 2019. Ce communiqué quelque peu flou sur les conclusions de l'affaire les a scandalisées.

Avec le recul, elles n'avaient peut-être pas besoin de s'inquiéter à ce point. La FIA avait déjà publié plusieurs directives techniques liées au carburant et au lubrifiant des unités de puissance et à la manière dont ils seraient surveillés, et entre les essais hivernaux et le premier Grand Prix, il y en a eu d'autres. Les zones d'ombre de la réglementation 2019 ont été clarifiées et la surveillance a été accrue ; tous les motoristes ont dû s'y adapter.

Dès les tests de pré-saison, il a été évident que cette nouvelle réglementation avait fait beaucoup de mal à l'unité de puissance Ferrari, impression confirmée par les performances relatives des écuries clientes. Cela a été un facteur déterminant des résultats de Ferrari en 2020. Le directeur d'équipe Mattia Binotto n'a jamais quantifié la puissance perdue à cause de ces nouvelles règles, mais les estimations faites par d'autres équipes placent ce chiffre autour de 50 ou 60 ch. Ce n'est pas négligeable, et cela a compromis tout le package technique 2020.

Sebastian Vettel, Ferrari SF1000, heads for the grid

La SF1000 avait été conçue pour une puissance élevée, avec une traînée adaptée à cette estimation, dans l'espoir que sur les circuits avec de longues pleines charges, le moteur serait assez puissant pour compenser cette traînée. C'est ce qu'avait prévu le groupe technique notamment composé de Simone Resta, d'Enrico Cardile et de l'ingénieur français David Sanchez ; l'objectif était de pallier les faiblesses de la SF90 de 2019, qui était rapide en ligne droite, mais manquait de performance dans les virages lents et sur les circuits requérant beaucoup d'appui. Ferrari a donc accru l'appui aux dépens de l'efficience.

En 2020, Ferrari a eu des problèmes majeurs sur les circuits où l'écurie a eu ses meilleurs résultats en 2019, confirmant l'impression selon laquelle l'accord avec la FIA lui a coûté cher. Le manque de vitesse constaté par les ingénieurs Ferrari dès les essais de Barcelone ne pouvait pas être résolu rapidement car il était lié au design de base de la voiture.

Une question évidente subsiste : pourquoi la Scuderia a-t-elle perdu tant de puissance en respectant les nouvelles directives techniques de la FIA ? C'est probablement lié aux détails de l'architecture de l'unité de puissance, que Ferrari souhaite évidemment tenir secrets, d'où la nature de son accord avec la FIA. La fédération a reconnu ne pas avoir pu trouver de preuves d'infraction, ce qui aurait permis à Ferrari de faire appel d'éventuelles sanctions. Cela aurait pris des mois ; c'est pourquoi la FIA a trouvé un compromis.

"L'accord est secret car il est évident qu'un accord de ce type l'est", a commenté Binotto. "S'il n'avait pas été secret, nous aurions dû montrer à tout le monde les dessins de notre moteur, et je ne pense pas que quiconque l'ait déjà fait en Formule 1. Personne ne le fera à l'avenir non plus. Quant aux zones d'ombre, c'était le cas au fil de la saison 2019 jusqu'à l'arrivée de nouvelles directives, qui ont notamment été définies grâce à notre aide. Ces directives ont eu un impact sur tous les moteurs mais nous ont coûté plus cher."

Il n'y a pas de communication officielle concernant ce qui a été modifié sur l'unité de puissance Ferrari 2020. La concurrence pense que la Scuderia a trouvé et exploité une de ces zones d'ombre concernant le débit de carburant en 2019, ainsi capable d'injecter plus de carburant. Mais elle n'a jamais officiellement dépassé le maximum autorisé de 100 kg/h.

"Personne en 2019 n'a porté réclamation contre nous", a rappelé Binotto. "Et ce qui a été fait par la suite part du souhait de la FIA de poursuivre son enquête, qui aurait mené à un gaspillage considérable de leur énergie et de la nôtre, à un moment où nous étions occupés à développer la voiture pour la saison 2020. Nous avons donc trouvé un accord simple : concentrons-nous sur l'avenir, aidons-nous à comprendre quelles sont les zones d'ombre qu'il faut clarifier, et cette clarification a été faite avec notre aide."

Sebastian Vettel, Ferrari and Charles Leclerc, Ferrari with the team

Une autre décision qui a eu un énorme impact sur la saison 2020 de Ferrari est celle de ne pas renouveler le contrat de Sebastian Vettel pour l'année suivante – et de l'en informer avant même le premier Grand Prix. Le 12 mai, Ferrari a annoncé son divorce avec Vettel, et il est important de souligner que cette décision était unilatérale, prise par les dirigeants de la Scuderia. Cela faisait des années que Vettel n'était plus maître de son destin à Maranello.

"J'étais à la maison", s'est remémoré Binotto, "et avant d'appeler Sebastian pour l'informer de notre décision, j'ai répété trois fois dans ma tête ce que je devais lui dire et la meilleure manière de le faire. La décision de mettre un terme à notre collaboration n'a pas été facile, car nous l'aimons en tant que pilote, en tant que personne, et pour ce qu'il a donné à l'écurie au fil des années. Mais vient un temps où il faut faire des choix en pensant à l'avenir ; nous approchons du début d'un nouveau cycle technique en 2022, il y a une équipe qui se construit dans tous les rôles, nous avons le devoir et l'ambition de penser au moyen et long terme. Ce sont précisément ces arguments rationnels qui nous ont donné la force de faire certains choix."

"Seb a-t-il raccroché ? Non, il est très intelligent, c'est une belle personne, comme l'a démontré l'approche professionnelle qu'il a maintenue durant une saison qui n'a pas été sans difficultés. Jamais négatif, toujours proactif : c'est quelqu'un de très respectable."

Le comportement de Vettel en public a été exemplaire, mais la nature humaine est ce qu'elle est, et la motivation n'était pas la même qu'en 2017 et en 2018, lorsqu'il jouait le titre. Être considéré comme superflu par Ferrari est forcément un coup dur, surtout pour un quadruple Champion du monde qui était auparavant le leader de l'équipe.

Le niveau de performance de la SF1000 n'a pas aidé, même si la Scuderia a revu ses objectifs à la baisse lorsque les problèmes de la voiture sont devenu apparents. Charles Leclerc avait remporté sa bataille interne avec Vettel en 2019, et cette voiture difficile a plongé l'Allemand dans la crise. Il préfère traditionnellement une monture au train arrière très prévisible, ce qui n'a jamais été le cas de la SF1000.

En dehors d'un podium au Grand Prix de Turquie, la saison 2020 n'a été pour Vettel qu'un long compte à rebours avant le début de sa nouvelle aventure chez Aston Martin, et l'intéressé ne l'a pas caché. Le désir de changement est compréhensible et paradoxalement, lors des dernières courses de la saison, c'est Leclerc qui semblait avoir la pression.

Pour la nouvelle superstar de Ferrari, 2020 a été une grande déception après les exploits de la saison précédente. Les pilotes faisant carrière en Formule 1 connaissent tous à l'occasion une année de souffrance, mais c'est l'opportunité pour eux d'accepter l'échec avec philosophie. Voilà ce que Leclerc doit digérer lors de la trêve hivernale : par moments, son envie désespérée de marquer les esprits l'a mené à prendre de mauvaises décisions, comme au départ du Grand Prix de Sakhir, avec un accident évitable. Pour sa deuxième année en tant que leader de la Scuderia, Leclerc se doit d'être plus serein lors de tels moments stressants.

La tâche de Binotto n'est pas des moindres, et si le directeur d'équipe a déclaré officiellement qu'il n'allait plus participer aux décisions techniques, sa présence dans la Gestione Sportiva à Maranello va forcément le tenter de s'intéresser au domaine technique. De plus, à certains moments de la saison 2020, on a eu l'impression que Binotto était tout seul à la tête de la Scuderia.

Mattia Binotto, Team Principal Ferrari, and Charles Leclerc, Ferrari

Le président John Elkann et le PDG Louis Camilleri ont ponctuellement renouvelé leur confiance à Binotto par voie de communiqué, mais leur approche est manifestement différente de celle de Sergio Marchionne, qui avait pris à cœur la "mission" de Ferrari. Non seulement il se rendait sur les Grands Prix mais il participait aussi aux réunions de la Commission F1.

De nos jours, Binotto ne compte que sur lui-même et sur l'émergent Laurent Mekies pour ces rôles. Il manque peut-être un personnage charismatique comme Luca di Montezemolo ou Marchionne. Ni l'un ni l'autre ne craignait de taper du poing sur la table pour défendre l'intérêt de Ferrari.

Souvent, quand la Scuderia a des difficultés, des têtes tombent. En 2020, il y a eu des changements quant à l'organisation des responsabilités au sein du département technique, mais ceux qui espéraient des recrutements d'envergure pour renforcer l'équipe ont été déçus. Certes, il est très probable que Resta, parti entamer une nouvelle aventure chez Haas, soit remplacé par un ingénieur d'expérience, mais ce dernier ne pourra réellement influencer que le projet 2022.

Dans un avenir proche, une question va rapidement se poser : comment rattraper le terrain perdu en 2021 ? Sera-t-il possible de le faire malgré les restrictions imposées sur le développement cette saison ? Oui, mais ce n'est pas gagné. La principale faiblesse de Ferrari en 2020 était sans aucun doute l'unité de puissance, et de ce côté-là, il n'y a pas de restrictions. Le nouveau groupe propulseur, avec une turbine plus légère et une nouvelle culasse, est au banc d'essai depuis des mois, et Binotto est confiant à son sujet. Bien sûr, la réponse définitive ne viendra que quand la voiture définitive roulera en piste.

En tout cas, les observateurs décèlent un changement significatif côté politique. En novembre, Ferrari a changé de position et est devenu favorable à la proposition de Red Bull de geler les spécifications d'unité de puissance à partir de 2022. Cela laisse imaginer que Maranello est confiant quant à sa nouvelle unité de puissance, sans quoi un gel prématuré pourrait s'avérer désastreux.

En dehors de l'unité de puissance, il demeure possible de résoudre les problèmes majeurs de la SF1000 en travaillant sur l'aérodynamique et la suspension arrière. Ferrari peut dépenser ainsi les deux jetons de développement autorisés par la réglementation sur le châssis et espérer que les gains de puissance moteur soient suffisants pour retrouver un bon niveau.

Les ambitions de la Scuderia son plus modestes qu'il y a un an. Elle peut espérer davantage de podiums, peut-être une victoire surprise à l'occasion, et la troisième place du championnat des constructeurs, mais la concurrence sera rude.

Si tant est que Leclerc parvient à redécouvrir son équilibre et que la Ferrari est plus compétitive – des éléments codépendants – le succès dépendra aussi de l'occupant de la deuxième voiture. Si la confirmation de Carlos Sainz a été accueillie avec dédain par ceux qui attendaient Daniel Ricciardo, l'Espagnol a prouvé sa valeur lors d'une saison 2020 solide avec McLaren. Les doutes concernant sa maturité et son talent sont plus rares, tout comme ceux qui murmurent que son recrutement était une erreur.

En fin de compte, la renaissance de Ferrari dépendra de la collaboration entre les deux pilotes. Comme toujours en F1, s'il y a la moindre friction entre eux, cela se manifestera quand la voiture leur permettra de gagner des courses. Ironiquement, c'est un problème que Ferrari doit espérer devoir gérer dès que possible.

Charles Leclerc, Ferrari SF1000

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