Analyse

Comment le handicap aéro va changer la Formule 1

C'est une première en Formule 1 : pour la saison 2021, l'utilisation des outils de développement aéro est limitée selon les résultats des écuries afin de niveler les performances. Une règle qui va changer la catégorie reine du sport automobile.

Valtteri Bottas, Mercedes F1 W11, et Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11, en tête au départ

Photo de: Zak Mauger / Motorsport Images

Les nouvelles règles de la Formule 1 sont inédites : pire est le classement d'une écurie en 2020, plus elle dispose de temps d'utilisation de la soufflerie et de la CFD (mécanique des fluides numérique). Actuellement, avantage à Williams donc, tandis que Mercedes devra composer avec des ressources moindres à cet égard. Et le gouffre va s'accroître à partir de 2022, en accord avec la réglementation sportive. Nous vous expliquons tout !

Quelles sont ces nouvelles limites ?

La première chose à souligner est que les restrictions des essais aérodynamiques existent depuis des années afin d'établir ce qu'il est possible de faire ou non et d'éviter les failles exploitables.

La saison est divisée en six périodes d'essais aérodynamiques de neuf, huit, huit, dix (dont la fermeture estivale de deux semaines), huit et neuf semaines respectivement. Chaque période incorpore une limite de travail aéro, et les écuries doivent indiquer à la FIA ce qu'elles ont fait au terme de chacune. Il y a donc un suivi tout au long de la saison.

En 2020, les écuries avaient le droit lors de chaque période à 320 runs en soufflerie, soit 400 heures d'utilisation dont 80 heures lors desquelles l'outil est actif. Cela peut représenter 50 journées de huit heures en huit semaines ou 56 jours. L'emploi de la CFD est sujet à des restrictions différentes et extrêmement complexes, et les équipes doivent donner tous les détails sur les systèmes, outils et logiciels à leur disposition.

La seule différence pour 2021 est que la limite est différente pour chaque équipe, selon le classement du championnat des constructeurs 2020, avec une base de 100% pour 40 runs hebdomadaires en soufflerie. Voici à quoi ressemblent les chiffres sur l'ensemble des six premiers mois de l'année.

Restriction des essais aéro 2021 (01/01 - 30/06)

Écurie Pourcentage

Runs sur 6 mois

Heures totales*

Mercedes 90% 864 216
Red Bull 92.5% 888 222
McLaren 95% 912 228
Aston Martin 97.5% 936 234
Alpine 100% 960 240
Ferrari  102.5% 984 246
AlphaTauri 105% 1008 252
Alfa Romeo 107.5% 1032 258
Haas 110%

1056

264

Williams 112.5%

1080

270

*Soufflerie active

Il est important de souligner que pour les six derniers mois de l'année, soit les trois dernières périodes d'essais aéro, c'est le classement du championnat des constructeurs en cours qui sera pris en compte.

Quel impact ?

Il est difficile d'imaginer que le run hebdomadaire supplémentaire dont jouira Red Bull par rapport à Mercedes fera une différence majeure. En revanche, il est intéressant d'étudier le cas de Ferrari, qui a dû se contenter de la sixième place du championnat l'an passé. En l'espace de six mois, la Scuderia aura 120 utilisations et 30 heures de plus que Mercedes, ce qui commence à être significatif et pourra être très précieux.

"Je suis satisfait, car je pense que c'est une douce correction", déclarait Ross Brawn, manager sportif de la F1, à Motorsport.com l'an dernier. "Cela maintient la méritocratie, il faut quand même aller gagner la course en piste. Nous ne faisons rien qui handicape le pilote quand il est en piste, ce n'est pas un système de lest. C'est plutôt comme la NFL avec la draft, où les écuries les moins bien placées ont les meilleures opportunités au début, mais il faut quand même qu'elles soient performantes. Ce n'est pas comme si on leur donnait des points. Je pense que cela aura un effet modéré pour corriger la compétitivité du plateau sans la fausser."

L'idée a été appréciée par les directeurs d'équipe, notamment Otmar Szafnauer (Aston Martin) : "Les restrictions des essais aéro récompenseront ceux qui ont un programme efficace en soufflerie. Si l'on peut faire les choses efficacement et que l'on ne doit pas faire les tests deux fois, si l'on a une bonne corrélation avec la soufflerie, c'est ce qui compte."

Autre incidence indirecte mais notable : Red Bull a rapatrié la Scuderia AlphaTauri dans la même soufflerie que Red Bull Racing, permettant à l'écurie italienne de passer d'un modèle 50% à 60%, soit l'échelle maximale autorisée.

Pourquoi c'est compliqué ?

La difficulté majeure que représente cette nouvelle réglementation est que le développement va cette année devoir être partagé entre la monoplace 2021 et celle de la saison suivante, qui répondra au nouveau Règlement Technique. Le dilemme est d'autant plus grand pour Mercedes, puisque c'est l'écurie qui peut passer le moins de temps en soufflerie.

"Nous avons eu la chance d'être bons l'an passé, et malheureusement nous en payons un petit peu le prix en 2021 et au-delà car nous allons devoir moins utiliser ces atouts fondamentaux [...] par rapport à nos concurrents", a souligné James Allison, directeur technique Mercedes. "Mais pour nous, le défi a été : comment réagir à cette nouvelle règle de la manière la plus positive ? Comment s'assurer que cela ne nous fera pas trébucher ?"

"Si nous n'avons pas le droit d'utiliser notre soufflerie et notre CFD autant qu'avant, voyons comment adapter notre monde afin d'extraire de plus en plus de choses de chaque opportunité en soufflerie. Nous n'avons qu'un seul run en soufflerie, faisons en sorte qu'il soit aussi précieux que possible pour nous. Si nous n'avons droit qu'à une petite quantité de calculs CFD, faisons en sorte que la méthodologie et l'approche de ces calculs soient aussi utiles que possible. Nous avons donc essayé d'adapter notre approche à cela, afin de réduire voire de totalement oblitérer l'effet de cette réduction dans la quantité de choses que nous avons le droit de faire avec ces outils fondamentaux."

Quand est-ce que les écuries vont se concentrer sur 2022 ?

Jusqu'au 1er janvier, le dilemme de la nouvelle réglementation ne se posait pas : les essais aéro liés à 2022 étaient interdits. Désormais, la bascule va se faire progressivement. Avec le gel des châssis (depuis le 30 septembre 2020) et des moteurs (à partir du premier Grand Prix 2021) jusqu'au terme de la saison, l'on est par ailleurs dans un contexte où le développement aéro sera crucial en 2021. D'autant que la réglementation technique a légèrement évolué cette année pour réduire l'appui et les performances, avec de nouveaux enseignements à tirer en conséquence.

Traditionnellement, les écuries en lutte pour le titre ou prises dans une bataille acharnée au championnat des constructeurs – par exemple McLaren, Racing Point, Renault et Ferrari l'an dernier – évitent de cesser le développement prématurément pour l'année en cours. En effet, un meilleur classement au championnat entraîne une augmentation conséquente des primes financières versées par la F1, malgré le nouveau handicap que représente la réduction du temps de développement aéro. Réduction qui va d'ailleurs s'accroître à partir de 2022...

Essais aéro autorisés de 2022 à 2025 selon le classement précédent

1er 70%
2e 75%
3e 80%
4e  85%
5e 90%
6e 95%
7e  100%
8e  105%
9e  110%
10e  115%

* Toujours sur une base de 100% = 40 runs hebdomadaires

Ainsi, sur les six premiers mois de l'année, l'écurie la moins bien placée au championnat précédent n'aurait pas 216 mais 432 runs en soufflerie de plus que l'équipe Championne du monde en titre. Et si un team commence la nouvelle ère technique sur les chapeaux de roue, il lui sera plus difficile de conserver son avantage. Ce qui n'est pas négligeable, quand Mercedes domine la Formule 1 depuis le début de l'ère hybride... Et comme le disait Szafnauer, le talent et les compétences pourront faire la différence.

Par ailleurs, ce qui pourrait au premier abord avoir l'air d'une règle visant à stopper la suprématie de la marque à l'étoile aura peut-être un jour l'effet inverse... "C'est plutôt amusant", a souri Brawn. "Quelqu'un de chez Mercedes se plaignait à ce sujet, et j'ai dit : 'Tu pars du principe que vous allez toujours gagner. Réfléchis un moment, si vous êtes deuxième ou troisième, vous n'aimeriez pas un peu d'aide ?' Et il a soudain compris que s'ils ne gagnaient pas, ce serait relativement utile..." Dans tous les cas, les performances des écuries vont devenir plus fluctuantes, la Formule 1 va gagner en imprévisibilité, et c'est exactement ce dont elle a besoin.

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