Comment une lutte de pouvoir a mené Binotto à la tête d'Audi F1
Une lutte de pouvoir entre les responsables d'Audi F1 a été le catalyseur d'un changement à la tête de l'entreprise. Plongée dans les coulisses de l'arrivée de Mattia Binotto, annoncée mardi.
Près de deux ans après l'annonce officielle de l'engagement d'Audi en Formule 1, les sourires affichés ce jour-là ne sont plus qu'un lointain souvenir. Son équipe, qui court toujours sous la bannière Stake F1 (la nouvelle identité de Sauber), occupe actuellement la dernière place du championnat constructeurs, sans le moindre point à son actif depuis le début de la saison. En fait, elle n'a pas terminé dans le top 10 depuis le Grand Prix du Qatar 2023 et il y a peu d'espoir que sa monoplace soit en mesure d'y parvenir à la régulière dans un avenir proche.
Mais ce qui est peut-être pire que l'absence de résultats probants, ce sont les progrès minimes qui ont été réalisés depuis l'annonce de Spa, alors qu'Audi se prépare à débuter en F1. Les efforts déployés dans son usine moteur allemande sont peut-être considérables, mais ce qui est produit en piste à l'heure actuelle n'est pas à la hauteur de ses standards. Malgré l'énorme puissance financière de ses nouveaux propriétaires, l'usine d'Hinwil semble perdue, ce qui a fait naître des doutes sur ce que l'on peut attendre d'Audi en 2026.
À ce stade de la saison, l'équipe espérait que sa cible numéro un sur le marché des pilotes, Carlos Sainz, ait signé un contrat qui lierait son avenir au constructeur allemand. Au lieu de ça, le fait que Sainz n'ait pas été impressionné par l'offre qui lui était faite, et qu'il ait préféré étudier les options de Williams et d'Alpine, a démontré qu'Audi n'était pas à la hauteur de ses ambitions sur le marché des pilotes.
Ce manque de conviction pour attirer le bon pilote semble s'être reflété au niveau du personnel, car les employés de qualité paraissent réticents à rejoindre un projet dans lequel ils ne croient pas non plus.
L'annonce officielle de l'arrivée d'Audi en F1, en août 2022.
Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images
L'impact du rachat
Le rachat de Sauber par Audi n'allait pas avoir d'impact immédiat - surtout si l'on considère que son engagement officiel n'interviendra qu'en 2026. Mais ce qui a peut-être surpris l'entreprise, et son désormais ancien PDG Andreas Seidl, c'est que la phase de transition qui a suivi le rachat a contribué à contrarier les ambitions de l'entreprise.
L'ancien propriétaire, Finn Rausing, étant toujours impliqué et son soutien étant nécessaire pour financer des investissements plus importants, l'équipe et Seidl avaient les mains liées, car rien n'incitait Rausing à dépenser de l'argent pour améliorer quelque chose dont il n'allait plus bénéficier. La situation était comparable à celle d'une personne qui aurait vendu sa voiture et à qui l'on demanderait ensuite d'acheter de nouveaux pneus.
Consciente de la difficulté de sa situation et du fait que le manque d'investissement dans ses infrastructures allait avoir des conséquences à long terme si l'on n'y remédiait pas rapidement, Audi a ainsi procédé à un rachat accéléré au début de l'année.
L'actionnariat à 100% a permis d'apporter des améliorations à Hinwil et de procéder aux premiers recrutements, dont Stefan Strähnz en provenance de Mercedes, qui deviendra le nouveau directeur des programmes. Parmi les autres recrutements, citons Stefano Sordo, ancien de Red Bull et de McLaren, et Lee Stevenson, ancien chef mécanicien de Red Bull.
Oliver Hoffmann, Andreas Seidl et Nicola Buck.
Photo : Audi
Mais alors que les entraves à l'investissement ont été levées, le manque de compétitivité de l'équipe en piste est devenu une source d'inquiétude croissante pour Audi. Et tandis que Seidl s'est délibérément concentré sur le projet pour 2026, considérant que les performances du moment n'avaient pas d'importance, il est rapidement devenu évident que la baisse de forme actuelle aurait des conséquences à long terme.
Si Audi cherchait à attirer des pilotes ou du personnel pour qu'ils fassent partie d'une grande équipe d'usine, la perspective de se retrouver en fond de grille en 2025 et l'absence de garantie quant à une transformation des performances l'année suivante commençaient à entacher son attractivité.
Ainsi, alors que certains pensaient que Stake aujourd'hui et Audi à l'avenir pouvaient être traités comme deux époques distinctes avec une transition nette en 2026, leurs destins ont rapidement commencé à s'entremêler.
Lutte de pouvoir
Mais en dépit de tout ce qui s'est passé en coulisses, le point de basculement dans la succession d'événements qui a conduit Audi à nommer Mattia Binotto, ancien directeur de Ferrari, à la tête de son projet F1 a été une lutte de pouvoir qui se déroulait à l'arrière-plan.
L'ancien patron de McLaren, Andreas Seidl, avait été recruté dès le début de l'année 2023 pour guider Audi vers son entrée en F1 - et sa tactique consistait à prendre du recul par rapport aux opérations en cours afin de pouvoir se concentrer sur la mise en œuvre de tout ce qui était nécessaire pour maximiser les chances pour la F1 2026.
Mais sa situation a changé en mars lorsque l'ancien responsable du développement d'Audi, Oliver Hoffmann, est devenu président de toutes les sociétés Sauber. Des sources suggèrent que Hoffmann et Seidl n'étaient pas d'accord sur ce qui devait être fait au sein de l'équipe, et chacun a alors commencé à chercher les responsables du manque de progrès de l'équipe.
Du point de vue de Seidl, qui avait les coudées franches pour mener à bien le projet depuis son embauche à la fin de 2022, l'arrivée d'Hoffmann ne faisait qu'ajouter une complexité inutile.
Oliver Hoffmann, ici à gauche.
Photo de: Andy Hone / Motorsport Images
Il est entendu que la nature politique de l'affaire et les difficultés rencontrées par la direction d'Audi pour prendre des décisions et parvenir à un consensus sur les programmes à mettre en œuvre ont commencé à devenir un sujet de discorde.
Mais quoi qu'il se soit passé derrière les portes closes, le résultat final a été qu'Audi a perdu patience face à la situation. La société a estimé que la situation n'était pas tenable et que les querelles devaient cesser. Elle n'a cependant pas pris parti sur la question. Au contraire, elle s'est débarrassée de Seidl et de Hoffmann pour installer Binotto à leur place.
Fixer des limites
L'ampleur du changement apporté par la nomination de Binotto est considérable, mais tout à fait logique. Se débarrasser des querelles politiques entre les membres de la direction, qui ne pouvaient pas bien se terminer, et avoir à la place un seul point de contact clair, est déjà une nette amélioration dans l'esprit d'Audi.
Binotto, qui a quitté Ferrari à la fin de l'année 2022, a discuté avec plusieurs équipes de la possibilité de revenir dans le paddock F1, mais le projet Audi est celui qui a le plus de sens pour lui et ses nouveaux patrons. La configuration des activités de la marque aux anneaux est similaire à celle de Ferrari à bien des égards : une équipe d'usine d'un grand constructeur automobile qui produit à la fois son propre châssis et sa propre unité de puissance.
Binotto, qui a également été directeur technique moteur et châssis chez Ferrari, a une grande expérience de ce qui est nécessaire pour réussir en F1 - et comment tirer le meilleur parti du personnel et des installations.
Mattia Binotto et Carlos Sainz.
Photo de: Mark Sutton / Motorsport Images
La nouvelle structure signifie également, et c'est ce qu'Audi a souligné dans son communiqué de presse, qu'il y a quelqu'un à bord qui se concentre entièrement sur ses meilleurs intérêts. Il n'y a plus de situation où la direction est confrontée à des conflits entre Sauber et Audi, ou à la différence entre ce qui se passe aujourd'hui et ce qui se passera dans moins de deux ans. Il n'y aura pas non plus de combat des chefs pour freiner la progression de l'équipe, puisque Binotto est le seul responsable et qu'il rend directement et uniquement des comptes à Audi.
Comme l'a déclaré le PDG d'Audi, Gernot Döllner, qui deviendra également président du conseil d'administration de Sauber : "Notre objectif est de porter l'ensemble du projet Formule 1 à la vitesse de la F1, et ce au moyen de structures de gestion claires, de responsabilités définies, d'interfaces réduites et de processus décisionnels efficaces. Pour ce faire, l'équipe doit être en mesure d'agir de manière indépendante et rapide."
Binotto ne prendra ses fonctions que le 1er août, mais il est clair que le temps est désormais compté. Il n'y aura pas de période transitoire pour se poser tranquillement et faire le point sur la situation avant de passer à l'action. Audi doit agir rapidement pour s'assurer d'être dans la meilleure situation possible pour 2026 et doit redresser la barre par rapport à ce qui se passe sur la piste depuis le début de la saison.
Un nouveau directeur d'équipe pourrait être nommé (les rumeurs sur le recrutement de Mike Krack continuent de circuler malgré les démentis de l'intéressé), et il est probable qu'une vaste campagne de recrutement soit lancée.
Et il ne faut pas exclure que Binotto tente une nouvelle fois d'obtenir un accord avec Sainz. S'il réussit, cela pourrait justement être un gage de confiance pour remettre le projet Audi sur les bons rails.
Avec Frederick Hackbarth et Roberto Chinchero
VIDÉO - La F1 "showcar" d'Audi intègre le jeu vidéo officiel
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