Comment Pérez fait face à la complexe culture Red Bull

Sergio Pérez a passé la majorité de sa carrière à piloter en milieu de peloton, se demandant s'il aurait un jour une chance d'accéder à une équipe de pointe. Red Bull lui a donné cette opportunité, et bien que la vie au sommet soit difficile, le vainqueur de Bakou fait tout ce qu'il faut pour s'entendre avec Max Verstappen.

SI202106050127_news

Il doit y avoir quelque chose dans la façon dont Max Verstappen pilote les monoplaces de Red Bull qui perturbe celui qui se trouve dans l'autre cockpit. Quatre coéquipiers différents en autant de saisons : une instabilité rarement atteinte à Milton Keynes depuis l'arrivée de Dietrich Mateschitz, en 2005. Daniel Ricciardo, l'ancien enfant prodige, a vu de quel côté le vent soufflait et a choisi de "quitter la maison" pour un nouveau départ (ou "fuir un combat", comme l'a dit Christian Horner). Pierre Gasly n'a tenu que 12 courses avant que Red Bull ne le renvoie d'où il venait, alors que le Normand n’a jamais semblé aussi performant qu’il ne l’est aujourd’hui. Pas de chance pour Alex Albon, qui se trouve désormais en DTM, son nouveau refuge puisque la F1 n’avait plus de baquet à lui proposer.

Aujourd'hui, Sergio Pérez est l'homme chargé d’inverser la tendance, en essayant de découvrir comment faire pour que la Red Bull numéro 2 soit aussi performante que celle de Verstappen. Une tâche compliquée dans une écurie quasi entièrement dévouée au Néerlandais, pilier central depuis le départ de Ricciardo fin 2018.

Verstappen s'était déjà imposé comme l’homme fort de Red Bull en étant régulièrement plus rapide durant la première moitié de la saison. Après le départ de Ricciardo pour Renault, Verstappen est naturellement devenu l’atout principal de Red Bull et a donc assumé de plus grandes responsabilités (et avec elles, un plus grand pouvoir pour faire bouger les choses dans les départements d'ingénierie de l'équipe). Ricciardo n'allait jamais jouer les seconds rôles, mais les pilotes qui l'ont suivi ne sont pas parvenus au niveau de l’Australien.

L'erreur de Gasly, s'il en a commis une, a été d'imposer son propre style de pilotage à la voiture et de se trouver dans l’incompréhension la plus totale lorsqu'elle n'offrait pas en entrée en milieu de virage la stabilité qu'il recherchait. Il voulait adapter la voiture à ses besoins, alors que Red Bull voulait que son nouveau pilote s'adapte à la voiture : tous deux n'ont pas réussi à trouver un compromis approprié.

L'aventure d'Albon a bien commencé mais a fini par échouer. La RB16 de 2020 était capricieuse, une donnée que Verstappen pouvait gérer mais que le beaucoup moins expérimenté Albon ne pouvait pas facilement apprivoiser. Ses accrochages avec Lewis Hamilton, lors de Grands Prix où le podium était tout à fait jouable, n’ont pas permis de faire baisser la pression de son côté du garage.

 

Albon se débrouillerait probablement mieux dans la RB16B, qui semble intrinsèquement plus stable, mais Red Bull a décidé qu'il lui fallait plus d'expérience, avec un pilote plus régulier pour optimiser les points et (enfin) tenir tête à Mercedes.

Ce qui nous amène à Pérez, un vainqueur de Grand Prix âgé de 31 ans avec déjà dix saisons en F1 derrière lui. Pérez a été l'un des pilotes de milieu de grille les plus solides de toute l’ère hybride, dont il a passé la totalité (jusqu'à aujourd'hui bien sûr) avec Racing Point (anciennement Force India). En point d’orgue, sa première victoire dans des circonstances fortuites au Grand Prix de Sakhir. En d'autres termes, il semble être l'homme idéal pour apporter le "nous" dont Red Bull avait besoin dans sa deuxième voiture, avec un pilote qui est en F1 depuis plus longtemps que Ricciardo.

De nombreux pilotes de milieu de tableau rêvent d'un volant dans un top team, et avec de la chance de montrer ce qu'ils peuvent vraiment faire dans une voiture capable de courir en tête, plutôt que de se battre pour des places moins rémunératrices en points ou des podiums occasionnels. Tous croient qu'ils sont capables d'être Champion du monde avec la bonne machine. C'est pourquoi Lando Norris s’était exprimé (avant de se rétracter) sur le fait qu'Hamilton avait la vie facile chez Mercedes. Carlos Sainz avait contre-argumenté que très peu de pilotes pouvaient être aussi réguliers que Lewis, mais pouvaient néanmoins gagner des courses dans la même voiture.

Je me rends compte que je dois beaucoup réfléchir à ce que je fais dans la voiture, à la façon dont je pilote. Je change souvent mon style de pilotage pendant le week-end, pour m'adapter à la voiture.

Sergio Pérez

Les déboires de Valtteri Bottas au cours des quatre dernières saisons laissent penser qu’un tel scénario est certainement possible, mais encore très difficile à réaliser avec une certaine régularité. Et le parcours de Pérez montre à quel point il peut être difficile de prospérer au plus haut niveau. Alors que Verstappen tient tête à Hamilton et à Mercedes à chaque course, Pérez n'était pas encore monté sur le podium avant son succès en Azerbaïdjan, pour ce qui était la sixième manche de la saison. S'adapter à un nouvel environnement quand on a passé tant de temps ailleurs n'est pas l'œuvre d'un instant.

"C'est un gros défi, surtout quand vous passez autant de temps dans une équipe, vous réalisez pourquoi la constance est très bonne", explique Pérez dans notre magazine GP Racing. "Quand je viens ici, je vois comment Max est avec la voiture, avec l'équipe, comment il est adapté, comment il se livre à 100% des les Essais Libres 1 jusqu'au dernier tour de la course. Et c'est quelque chose que j'avais l'habitude de faire chez Racing Point, parce que j'avais de l'expérience là-bas. Mais changer d'environnement, c'est tout simplement différent, vous savez, ce n'est pas encore naturel. Je me rends compte que je dois beaucoup réfléchir à ce que je fais dans la voiture, à la façon dont je pilote. Je change souvent mon style de pilotage pendant le week-end, pour m'adapter à la voiture."

 

"Quand vous avez de l'expérience avec ça, vous savez que vous allez exploiter 100% de la voiture, 99% du temps où vous êtes là. S’il y a du vent, vous savez ce que vous devez faire et comment la voiture se sent. Et quand vous sautez dans une nouvelle voiture, c'est tout différent. Vous l'avez vu avec tous les autres pilotes [qui ont changé d'équipe pour 2021]. Je pense que nous sommes tous dans le même bateau. De mon côté, je sais que je vais y arriver. Mais il est important d'y arriver rapidement parce qu'évidemment, la saison s'achève à un moment donné."

Chez Ferrari, Sainz va contre la tendance puisqu'il a obtenu le seul podium de l'écurie à Monaco, mais sinon, la remarque est vraie. La pandémie a davantage entravé Pérez, empêchant l'intégration de manière habituelle, au point que les protocoles et les restrictions obligatoires signifient qu'il ne peut même pas prendre un café avec ses mécaniciens.

Le coronavirus rend la communication en face-à-face plus difficile, et empêche également la construction de ces relations clés, fondamentales pour le jeu d'équipe qui définit une compétition comme la F1. Si l'on ajoute à cela des essais hivernaux très limités, des changements significatifs dans les réglementations aérodynamique et les pneumatique, en plus du processus habituel d'assimilation, la situation n’est facile pour personne.

"En ce moment, j'essaie juste de prendre le dessus sur la voiture", explique Pérez. "Parce que fondamentalement, tout ce que j'ai fait chez Racing Point ne fonctionne pas ici. C'est toujours une voiture de Formule 1, mais c'est juste différent : la façon dont je dois piloter en course, la façon dont je dois piloter en qualifications, la manière dont je gère les pneus, tout cela est très différent. L'unité de puissance aussi. Pour être honnête, être là où je suis avec ce que je ressens dans la voiture, je suis surpris. J'ai l'impression que je devrais être très loin. Nous parlons de très petites marges. Mais si je suis capable de trouver quelques dixièmes, tout d'un coup, je suis dans la lutte pour gagner la course. Je suis extrêmement motivé par cela. La performance en course à Portimão a été une grande motivation pour moi, parce que cela m'a vraiment fait comprendre comment piloter la Red Bull en course. Et ça a définitivement été un tournant."

Pérez fait référence à une course sans particularité aux premier abord, dans laquelle il a raté son envol depuis la quatrième place sur la grille et a passé les 15 premiers tours à se défaire des voitures plus lentes. Sa stratégie était décalée par rapport aux leaders, mais le rythme de Pérez, une fois la piste dégagée, pendant son premier relais interminable, était comparable à celui de Verstappen et Bottas. Ceci ajouté au fait qu'il a battu son coéquipier en première ligne à Imola, ou qu'il a parfois été le plus rapide à certains moments des essais libres (Monaco le vendredi matin) : Pérez peut être rapide dans sa monoplace, mais pas encore durant la totalité d’un week-end.

Jusqu'à présent, il a soit compromis ses courses en se qualifiant trop loin ou en partant trop lentement, soit, comme ce fut le cas à Imola, en commettant des erreurs cruciales en course lorsque Mercedes était présent pour la victoire. Il est encore tôt, bien sûr, mais, du point de vue de Verstappen, le tableau est remarquablement similaire à celui d'avant : "à la fin, je suis toujours seul à me battre".

 

"Pour moi, la chose la plus difficile à ajuster est la façon dont je dois piloter, parce qu'il y a une façon [particulière] d'extraire le maximum", affirme Pérez. "Et évidemment, ce que Max fait convient très bien à la voiture. Et c'est quelque chose de très différent de ce que je faisais avant. Donc, je pense qu'avant de me lâcher complètement, je me concentre juste sur le pilotage de la voiture, comment elle devrait être pilotée. Une fois que je suis dans cette fenêtre, alors je suis capable de mieux me sentir dans la voiture, et je pense que c'est la clé."

Les ingénieurs de Force India avaient l'habitude de vanter les mérites de Pérez sur les circuits dits "limités sur l'avant", où les pneus avants ont tendance à manquer d’adhérence, et son habilité remarquable pour gérer la motricité sur l’arrière de la monoplace pour préserver la durée de vie des pneus. Le directeur technique d'Aston Martin, Andrew Green, a récemment qualifié ce style d'"extrême".

Il semblerait, d'après les retours de Pérez et le fait que Verstappen a du mal à rester dans la lutte avec Mercedes sur les distances de course en raison de la faible durée de vie des pneus arrière, que la RB16B est une voiture limitée sur l'arrière, et donc naturellement inadaptée au style de Pérez. Le Mexicain ne trouve aucune excuse, que ce soit pour lui-même ou pour les précédents titulaires de son baquet, qu'il décrit comme des "énormes talents". Il reconnaît simplement les capacités incroyables de Verstappen, et la nécessité de faire mieux lui-même.

Cela n'a pas de sens de forcer si vous êtes hors du rythme avec la voiture, ou de faire en sorte que l'équipe poursuive une direction [de réglage] différente qui ne va tout simplement pas fonctionner. Il faut d'abord être dans le rythme, et ensuite vous parlez...

Sergio Pérez

"Max est évidemment un pilote très talentueux, très, très complet", ajoute Pérez. "Et au sein de l'équipe, vous pouvez voir qu'il est avec l'écurie depuis quelques années déjà et il sait exactement ce dont il a besoin à chaque fois. S'il y a un changement de conditions, ou s'il se passe quelque chose en général, il s'adapte très rapidement. Il opère à un très haut niveau, au sein de l'équipe, dans cette voiture. Il est certainement à son apogée avec Red Bull. C'est évidemment une bonne référence à avoir."

Il convient également de noter le niveau d’expérience atteint par Verstappen en F1 : 125 départs, un nombre de victoires déjà à deux chiffres (plus que certains grands noms comme James Hunt, Ronnie Peterson ou Jody Scheckter), près de 50 podiums, le tout à seulement 23 ans…

"Regardez ses coéquipiers", déclare Jos, le père de Verstappen, au journal néerlandais De Telegraaf. "Gasly, Albon et maintenant Pérez, ce ne sont pas des pipes. Mais d'une manière ou d'une autre, Max fait quelque chose d'exceptionnel. Chez Red Bull, ils voient aussi à quel point il est bon. Peut-être que je ne devrais pas le dire, mais Max fait paraître cette voiture meilleure qu'elle ne l'est vraiment. Si vous mettez Max et Lewis dans la même voiture, il n'y a aucun doute dans mon esprit sur qui est le meilleur. Mais nous espérons que Red Bull lui donnera le matériel pour vraiment le montrer."

 

On pourrait s'attendre à ce qu’un père fasse des commentaires aussi élogieux sur son propre fils, mais le fait est que quiconque s'assied aux côtés de Verstappen a du pain sur la planche.

"Je ne dis pas que les précédents [pilotes Red Bull] ne sont pas extrêmement talentueux. Vous avez vu avec Pierre et avec Alex, ce sont d'énormes talents", déclare Pérez. "Et ils sont encore très, très jeunes. Donc, il y a des raisons [pour lesquelles ils ont lutté], et l'équipe le comprend mieux, mais de mon côté, je ne me concentre pas sur ça. Je fais juste en sorte que ça marche, je me concentre sur moi-même. C'est la meilleure approche que je puisse avoir. Cela n'a pas de sens de forcer si vous êtes hors du rythme avec la voiture, ou de faire en sorte que l'équipe poursuive une direction [de réglage] différente qui ne va tout simplement pas fonctionner. Il faut d'abord être dans le rythme, et ensuite vous parlez..."

La plus grande force de Pérez aujourd'hui, par rapport à l'enfant rejeté qu'il a été chez McLaren après une seule saison, est sa maturité. Il est heureux de retrouver Christian Horner, qui connaît le Mexicain depuis qu'il pilotait pour l'équipe Arden en GP2 (cofondée par Horner et son père Garry). Pérez est fasciné par les discussions avec Adrian Newey ("chaque fois que vous discutez cinq minutes, vous apprenez quelque chose sur la voiture"). Pérez affirme même apprécier le style de motivation sans langue de bois d'Helmut Marko.

"J'aime cette facette de Red Bull. Plein de coureurs, et tout est axé sur les résultats", insiste Pérez. "Et si vous obtenez de bons résultats, c'est génial, sinon, vous savez, vous n'êtes pas assez bon. J'aime ça, avoir cette relation directe avec toute l'équipe, et cela ne vient pas uniquement de la direction. C'est la façon dont l'équipe entière fonctionne à tous les niveaux. Et c'est quelque chose que j'apprécie vraiment dans la culture Red Bull."

Les débuts de Pérez chez Red Bull n'ont pas été faciles, mais il semble extrêmement détendu pour quelqu'un qui doit faire face à cet environnement et à la pression qui accompagne une opportunité inattendue et à court terme (contrat d'un an) de réaliser ses propres rêves en ayant enfin une voiture capable de remporter le championnat.

"Ma carrière a été un peu en dents de scie", dit Pérez. "Je me suis retrouvé dans des positions que je ne pensais pas atteindre, je croyais que la F1 consistait à piloter aussi vite que possible ! Et ce n'était pas le cas pendant certaines de mes années. Il se passait beaucoup de choses en dehors de la piste et ce furent des années très stressantes. Mais aussi des années durant lesquelles j’ai beaucoup appris, non seulement en tant que pilote, mais aussi en tant que personne. Elles m'ont fait grandir dans de nombreux domaines différents. Je pense que cela m'a vraiment rendu plus fort."

 

"J'avais un contrat de trois ans [avec Racing Point/Aston Martin] et j'étais très heureux de faire partie du projet, du renouveau de l'équipe. Mais je pense que tout d'un coup, le marché des pilotes a beaucoup changé. Et évidemment Seb [Vettel] était disponible. Je pense que c'est un grand nom pour une marque comme Aston. Donc, ils l'ont juste recruté. Et je me suis retrouvé sans place en Formule 1."

Il se passait beaucoup de choses en dehors de la piste et ce furent des années très stressantes. Mais aussi des années durant lesquelles j’ai beaucoup appris, non seulement en tant que pilote, mais aussi en tant que personne.

Sergio Pérez

"Mais après tant d'années dans ce sport, je savais très clairement ce que je voulais faire. Je pourrais simplement conclure un accord avec une autre équipe, mais tout ce qui comptait, c'était d'avoir l'occasion de gagner. Je ne donnerai pas le nom des écuries concernées. J'avais des options. Et j'aurais pu m'engager dans une équipe de moindre importance. Mais il ne s'agissait pas de cela. Il s'agissait d'avoir l'opportunité de gagner dans ma carrière. On est arrivé à un point où c'était Red Bull ou rien. Et puis plus tard dans l'année, les choses ont rapidement changé. Après ma victoire [à Sakhir], j'avais déjà une bonne option pour 2022 et je me suis dit 'si je n'ai pas le volant, je reviendrai'. Et tout d'un coup, cela a complètement changé. Au final, j'ai obtenu le résultat que je voulais, et je suis très heureux d'être ici, et très motivé, plus que jamais. Je pense que je suis encore très jeune. J'ai les meilleures années devant moi."

 

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Aston Martin : jouer le titre d'ici 2025 reste l'objectif
Article suivant Alonso : L'idée selon laquelle j'avais du mal n'était "pas juste"

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France