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Comment Russell a convaincu Mercedes de le prendre sous son aile

George Russell a presque atteint le sommet, devenu coéquipier de Lewis Hamilton chez Mercedes pour 2022. Mais comme l'explique Stewart Bell, s'il fait forte impression depuis son arrivée en Formule 1 en 2019, la marque à l'étoile savait depuis bien plus longtemps avoir une star entre les mains...

George Russell en F3 Europe

Tel un super-héros de bande-dessinée, presque chaque pilote de Formule 1 a une histoire digne d'un blockbuster hollywoodien, compte tenu du niveau terrifiant de dévouement, de talent, de budget, de résultats, de chance et de pure obstination nécessaires ne serait-ce que pour trouver une place sur la grille, sans parler d'avoir la bonne voiture au bon moment afin de jouer la victoire.

Pour le nouveau pilote Mercedes qu'est George Russell, qui a gravi les échelons comme un grimpeur aguerri en étant guidé par des experts du sport auto, l'objectif est clair : devenir Champion du monde de Formule 1. Russell s'exprime de manière résolument détachée et polie, souligne Gwen Lagrue, conseiller Mercedes dans le domaine des jeunes pilotes.

Lagrue a rencontré Russell pour la première fois en 2010, alors que le Britannique courait en karting depuis quatre ans et avait déjà remporté deux titres au Royaume-Uni. "Il était extrêmement mûr et se démarquait vraiment de tous les autres à cet âge par sa confiance", confie Lagrue. Ce n'est pas peu dire, compte tenu du fait qu'il y avait parmi ces autres pré-ados Max Verstappen, Lando Norris, Esteban Ocon, Charles Leclerc et Alexander Albon.

Lagrue was impressed upon first meeting Russell in 2010 as a karter

Lagrue a été impressionné lorsqu'il a rencontré Russell pour la première fois en 2010

"Quand on a 13 ou 14 ans, on n'a pas toujours confiance en soi. George était vraiment à part de ce côté-là, et très intelligent : la manière dont il faisait la course était assurément différente. Il n'avait pas toujours le meilleur matériel mais il était toujours assez intelligent pour faire quelque chose qui sort de l'ordinaire et tirer le meilleur de ce qu'il avait entre les mains, ce qu'il a également fait avec Williams ces [trois] dernières années, à mon avis."

Russell a continué le karting jusqu'à fin 2013, alors devenu Champion d'Europe. Les succès se sont multipliés en monoplace, où il a remporté le titre 2014 de BRDC F4, ainsi que le McLaren Autosport BRDC Award en battant parmi les autres finalistes un certain Albon. Mercedes ne s'était pas encore manifesté, mais en 2016, lorsque Russell gagnait des courses en F3 Europe, il a été approché pour rejoindre les rangs des Flèches d'Argent.

"Nous avons assez rapidement développé une bonne relation et sommes toujours restés en contact", ajoute Lagrue, précédemment responsable du programme de jeunes pilotes Lotus (à Enstone). "Je voulais déjà le faire signer en 2013 ou 2014, mais ça n'a pas été possible à l'époque. Et quand je suis passé chez Mercedes, la première chose que j'ai faite était d'assurer que George nous rejoigne."

Russell avait toutefois déjà rencontré en 2013 le directeur de la compétition de Mercedes, Toto Wolff, qui s'en souvient bien : "Il est venu dans mon bureau, tout seul dans un costume noir avec une cravate noire", se remémore l'Autrichien. "Ça devait être le costume de sa Communion, car il était un peu serré. Il a présenté un diaporama PowerPoint." Wolff a accepté de recruter Russell quelques années plus tard.

Russell shone at 2016 Macau Grand Prix and formally joined Mercedes as a junior the following year

Russell a brillé au Grand Prix de Macao 2016 et a officiellement rejoint Mercedes deux mois plus tard

Le premier défi de Russell en tant que jeune pilote Mercedes a été le championnat GP3 en 2017, mais ce n'était pas une sinécure malgré quatre victoires dont une passionnante à Monza après une bataille acharnée avec ses coéquipiers chez ART Grand Prix, Jack Aitken et le regretté Anthoine Hubert.

"Je pense que cette saison – et même celle de F2 l'année d'après – n'a pas été si facile", confie Lagrue. "Les deux ont été des saisons compliquées, ce qui était bien d'une certaine manière car nous avons dû faire face à des moments difficiles."

"Je pense que là où il a le plus progressé, c'est le physique. Il est devenu un véritable athlète à ce moment-là, mais il était aussi plus fort mentalement. Il est parvenu à être un petit peu plus calme dans les moments plus difficiles. Nous avons beaucoup travaillé sur le niveau de stress. C'étaient des petits détails, mais la combinaison de ceux-ci l'a préparé pour la F1 à travers le GP3 et la F2."

Il avait une otite et nous avons dû l'envoyer au circuit dans un avion médicalisé car il ne pouvait pas prendre un vol commercial en raison du risque d'une infection plus grave. Le premier jour des essais, il ne se sentait toujours pas bien, mais il est quand même parvenu à remporter le championnat GP3

Gwen Lagrue

Cependant, sa plus belle course de la saison n'était probablement pas Monza mais Jerez, l'avant-dernier rendez-vous, bien qu'il ne s'y soit pas imposé. Ce n'était pas non plus pour son dépassement sur son rival pour le titre Jack Aitken le dimanche, ni le fait que la quatrième place et le meilleur tour en course l'aient placé hors d'atteinte de ses concurrents, faisant de lui le premier protégé de Mercedes à remporter un titre.

"Je ne sais pas si quelqu'un est au courant, mais George était vraiment malade la semaine de Jerez", révèle Lagrue. "Il avait une otite et nous avons dû l'envoyer au circuit dans un avion médicalisé car il ne pouvait pas prendre un vol commercial en raison du risque d'une infection plus grave. Le premier jour des essais, il ne se sentait toujours pas bien, mais il est quand même parvenu à remporter le championnat GP3, même en n'étant pas bien du tout."

Russell a aussi affronté ses démons en F2, bien qu'il ait été couronné avec 68 points d'avance sur son dauphin Lando Norris. Monaco a été un moment charnière, avec un Russell fermement décidé à rebondir après deux abandons et des accidents qui ont entamé sa confiance en Principauté.

Lagrue congratulates an under-the-weather Russell after clinching the 2017 title in Jerez

Lagrue félicite un Russell souffrant mais sacré à Jerez en 2017

"Après ça, nous avons dû repartir de zéro", explique Lagrue. "Nous avions trois meetings en trois week-ends, à savoir la France, l'Autriche et Silverstone. Et nous avons dit : 'OK, on a trois courses d'affilée. Si on arrive à les gagner et à être leader après ces trois courses, alors on sera en très bonne position pour jouer le titre'. Nous avons abordé ces trois courses comme un mini-championnat, et il l'a vraiment bien fait. C'était un moment clé dans la quête du titre de Formule 2."

Tandis que l'entourage de Russell, notamment son préparateur physique Aleix Casanovas ainsi que Lagrue, s'assurait qu'il demeure calme, concentré et performant, son ambition a parfois pris le dessus. C'est quelque chose dont son patron chez ART désormais directeur d'Alfa Romeo F1 Team, Frédéric Vasseur, se souvient bien.

"Dans son approche, George est quelqu'un de très, très insistant. Très exigeant avec l'équipe, parfois trop. Et j'ai eu des discussions difficiles avec George à ce sujet", a déclaré Vasseur dans le podcast Beyond The Grid en 2020. "Mais il est aussi très exigeant avec lui-même. En fin de compte, c'est la seule manière de survivre et de progresser, et il a la bonne approche. Il a fait une saison fantastique en Formule 2, lorsqu'il gagnait en tant que rookie."

Bien sûr, à ce stade, Russell avait obtenu plusieurs tests en Formule 1 avec Mercedes, et il a effectué cinq journées supplémentaires en 2018 avec les Flèches d'Argent mais aussi Force India et Williams. L'Anglais a largement établi un nouveau record officieux du Hungaroring avec la W09 et avait déjà impressionné en Essais Libres 1 avec Force India aux Grands Prix du Brésil et d'Abu Dhabi 2017. Mais vous pourriez être surpris d'apprendre que ça n'a quasiment pas compté pour Mercedes.

Mercedes' faith in Russell was rewarded when he impressed Force India in FP1 outings in 2017

Russell a impressionné lors d'essais libres avec Force India en 2017

"Ce n'était qu'un autre pas dans sa préparation, il s'agissait d'être à la hauteur des attentes pour nous assurer que le gamin commence à nous montrer qu'il pourrait être quelqu'un que nous mettrions [dans la voiture] à l'avenir", indique Lagrue. "À partir de là, je dirais que la pression a changé, car c'était à nous de trouver un baquet de F1 pour la saison 2019. Il faisait le job en F2. Chaque fois qu'il avait une opportunité, il faisait un travail parfait, peu importe ce que nous lui demandions : simulateur, test, EL1. Nous avons donc commencé à nous dire qu'il fallait trouver une solution pour 2019, car il le méritait, et c'était désormais notre tâche de le placer en F1."

L'étoile Russell n'a fait que poursuivre son ascension lors des trois dernières saisons avec Williams en F1. Il a consenti beaucoup d'efforts pour convaincre l'écurie de le recruter et encore davantage pour surpasser les limites de voitures dont il n'a pas toujours été facile d'extraire de la vitesse. Russell a progressé à chaque pas, parfaisant son pilotage et devenant le leader de l'équipe.

"Les grands pilotes savent s'adapter rapidement à la situation et aux conditions : tel est le niveau d'adhérence dont je dispose, tel est le réglage dont je dispose, et tout de suite je ne peux changer ni l'un ni l'autre, peu importe à quel point je me fais entendre. Alors comment adapter mon pilotage pour extraire le temps au tour ?" détaille son ingénieur de course chez Williams, James Unwin.

À mes yeux, dans ce processus visant à faire de George un futur Champion du monde, c'est bien qu'il n'ait pas gagné [à Sakhir].

Gwen Lagrue

"Il est également très proactif quant à l'utilisation d'outils électroniques sur le volant. Il ajuste régulièrement l'équilibre. Cela requiert une capacité mentale supplémentaire de faire ça pendant 70 tours !"

Russell a principalement dominé ses coéquipiers chez Williams, d'abord Robert Kubica puis Nicholas Latifi. Ses performances récentes lors des qualifications pluvieuses ont été exceptionnelles, et il y a bien sûr eu le Grand Prix de Sakhir 2020, où il a assuré l'intérim chez Mercedes pendant que Lewis Hamilton avait le coronavirus – et la victoire ne lui a échappé que de peu...

"Nous savions qu'il était capable de réussir, tout comme Mercedes certainement, alors ce n'était pas une grande surprise", commente Unwin. "Il était complètement sous le feu des projecteurs ce week-end-là et avait une très bonne opportunité de démontrer son talent, mais l'inconnue était peut-être la manière dont il allait gérer la pression supplémentaire qui va de pair. Il semble qu'il ait très bien géré ça, et je ne crois pas qu'il ait eu besoin d'une présentation PowerPoint pour se vendre après ce week-end."

Russell famously nearly won his first Grand Prix on his maiden appearance with Mercedes in the 2020 Sakhir GP, until the team's pitstop maladies and a slow puncture dropped him back

Russell a failli remporter sa première victoire pour ses débuts avec Mercedes au Grand Prix de Sakhir 2020, mais une erreur de l'équipe au stand et une crevaison lui ont coûté cher

Bien que ce résultat ait été difficile à avaler pour Russell, c'était une nouvelle bonne leçon aux yeux de Mercedes, peu importe combien c'était dur à l'époque. "Il a fait tout ce qu'il pouvait pour gagner cette course, mais il n'y est pas arrivé", souligne Lagrue.

"À mes yeux, et ça paraîtra peut-être stupide ou fou pour de nombreuses personnes, je trouve ça bien qu'il n'ait pas gagné. Il a gagné énormément de choses ce week-end-là, mais il n'a pas gagné la course, malheureusement pour lui et pour l'équipe. Mais à mes yeux, dans ce processus visant à faire de George un futur Champion du monde, c'est bien qu'il n'ait pas gagné."

Russell a gagné quelque chose de bien plus important : ce baquet aux côtés du pilote le plus victorieux de tous les temps et une opportunité de faire ses preuves à l'avant de la grille lors de chaque Grand Prix. Il a déjà vu ce qui est nécessaire pour briller dans cet environnement, lui qui était pilote de réserve Mercedes en parallèle de sa saison de F2 en 2018. Ce qu'il faut, c'est un travail acharné, sans relâche ; et ça a pu le surprendre, initialement.

"Je crois qu'il s'est rendu compte de la quantité de travail réalisé par Lewis et Valtteri", estime Lagrue. "Il se disait peut-être qu'en pilotant une Mercedes, on a un avantage et ça rend probablement la vie plus facile que les autres, car le niveau de performance à l'époque était un petit peu plus élevé que les autres."

"Il a énormément appris cette année-là. Et je crois qu'il était comme une éponge dans la garage, il recevait toutes les informations, il faisait attention au moindre détail et il se projetait. 'OK, ce sera probablement mon équipe à l'avenir, alors il faut que je connaisse chaque personne, il faut que je comprenne comment ils travaillent. Ils adorent tous Lewis et Valtteri, j'en ai besoin aussi, je dois m'assurer que l'équipe soit derrière moi."

Aucun doute : Russell passe tout son temps à Brackley cet hiver pour mettre ces leçons en application afin de poursuivre son ascension irrésistible vers le sommet de la Formule 1.

George Russell, Williams

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