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Courses sprint : la F1 et sa récurrente peur du changement

La volonté plusieurs fois répétée d'expérimenter des courses sprint qualificatives en Formule 1 divise l'opinion. Pourtant, assumer d'essayer et de faire machine arrière en cas d'échec ne devrait pas être vécu comme une crainte.

La grille de départ avant le tour de formation

Photo de: Glenn Dunbar / Motorsport Images

La Formule 1 est un sport à la fois renforcé et enchaîné par la tradition. Elle doit énormément de son succès actuel à son glorieux passé, avec une généalogie entretenue fidèlement depuis les premiers pas du Championnat du monde en 1950. Des écuries comme Ferrari et des Grands Prix comme celui de Monaco sont aujourd'hui sans égal de par leur histoire. Leurs succès passés font que ce qui se passe aujourd'hui est encore plus important. Mais dans certains cas, le passé de la F1 peut aussi être un fardeau.

On a parfois dit que la tradition n'était qu'une pression collective exercée par des personnes disparues. Et il est vrai que lorsque les dirigeants de la F1 ont tenté de bouleverser les choses par le passé, l'argument disant que ça ne correspondait pas à l'ADN de la discipline a souvent été mis en avant et constitué un premier point de résistance. La F1 se sent toujours très à l'aise lorsqu'il s'agit de faire les choses comme elles ont toujours été faites. Rarement elle s'est montrée très ouverte et suffisamment armée pour tenter des choses totalement nouvelles.

Entre maintenir des traditions fortes qui constituent ses fondations et ne pas stopper des changements progressistes, il y a un équilibre délicat à trouver. C'est ce dont parlait Stefano Domenicali, nouveau patron de la F1, lorsqu'il s'est longuement exprimé la semaine dernière. "Ma responsabilité est de faire en sorte que l'incroyable plateforme que nous avons soit encore plus forte à l'avenir", a-t-il souligné. "Vous savez, dans la vie, les choses qui sont trop stables finissent toujours par mal vieillir un jour."

C'est dans ce contexte que Domenicali s'est entretenu jeudi avec les directeurs d'équipe, au sein de la Commission F1, pour évoquer l'idée des courses sprint. Propriétaire de la F1, Liberty Media affiche ouvertement et de longue date son intention de faire progresser la catégorie reine et de la rendre plus attractive, notamment en modifiant le format des week-ends. Domenicali a clairement fait savoir que la possibilité d'introduire un système de grille inversée était définitivement abandonnée, mais il a mis l'accent sur la volonté d'instaurer une course sprint qualificative le samedi.

Le concept est plutôt simple : les qualifications auraient lieu le vendredi après une unique séance d'essais libres, puis se déroulerait le samedi une course sprint afin d'établir la grille de départ pour le Grand Prix du dimanche. Cette course aurait une distance d'environ 100 km et durerait donc moins d'une heure. En plus de permettre l'élaboration de la grille de départ, elle attribuerait des demi-points afin d'en assurer le plus grand intérêt. Dans un premier temps, la F1 souhaite tester ce nouveau procédé à trois reprises en 2021 : au Canada, en Italie et au Brésil, trois circuits où dépasser est généralement possible. Mais à plus long terme, en cas de réussite, l'idée serait d'étendre le principe de course sprint à une majorité de Grands Prix, si ce n'est la totalité.

F1 wants to trial sprint races in Monza, Montreal and Sao Paulo in 2021.

Évidemment, un tel changement divise l'opinion. Il y a ceux qui voient les courses sprint comme un sacrilège, prétendant que cela règle un problème qui n'existe pas puisque le format des qualifications est l'un des aspects de la F1 qui fonctionne déjà très bien. Il y a aussi un certain scepticisme quant à l'apport qu'auraient ces courses sprint, avec un doute sur le fait que cela change réellement les choses pour le dimanche après-midi.

En réalité, la véritable inquiétude est de voir la course sprint du samedi faire de l'ombre à la course du dimanche. Il existe aussi le risque de dévoiler un jour trop tôt le rythme de course des uns et des autres. Par ailleurs, un vainqueur dominateur le samedi aurait toutes les chances de faire de même le dimanche, affectant l'intérêt de la course principale. Il y aurait donc moins d'incertitude et de suspense avant le Grand Prix. Que dire également des risques accrus pour les écuries d'endommager leur monoplace ? Ou de voir un prétendant au titre pris dans un week-end gâché par une éventuelle malchance le samedi après-midi ?

Et puis il y a ceux qui trouvent que la course sprint du samedi est une bonne idée. Il ne s'agit pas forcément de rendre les samedis plus intéressants qu'ils ne le sont déjà, mais d'avoir une vision plus large de la question : que la totalité du week-end suscite l'intérêt avec un événement important chaque jour. La course sprint ne remplacerait pas les qualifications, ce serait un ajout. Et cela permettrait aux fans de vivre une séance de qualifications le vendredi plutôt qu'une séance d'essais libres, soit du spectacle en plus.

Il y aurait également une heure d'essais libres en moins pour que les équipes et les pilotes puissent se préparer, ajoutant de l'incertitude puisqu'ils ne pourraient pas optimiser leurs réglages ni leur compréhension des pneus. Du coup, cela contredirait l'argument selon lequel la course du samedi donnerait déjà des réponses définitives avant même celle du dimanche.

The Macau Grand Prix is the most prominent example of how qualifying races could work.

À l'heure actuelle, peut-être que l'exemple le plus évident d'une épreuve qui a recours à une séance de qualifications, une course qualificative et une course principale est celui du Grand Prix de Macao. Et ce système a souvent débouché sur des vainqueurs et des résultats différents entre le samedi et le dimanche. Par ailleurs, la tension autour de la course du dimanche est toujours restée bien plus grande que pour la course qualificative, et ne semble donc pas lui nuire.

Il y a donc des arguments valables dans les deux camps. Toujours est-il qu'il y a un aspect important à prendre en compte avant de trancher dans un sens ou dans l'autre. L'essentiel du débat tourne aujourd'hui autour du fait d'essayer quelque chose de nouveau et de voir s'il fonctionne. Ce n'est pas une volonté de tout changer définitivement, comme la tentative bâclée de nouveau format qualificatif à élimination il y a quelques années.

Cette fois, il s'agit d'essayer pour voir ce que ça donne. L'on peut argumenter autant que l'on veut, que ce soit pour ou contre les courses sprint, personne ne saura ce qu'il en est tant que l'essai n'aurai pas eu lieu. Toto Wolff s'en remet souvent à une citation célèbre du joueur de baseball américain Babe Ruth : "Les bonnes performances d'hier ne vont pas faire gagner les matchs d’aujourd'hui". Cette devise a réussi à Mercedes, qui n'est jamais tombé dans la suffisance, mais elle pourrait également s'appliquer à la F1.

Aussi forte soit-elle, la tradition qui entoure les Grands Prix ne peut pas reposer que sur ce qui a toujours fonctionné par le passé si son objectif est de faire toujours mieux à l'avenir. La F1 ne devrait pas avoir peur d'essayer des nouveautés et, si elles ne donnent pas satisfaction, d'être assez responsable pour admettre que c'était une erreur pour y renoncer. C'est finalement la seule manière d'améliorer les choses.

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