Analyse

Cyril Abiteboul, survivant chez Renault, évincé chez Alpine

Même les politiciens les plus talentueux et les plus ambitieux peuvent se retrouver en difficulté lorsqu'une entreprise change. C'est ce qu'a rappelé le départ de Cyril Abiteboul du Groupe Renault.

Cyril Abiteboul, Directeur Général, Renault F1 Team

Andy Hone / Motorsport Images

On dit que toutes les carrières politiques se terminent par un échec. Poussés par l'ambition, les plus jeunes s'alignent avec les étoiles les plus puissantes et influentes, pour ne souffrir que des conséquences lorsque celles-ci finissent par s'affaiblir ou s'éteindre. Alors disons au revoir à Cyril Abiteboul – ou Cyril Irritable, comme l'un de ses homologues concurrents l'a surnommé –, dont le départ de Renault a été annoncé par le biais classique et discret d'un communiqué de presse début janvier, une semaine avant que l'entreprise ne donne un premier aperçu de son écurie rebaptisée Alpine F1 Team.

L'arrivée de Luca de Meo en juillet dernier comme PDG du Groupe Renault, assurant enfin le remplacement à long terme de Carlos Ghosn, laissait naturellement penser que du changement était en vue, compte tenu de son enthousiasme apparent pour le projet F1. Mais le départ d'Abiteboul a été une surprise, car il a toujours été un survivant.

Il a percé une première fois au milieu des années 2000, après avoir rédigé une proposition de droits numériques pour la Grand Prix Manufacturers' Association (initiative dissidente ensuite avortée, qui était née de frictions entre les constructeurs et Bernie Ecclestone), et qui était arrivée jusque sur le bureau de Flavio Briatore, alors directeur de Renault F1. C'est ce qui l'a amené à jouer un rôle dans le développement et à travailler aux côtés du patron comme spécialiste administratif. Un poste qui lui a même valu d'être surnommé "le garçon de café de Flav" par un autre grand ponte de l'époque.

Quand Briatore fut évincé en 2009 suite à la disgrâce liée au "Crashgate", Cyril avait déjà suffisamment d'appuis au sommet de Renault pour éviter de subir le même sort que son mentor. C'était une période fébrile car Renault a vendu son équipe d'Enstone à Genii Capital tout en restant impliqué en F1 comme motoriste, Ghosn étant alors persuadé que cela resterait une source de revenus importante.

L'évolution vers l'ère hybride allait changer les choses sur ce point mais entre-temps, Abiteboul a passé dix-huit mois comme directeur de l'écurie Caterham en F1 : à ce moment-là, le projet de Renault était de faire renaître Alpine via une joint-venture avec Caterham, et la présence d'Abiteboul était un moyen de placer quelqu'un de chez Renault à un poste opérationnel. Lorsque Caterham a fait faillite, le patron de Renault Sport, Jérôme Stoll, lui a lancé une bouée de sauvetage car il lui fallait de nouveaux visages pour adoucir des relations de plus en plus toxiques avec Red Bull.

Le logo Renault sur la Renault F1 Team R.S.19 <

Abiteboul n'y est pas parvenu, et sa relation dysfonctionnelle avec Christian Horner, directeur de Red Bull, est devenue le fil conducteur du début de l'ère hybride. Le sport automobile est un petit écosystème dans lequel il est imprudent de se faire des ennemis, même si vous avez des alliés puissants au sein de votre entreprise. Entrer en guerre contre une structure possédant près d'un quart des voitures de la grille n'était pas un bon coup tactique.

Il faut néanmoins donner à Abiteboul le crédit d'avoir su vendre à Ghosn l'idée de revenir avec une écurie d'usine, même si sa proposition de faire gagner l'équipe en cinq ans s'est avérée d'un optimisme embarrassant. Des erreurs ont été commises en cours de route, la plus notable étant sans doute d'avoir recruté Daniel Ricciardo alors que Renault ne disposait pas d'une voiture de pointe. Les dépenses consenties pour s'attacher les services de l'Australien ont également provoqué des économies nécessaires à faire ailleurs.

Les promesses excessives et le manque de résultats sont un autre aspect du mandat d'Abiteboul, mais il a parfaitement réussi à protéger l'équipe au moment des turbulences faisant suite à l'arrestation de Ghosn. Malgré des performances récentes enfin à la hausse, il restait probable que d'autres purges aient lieu après le départ de Jérôme Stoll, visant des personnes qu'il avait nommées. De Meo a déjà dévoilé ses plans pour Renault sur le marché automobile, et ils prennent une direction radicalement différente de celle pour laquelle avait opté Ghosn. Il n'est donc pas surprenant qu'il veuille voir un nouveau visage incarner Alpine.

La prochaine question est de savoir si le nouveau directeur sportif Davide Brivio savait dans quoi il s'engageait, et même si l'entreprise qu'il a rejoint correspond bien à la vision qu'on lui a vendue. Après trente années passés en sports mécaniques, dont vingt à la pointe des compétitions moto, Brivio a prouvé qu'il était capable d'évaluer rigoureusement les risques et les avantages. Il ne lui aura pas échappé que lorsque Frédéric Vasseur a été recruté comme directeur de Renault F1 en 2016, il n'a tenu que quelques mois à ce poste. À son départ, Vasseur avait parlé d'une "vision trop différente dans la gestion de l'équipe", et il entendait par là des divergences inconciliables avec Stoll et Abiteboul. Le sachant, quelqu'un avec l'expérience et la perspicacité de Brivio n'aurait pas signé pour la même chose.

Le timing des différents changements opérés laisse penser à une orchestration venue d'en haut, et cela veut donc dire de Luca de Meo. C'est désormais son entreprise, du sommet jusqu'à la base.

Fernando Alonso, Renault F1 Team avec Luca de Meo, PDG Groupe Renault

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