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Dossier : Les rêves de conquête de Mercedes

Le 16 novembre dernier, Mercedes annonce le rachat de l’écurie championne du monde en titre : Brawn GP

Le 16 novembre dernier, Mercedes annonce le rachat de l’écurie championne du monde en titre : Brawn GP. La naissance de Mercedes GP vient à contre-courant des annonces qui ont déprimé le petit monde de la F1 les jours précédents : les départs de Toyota et Bridgestone, les doutes concernant l’implication de Renault et le futur de Sauber.

Alors que la tendance des derniers mois est à la désertion des constructeurs, voilà que Mercedes prend un chemin inverse en intensifiant sa présence dans la formule reine.

Tout au long de la saison, les rumeurs autour de Mercedes sont venues alimenter les discussions du paddock. D’abord de retrait et de divorce, puis d’expansion hégémonique à travers une fourniture élargie, c’est finalement la possibilité d’un rapprochement avec Brawn GP qui a alimenté les gazettes du Grand-Prix d’Abu Dhabi.

Le rachat de Brawn GP par Mercedes n’est pas anodin. Il amène un changement majeur dans l’échiquier du plateau et répond à une stratégie sur le long terme du groupe Daimler-Benz.

- Un peu d’histoire

Le mythe des flèches d’argent est né en 1934, année où la réglementation change et impose une masse limite de 750 kg aux monoplaces. Lors de la pesée de la Course du Nürburgring, la Mercedes est encore trop lourde de 1 kg. Alfred Neubauer, patron de la compétition, ordonne de poncer la peinture blanche de l’auto afin de gagner les précieux grammes.

Depuis ce jour, les Mercedes de Grand Prix ont conservé leur livrée aluminium et la légende a pris corps jusqu’en 1955, année du sacre de Juan ManuelFangio sur Mercedes malgré un retrait prématuré suite à l’accident de Pierre Levegh aux 24 heures du Mans. Ce drame fera 82 victimes et entrainera l’arrêt de tout programme sportif de la marque à l’étoile durant près de 40 ans. C’est en 1989 que Mercedes reprend goût à la compétition en épaulant Sauber, d’abord dans un programme d’endurance puis en F1 en 1993 de manière très discrète. En 1995, Mercedes s’associe avec McLaren et affiche enfin ouvertement son retour à la compétition.

Un mariage qui n’aura jamais lieu

En 1994, Ron Dennis signe avec Mercedes-Benz un contrat de fourniture moteur pour 4 ans pour remplacer son motoriste Peugeot. En 1997, cette même fourniture sera prolongée de trois saisons jusqu’en 2001. En 1999, la relation entre McLaren et Mercedes s’intensifie, le constructeur allemand entre dans le capital de l’équipe à hauteur de 40% et plusieurs accords accompagnent cette prise de participation :
- une fourniture moteur gratuite jusqu’en 2011,
- la prise en charge par Mercedes-Benz de 50% des frais de l’équipe,
- un accord prévoyant une participation majoritaire de Mercedes dans McLaren à hauteur de 70% à l’horizon 2007.

Avec cet ensemble de contrats, le futur semble écrit : McLaren est appelée à devenir une entité du constructeur allemand, à l’image d’AMG qui, de simple préparateur, fut racheté pour devenir l’emblème des variantes sportives de Mercedes. L’accord avec McLaren doit permettre à Mercedes de devenir une équipe constructeur à part entière, une façon aussi de rentabiliser les investissements et la participation consentis à l’écurie de Woking. Cette association va plus loin en s’accompagnant d’un projet industriel : confier à McLaren la construction de super-cars estampillées Mercedes.

En 2004, McLaren développe et construit la Mercedes SLR. L’objectif de Ron Dennis, patron de McLaren, est de développer une activité de construction d’automobiles haut de gamme, apte à financer à terme l’activité de l’écurie de Formule 1. Le projet d’une McLaren P8 est dans les cartons mais Mercedes abandonne ce projet en 2006. De là naitra un conflit majeur. Ron Dennis comprend qu’il ne sera plus le maitre des lieux à l’usine de Woking et que l’idée d’établir une marque automobile McLaren s’évanouit. D’autant que l’échéance 2007 prévoyant la participation majoritaire de Mercedes dans McLaren à hauteur de 70% approche à grand pas. Avec la complicité de son fidèle partenaire Mansour Ojjeh, Ron Dennis se tourne vers un groupe financier de Bahreïn : Mumtalakat Holding. A travers une augmentation de capital, Mumtalakat prend 30 % du capital de McLaren, compliquant la prise de contrôle par Mercedes.

Cette tâche sera même rendue impossible grâce à un accord d’actionnaire liant Ron Dennis, Mansour Ojjeh et Mumtalakat, empêchant tout pouvoir de décision de Mercedes au sein de McLaren. Les relations entre les deux partenaires se tendent. McLaren construit sa propre voiture de route, elle sera équipée d’un moteur conçu et développé par McLaren. Cette voiture est la concurrente directe de la remplaçante de la SLR que Mercedes s’apprête à lancer. Hasard du calendrier ou fait volontaire, la présentation de la nouvelle McLaren P11 est organisée le 9 septembre dernier, alors que Mercedes a prévu de présenter la SLS le 10 septembre. Mercedes avancera sa présentation d’une journée pour tenter de voler la vedette à la nouvelle McLaren. Les projets de Mercedes sont bloqués de toute part, il ne reste qu’à attendre l’échéance des contrats.

- 2009 : une année riche en enseignements

L’année 2009 aura été très instructive pour le constructeur allemand. D’un partenariat unique avec McLaren, Mercedes devient fournisseur moteur pour les écuries Brawn GP et Force India. De prime abord, ces fournitures apparaissent plus comme un service rendu que comme de véritables opportunités. Pourtant, la fabuleuse histoire vécue par Brawn GP, et dans une moindre mesure la bonne progression de Force India, aura pour effet d’ouvrir les yeux sur la qualité de son partenariat avec McLaren.

Le premier enseignement est qu’il est possible de faire très bien pour beaucoup moins cher : la capacité de Brawn GP à maintenir son niveau de développement tout au long de la saison, face aux efforts qu’ont dû déployer McLaren et Mercedes pour revenir dans la course, est là pour le montrer. La débrouillardise de Force India pour mettre le doigt sur un set-up efficace renforce cette idée. McLaren, c’est environ 1000 personnes, au moins autant que Brawn et Force India réunies. En parallèle, les contrats avec McLaren approchent de leur échéance : il est temps de décider de l’avenir.

- Une volonté d’hégémonie

En 15 ans, Mercedes aura donné beaucoup sans vraiment recevoir :
- développer et construire un moteur,
- prendre en charge la majeure partie des frais de l’écurie Mclaren,
- ne pas pouvoir dire un mot sur le choix des pilotes,
- être transformé en bailleur de fonds sans un réel pouvoir de décision.

Pour finir, même les titres décrochés en compétition ne purent vraiment être exploités.

Pour beaucoup, ces faits auraient suffit pour arrêter les frais une bonne fois pour toute : Honda, BMW et Toyota n’en ont pas supporté autant. Au cours de la saison 2009, les rumeurs alarmistes concernant Mercedes n’ont pas manqué. Pourtant, la marque à l’étoile a pris tout le monde à contre-pied. Elle a décidé de racheter Brawn GP, tout en prolongeant sa collaboration avec McLaren. Mieux, cette décision n’est pas une volonté du département compétition mais un choix effectué par le conseil d’administration de Mercedes-Benz. Cette décision accompagne un objectif clair : dominer la compétition en 2010 et au-delà.

La fourniture moteur à Brawn GP aura été une chance pour Mercedes. La qualité du travail effectué par l’équipe et la patte de Ross Brawn confèrent au génie. Pourtant, l’avenir de l’équipe est en pointillé, le partenariat avec Virgin tombe rapidement à l’eau : les fondations s’en trouvent terriblement fragiles. Il est indispensable d’assurer l’avenir de l’équipe Brawn GP et c’est finalement une fabuleuse aubaine pour Mercedes. En prenant le contrôle de Brawn GP, elle assure la pérennité de l’écurie, se dote enfin d’une structure complète et s’offre une porte de sortie dans sa collaboration avec McLaren, devenue frustrante au fil du temps.

Une véritable stratégie de domination est mise en place. Mercedes rachète Brawn pour être enfin chez elle, elle n’est plus le dernier nom associé à McLaren, elle devient Mercedes GP. Tout en étant maître des décisions, le team management est laissé à l’équipe en place. La force de cette équipe aura été son dynamisme et son esprit commando : faire beaucoup avec peu, réagir vite et bien. Ces qualités sont rares au sein d’un grand groupe comme celui de Daimler-Benz, Mercedes compte beaucoup dessus pour sa réussite future. C’est aussi un moyen de ne pas bousculer la hiérarchie en place et de garder une bonne dynamique.

En parallèle, Mercedes n’oublie pas de mettre ses œufs dans des paniers différents. Plutôt que de se séparer brutalement de McLaren, la marque à l’étoile a l’intelligence de mettre sa rancœur de côté. Son projet lui permet de retrouver une position de force vis-à-vis de l’écurie de Woking. Elle obtient à la fois une prolongation de sa collaboration en tant que motoriste et convient d’un plan de cession de la totalité des parts qu’elle possède dans l’écurie. Concrètement, Mercedes continue de fournir gratuitement ses moteurs à McLaren jusqu’en 2015, Ron Dennis et Mansour Ojjeh vont racheter les 40 % de parts de McLaren détenues par Mercedes en deux temps : 20 % en 2010, 20 % en 2011. Par ailleurs, la participation aux frais de l’écurie disparait.

D’un point de vue financier, l’opération est aussi intéressante. Le rachat de Brawn GP coûte un peu plus de 120 millions d’euros. Mercedes déboursera environ 75 millions d’euros et son partenaire Aabar Investments 50 millions. La revente des actions McLaren devrait rapporter près de 200 millions d’euros. En parallèle, Mercedes prévoient d’investir près de 150 millions d’euros dans sa nouvelle équipe d’ici 2011. Au final, l’opération coutera 25 millions d’euros. Pour ce prix, Mercedes se débarrasse d’une participation coûteuse et inutile, devient propriétaire à part entière d’une écurie ayant montré tout son potentiel, et pose les bases d’une domination sans partage des prochains championnats F1.

Par ces accords, Mercedes met en place sa propre force de frappe et conserve un allié de poids. Cela lui permet de s’assurer une présence en haut des feuilles de classement avec 4 voitures capables de jouer les premiers rôles. Avec la motorisation de Force India, elle équipe environ le quart du plateau et devient un interlocuteur incontournable. L’objectif est clair et les moyens semblent en accord : dominer la F1 pour longtemps.

- Une reconquête nationale

En devenant propriétaire de sa propre écurie, Mercedes peut désormais s’attacher les services de très bons pilotes et les placer là où elle le souhaite. C’est du moins l’une des intentions prévues dans le plan de départ. La signature de Jenson Button chez McLaren peut représenter une limite de ces possibilités. Mais face à un tandem britannique, la possibilité de voir une paire de pilotes germaniques au sein de Mercedes GP est forte. Nico Rosberg sera de la partie, Nick Heidfeld est pressenti. Dernièrement, c’est la piste Schumacher qui a pris de l’ampleur. Bien que celui-ci doive prolonger sa collaboration technique avec Ferrari, le contrat n’est toujours pas signé. C’est ici l’occasion de réaliser un vœu jamais exaucé depuis 15 ans. En aidant Schumacher à se lancer dans le grand bain, Mercedes comptait pouvoir profiter un jour des services du champion allemand. Hélas, celui-ci ne retournera jamais l’ascenseur.

S’il s’agit du nouveau feuilleton d’un retour dont on ne sait pas s’il aura lieu un jour, il est important de comprendre que, vis-à-vis de son marché intérieur, la présence de deux pilotes allemands au sein de Mercedes GP permet de s’octroyer un soutien important des supporters germaniques. En effet, les amateurs de sport automobile allemands sont captivés depuis de nombreuses années par les joutes que s’offrent les constructeurs allemands au sein du DTM. Un véritable culte des marques a pu s’y développer. Mettre deux pilotes allemands dans une monoplace allemande, c’est s’assurer un élan de sympathie durable et renforcer l’image et les ventes de Mercedes sur le marché germanique.

Alors que la crise a fait fuir Honda et Toyota, que BMW désire coller à une image plus en accord avec les préoccupations environnementales, que Renault s’interroge sur le bien-fondé de sa présence en Formule 1, Mercedes a choisi une stratégie radicalement à contre-courant. La défection de ses principaux concurrents est une occasion de réaliser ses objectifs de départ. En revenant en Formule 1 à travers une collaboration avec McLaren, elle voulait se donner le temps de trouver la performance et de s’afficher clairement lorsque les victoires seraient venues.

Ron Dennis ne l’a pas entendu ainsi. A tel point que le qualificatif de flèche d’argent est associé plus volontiers à McLaren qu’à Mercedes. Par le rachat de Brawn GP, la naissance officielle de Mercedes GP permet au constructeur de quitter le rôle de conjoint discret et efficace où il a été cantonné depuis trop longtemps. A partir de 2010, Mercedes sera dans la lumière des projecteurs et le constructeur est bien décidé à faire briller son étoile de mille feux.

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