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Dossier : Pourquoi Toyota pourrait-elle vendre l'étude de son châssis 2010 ?

Le 4 novembre dernier, Toyota annonce son retrait de la Formule 1 avec effet immédiat

Le 4 novembre dernier, Toyota annonce son retrait de la Formule 1 avec effet immédiat. Si la rumeur courrait depuis un certain temps déjà, cette annonce a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Surtout qu'elle intervient immédiatement après l'annonce de l'arrêt de Bridgestone fin 2010. Après Honda et BMW, c'est un troisième constructeur qui déserte le plateau en moins d'un an.

Si chacun peut regretter ce départ, l'impression qui en ressort est la déception, voire le mécontentement. Christian Horner, team principal de Red Bull, ne mâchera pas ses mots en assénant : "On ne peut pas faire confiance aux constructeurs". Pour sa part, la FIA s'est dite "préoccupée" par ce départ.

- Un départ qui pose problème

A la différence des autres constructeurs, ce départ pose un certain nombre de questions et de problèmes.
Lorsque Honda est partie, la guerre FIA-FOTA n'en était qu'à ses prémices.
Lorsque BMW annonce à son tour son départ, cette dernière n'a pas signé les nouveaux Accords Concorde, au grand dam de Peter Sauber, son écurie devant la quatorzième écurie du plateau alors que treize seulement pourront concourir.
Concernant Toyota, ce départ est vécu comme une trahison, particulièrement pour la FIA.

Dans la guerre farouche qui l'a opposée aux constructeurs et à la FOTA, la FIA a dû lâcher beaucoup de lest, et les concessions accordées touchent beaucoup de domaines.

En premier lieu, la réduction des coûts. Son plan drastique de réduction des coûts a été très largement assoupli et presque vidé de sa substance sous la pression des constructeurs.
La conséquence directe de ces concessions est la mise en danger des nouvelles écuries inscrites pour 2010. En effet, ces dernières se sont engagées sur la base d'un budget (hors pilotes et marketing) de 45 millions d'euros. Sous la pression de la FOTA, ce plafond a volé en éclat. Aujourd'hui, la plus grande incertitude règne sur l'avenir de ces nouvelles écuries et leur présence en 2010. Or, cette ouverture de la F1 à de nouvelles écuries avait pour objectif de trouver une alternative à un départ en masse des constructeurs.

En second lieu, la signature des Accords Concorde. Ces accords font l'objet d'une bataille acharnée depuis plusieurs années entre la FIA, la FOM de Bernie Ecclestone et les constructeurs. A tel point que les accords de 1998, prenant fin en 2004, n'ont pu être renouvelés. Seul un mémorandum provisoire a été mis en place entre 2006 et 2008.
Le point central de discorde concerne principalement la redistribution des revenus aux écuries, mais aussi la participation et la consultation des écuries dans la définition des règlements techniques.
Autant de points où la FIA et Bernie Ecclestone ont fait d'énormes concessions : participation et droit de vote dans les groupes de travail et commissions, doublement des revenus versées par la FOM avec effet rétroactif depuis 2006. En contrepartie, les signataires s'engagent à rester en Formule 1 jusqu'au 31 décembre 2012.
Dernier cadeau : suppression de l'amende annuelle de 10 millions de dollars en cas de départ d'une écurie avant la date d'échéance des accords.

Toyota a signé ces Accords Concorde. Quelques mois après, elle décide de s'arrêter alors qu'elle s'est engagée jusqu'à fin 2012.

Pour le monde de la F1, et la FIA en particulier, ce départ fait l'impression d'un camouflet, donnant l'image qu'aucune parole ou contrat ne peut être pris sérieusement en considération.
Cette décision inquiète aussi la FIA. Qui seront les suivants ? Les rumeurs autour de Renault vont bon train, et on se demande combien des nouvelles écuries seront là l'année prochaine.
La priorité absolue est très claire : sauvegarder le plateau.

- Comment gérer ce départ ?

A part le fait de réclamer à Toyota des dommages et intérêts auprès d'une juridiction pour avoir rompu son contrat, la FIA ne peut pas faire grand chose.
En effet, les nouveaux Accords Concorde ne prévoient pas de pénalité, seulement des possibilités d'arrangement : le principe étant de trouver et faciliter l'arrivée d'un repreneur, notamment par des conditions de rachat intéressantes, voire symboliques, à l'image de Honda avec Brawn.

Un tel arrangement est le meilleur car il permet de garantir la taille du plateau, voire sa qualité.
Encore faut-il que le partant joue correctement le jeu. Si Honda s'est montré bon joueur, BMW a préféré compter ses sous, rendant très incertain l'avenir de Sauber.
Pour Toyota, il s'agit d'un départ sec : l'écurie disparait purement et simplement, amputant le plateau de deux voitures.
En effet, Toyota veut garder ses locaux de Cologne et dégraisser ses effectifs. De 700 personnes actuellement, il n'en restera que 150. Les infrastructures de l'écurie vont se transformer en cellule de veille en prévision d'un prochain engagement sportif.

C'est le pire scénario que pouvait envisager la FIA.
Bien sûr, l'écurie Sauber est une solution pratique de remplacement, et même bienvenue. Mais l'opacité et les bruits concernant les origines douteuses qui entourent l'investisseur Qadback ne facilitent pas les choses : un nouveau scandale n'arrangerait pas l'image déjà bien écornée de la F1.

Pour la FIA, la probabilité de n'avoir que douze écuries en 2010 reste élevée. Celle de voir un ou deux des nouveaux entrants jeter l'éponge, encore plus.
Quelques bruits persistants et certains commentaires jettent le doute. Ross Brawn lui-même s'étonnait il y a quelques jours que plusieurs nouvelles écuries n'aient pas encore entamé leurs crash-tests. Très peu d'entre elles donnent des signes positifs dans leur communication.

Lotus apparait comme la plus rassurante : des photos de la maquette circulent, la présence d'Aerolab (faisant partie du giron de Mike Gascoyne) rassure. Malgré tout, Force India crie haut et fort à l'espionnage, le châssis Lotus ressemblant étrangement à la monoplace 2009 de l'écurie indienne.
Campos est plus discrète, mais elle possède des infrastructures et sa collaboration avec Dallara pour la conception de sa monoplace est un gage de sérieux, la conception semble bien avancée.
US GPE est la première équipe à s'être mise sur les rangs pour 2010. Pour autant, les signes tangibles d'avancement du projet se font attendre. La FIA essaie de venir à son secours en confirmant que l'équipe à payé son engagement. Mais que valent 440 000 dollars lorsque le budget total nécessaire risque d'avoisiner 80 ou 100 millions d'euros ?
Manor est clairement l'équipe la plus énigmatique. Sa nomination a surpris tout le monde, pas d'usine, aucune communication, seule une étude en CFD de la monoplace existerait. Pour beaucoup, cette équipe apparait comme fantomatique.

Aussi, en lieu et place des treize écuries envisagées pour 2010, il est très probable de n'en avoir que dix au début de la saison. Et combien à la fin de celle-ci ? Situation pour le moins délicate pour la FIA qui doit sauver son championnat.
Il est urgent de savoir où en sont les nouvelles écuries et de trouver un moyen de les aider. Fixer un prix plafond pour un moteur ne suffit pas. Il est nécessaire de trouver des solutions adaptées, et essayer de sauver ce qui peut l'être.

C'est ici que l'idée de voir Toyota vendre l'étude de sa future voiture prend tout son sens.

- L'étude du châssis 2010 Toyota : Quel intérêt ?

Le coût d'étude d'une monoplace est évalué aux alentours de 10 à 12 millions d'euros. Cela inclut l'étude proprement dite ainsi que le passage en soufflerie.
Sur cette base, il ne reste qu'à construire la voiture, puis à la faire progresser durant la saison.

A titre de comparaison, Toro Rosso a été confrontée à cette situation en 2009. La particularité de cette écurie est qu'elle est la seule équipe à ne pas concevoir sa voiture elle-même. Jusqu'en 2008, elle recevait directement les pièces conçues et fabriquées par Red Bull Technology. En 2009, elle a dû acheter les plans de la monoplace ainsi que les évolutions. Elle a ensuite dû construire ses propres pièces. L'année prochaine, elle devra se débrouiller toute seule pour la conception et la fabrication de sa voiture.
Pour 2009, l'achat des plans et la réalisation des pièces lui a couté aux environs de 8 millions d'euros.
En extrapolant, on peut estimer que le coût d'achat des plans se situe aux environs de 5 millions d'euros.

L'achat des plans peut donc permettre de réaliser une économie allant jusqu'à 7 millions d'euros, soit plus que le budget moteur des nouvelles écuries en 2010. Cette économie est aussi comparable aux montants qui seront demandés à certains pilotes pour obtenir un baquet.

Dés lors, la possibilité d'achat des plans de la Toyota 2010 peut constituer une véritable bouée de sauvetage pour ces nouvelles écuries. C'est aussi un moyen pour la FIA de se prémunir d'un désistement à la fois pour 2010 et au-delà.
Toro Rosso, encore une fois, nous en donne l'exemple. Le fait d'avoir pu acheter ses plans en 2009 et de ne pas devoir tout faire elle-même lui a permis d'étaler sa réorganisation et ses investissements.
D'abord la mise en place des outils et des équipes de fabrication à l'intersaison 2008-2009, puis vint le tour du bureau d'étude et des outils de conception courant 2009. Aujourd'hui, l'équipe est prête pour concevoir sa voiture, elle partira des bases de la STR4 pour adapter la monoplace en fonction des règles 2010. Là aussi, quelques économies seront sûrement réalisées au niveau de l'étude car même si la règlementation 2010 apporte des changements, la base est connue.

Pour une nouvelle équipe, acheter des plans permet d'assouplir les conditions de démarrage et les montants d'investissements. Disposer de cette latitude peut tout changer. D'abord augmenter ses chances de survie. Ensuite disposer du fruit de l'énorme expérience de Toyota.
Cela limite les risques d'erreur et si la chance s'en mêle, rien ne dit que la citrouille ne se transformera pas en carrosse, à l'image de la Brawn BGP001 née sur les cendres de Honda.

- Et Toyota dans tout ça ?

D'un point de vue financier, l'intérêt pour Toyota de vendre ses plans est faible, pour ne pas dire nul. En gardant son usine de Cologne, elle se prive à la fois du revenu de la vente et de la possibilité de donner un avenir moins sombre à ses 700 collaborateurs.
En mettant son usine en veille, elle va devoir payer et mettre en place un vaste plan de licenciement.
Lorsque Honda a cédé ses installations à Brawn, il lui en a couté près de 200 millions de dollars : de quoi se payer une belle année de Formule 1, peut-être deux.
Vendre des plans 5 ou 6 millions ne représente pas grand chose par rapport à la facture finale.

Alors quelle raison pourrait convaincre Toyota de vendre ses plans ? La réponse se trouve plus sûrement dans les fondements de la culture japonaise. Emprunte de timidité, de profond respect envers autrui et dans la parole donnée, cette culture met humainement les dirigeants japonais dans une situation délicate.
Leur décision de partir est irrévocable et la promesse de rester jusqu'en 2012 à travers les Accords Concorde est rompue. Mieux que personne, ils comprennent et ressentent très bien le sentiment de trahison que peut nourrir la FIA à leur encontre. Il y a une forme de déshonneur, ils ne peuvent revenir en arrière mais ils peuvent atténuer la portée de leur décision en acceptant de donner un coup de pouce à l'une des nouvelles écuries.

La FIA n'a pas dû manquer de faire part de son désarroi au constructeur japonais, et surtout des conséquences de leur décision. Une porte de sortie honorable serait une bonne chose pour chacune des parties. La cession des plans du châssis 2010 au profit de l'un des nouveaux entrants en est une.
Plus qu'un geste symbolique, c'est aussi, et surtout, une solution pragmatique. Ce geste permettrait d'apaiser les esprits et aiderait considérablement la FIA à sauvegarder son plateau et l'avenir de la Formule 1.

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