Pourquoi la petite Scuderia pourrait surpasser la grande

Durant toute la période qui les a vues s'affronter en Formule 1, les équipes Ferrari et Minardi ont presque toujours été diamétralement opposées. D'un côté, un géant qui utilisait ses ressources pour monopoliser les premières places, et de l'autre, une petite structure à la lutte pour sa survie, contrainte de faire régulièrement appel à des pilotes payants.

À la suite d'un début de saison 2020 difficile, Ferrari s'est résigné à se battre en milieu de classement, avec seulement quelques apparitions aux avant-postes pour Charles Leclerc. Au championnat des constructeurs, la Scuderia est actuellement sixième, ce qui sera son plus mauvais résultat depuis 1980 si la situation reste inchangée. Mais cette sixième place reste très disputée, en particulier face à AlphaTauri, l'équipe connue sous l'appellation Minardi durant les heures glorieuses de Ferrari.

Depuis la fin de l'ère Toro Rosso et son changement de nom en AlphaTauri, l'écurie de Faenza est devenue une prétendante régulière au milieu de classement. Ses premières saisons ont été difficiles – en tout cas jusqu'à l'arrivée de Sebastian Vettel – et même après le départ de l'Allemand pour Red Bull, l'équipe faisait souvent le pont entre les formations créées en 2010 et le reste de la grille. Mais des choix avisés dans le département technique, de nombreux pilotes talentueux et, ces dernières années, un renforcement des liens avec Red Bull et Honda ont donné à AlphaTauri une bonne base de travail.

La montée en puissance d'AlphaTauri et la chute de Ferrari, provoquée par une voiture souffrant de traînée et un moteur en régression, font que les deux équipes convergent en milieu de grille. Il y a 20 ans, quand Michael Schumacher enchaînait les victoires pendant que Marc Gené et Gastón Mazzacane luttaient pour s'extirper de la dernière ligne, un tel duel semblait inconcevable.

Cela ne veut pas dire que Ferrari et Minardi n'ont jamais eu à s'affronter. Minardi a réalisé quelques coups d'éclats. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, l'équipe a profité de bons pneus de qualifications pour faire la différence. Les quelques apparitions de Pierluigi Martini parmi les leaders l'ont vu de se battre avec la "grosse équipe" italienne, tandis que la mauvaise Ferrari F92A de 1992 contraignait parfois l'écurie de Maranello à lutter avec les Minardi, quand les qualifications se passaient mal.

Mais jamais les deux équipes de F1 italiennes ne se sont livrées à une véritable lutte. Au cours de la dernière décennie, quand il arrivait que la Toro Rosso se mesure à la Ferrari, c'était en général parce que la Ferrari n'était pas à sa véritable position. Néanmoins, dans l'une des années les plus étranges de nos existences, les deux équipes en viennent à s'affronter au championnat des constructeurs.

Ferrari occupe actuellement la sixième position avec une avance de 14 points sur sa rivale, mais ses meilleurs résultats remontent au début de la saison. Leclerc a réussi à décrocher deux podiums avec la SF1000, à un moment où AlphaTauri était encore en retrait et ne prenait que quelques points.

Aujourd'hui, la dynamique est probablement plus en faveur d'AlphaTauri que de Ferrari, et l'équipe détenue par Red Bull a marqué des points pour la dixième fois consécutive à Imola, grâce à la remontée de Daniil Kvyat jusqu'à la quatrième place en fin de course.

Même si cette quatrième place est le deuxième meilleur résultat de l'équipe cette année, le moment fort ayant été la victoire de Pierre Gasly à Monza, AlphaTauri pouvait espérer mieux au Grand Prix d'Émilie-Romagne. Gasly, qualifié à une magnifique quatrième place, a rapidement dû abandonner en raison d'une perte de pression hydraulique.

Au-delà de sa victoire, Gasly a été très impressionnant depuis que Red Bull l'a rétrogradé l'an dernier. Refusant de se laisser abattre, le Français s'est remotivé en retrouvant Faenza et il a réalisé d'excellentes prestations pour Toro Rosso, jusqu'à son podium à Interlagos. Cette année, un Gasly impérial a exorcisé les démons de son difficile passage chez Red Bull, en acceptant de bonne grâce le rôle de leader d'une équipe de milieu de classement. Après s'être battu avec Daniel Ricciardo dans le premier relais et avoir montré un très bon rythme en pneus mediums pendant les essais, Gasly aurait pu jouer le podium à Imola, et les points engrangés auraient encore plus réduit l'avantage de Ferrari, pénalisé par l'arrivée de Sebastian Vettel hors du top 10, la troisième en quatre courses.

Bien qu'un temps pressenti pour un retour chez Red Bull, Gasly est tellement important dans le dispositif d'AlphaTauri que l'équipe de Franz Tost s'accroche fermement à lui. Grâce au plafonnement des budgets et au partage de la soufflerie, AlphaTauri est aujourd'hui "l'équipe sœur" de Red Bull plus que son junior team, et mise sur Gasly à long terme.

Déjà rapide dans la première partie de la saison, Gasly impression tout particulièrement par sa progression constante. Le Normand a démontré son talent en se battant pour quelques points au Nürburgring, avant de prendre une excellente cinquième place à Portimão, malgré la perte d'un temps précieux pendant les Essais Libres 2 en raison d'un incendie colossal sur son moteur. Il était peut-être possible de faire encore mieux à Imola.

Le rapprochement de l'équipe avec le département technique de Red Bull amorcé ces dernières années est aussi une bonne idée, permettant à AlphaTauri de consacrer ses ressources à d'autres domaines. En adoptant des boîtes de vitesses et des éléments de suspension de la Red Bull de 2019, l'équipe peut faire travailler ses employés sur d'autres éléments de la voiture, en se basant sur des composants qui ont fait leurs preuves.

Cette philosophie a été mise en place par Jody Egginton, le directeur technique, depuis sa nomination à ce poste en 2019, et AlphaTauri est devenue l'une des équipes les plus efficaces de la grille.

De l'autre côté, Ferrari s'appuie sur un seul homme en ce moment. Leclerc continue à briller dans une machine de second rang, et le Monégasque a décroché de bons résultats dans une saison pourtant loin d'être aussi flamboyante que sa première campagne avec l'équipe. Peut-être affecté par la perte de son baquet, Vettel se lamente en milieu de grille, manquant visiblement de motivation au volant d'une Ferrari difficile à piloter.

Même si Ferrari a remis en chantier son programme aérodynamique, avec plusieurs nouveautés apportées à la SF1000 afin de lui permettre de jouer plus régulièrement les gros points, l'unité de puissance pénalise toujours l'équipe, et Ferrari ne pourra rien y faire avant 2021.

Pour le moment, la seule chose à faire est de travailler sans relâche sur la voiture et d'espérer des progrès avant l'arrivée de Carlos Sainz.

Entre-temps, et avec encore quatre courses à disputer, la lutte pour la sixième place suit son cours. Les espoirs de Ferrari de conserver sa position reposent sur deux éléments : continuer à apporter des nouveautés afin que l'équipe maintienne le niveau de performance suffisant pour rester devant AlphaTauri, et que Vettel retrouve un meilleur niveau et ajoute des points à ceux inscrits par Leclerc.

Mais Ferrari est poussé dans ses retranchements par les progrès constants d'AlphaTauri, associés à la très bonne forme de Gasly et à certains coups d'éclat de Kvyat, désormais devant Vettel au championnat des pilotes. Sans références récentes, il est difficile de prédire qui sera le plus à même de briller à Istanbul, mais les deux équipes seront aussi déterminées l'une que l'autre pour décrocher la sixième place du championnat.

Les revenus versés selon la position au championnat sont peut-être secondaires dans cette lutte entre Ferrari et AlphaTauri, mais il y a plus que ça en jeu : la fierté. Pendant de nombreuses années, le statut de "meilleure équipe italienne" dévolu à Ferrari ne faisait l'objet d'aucune menace, mais les circonstances font qu'AlphaTauri a maintenant de véritables chances de lui ravir.

Il ne s'agit peut-être que de la sixième place, mais quand la F1 accueillera à nouveau les spectateurs, cela pourrait faire la différence entre des tribunes remplies de tifosis en rouge ou vêtus de la dernière collection printemps-été d'AlphaTauri à Monza.