Échanges radio, ou le danger d'une trop grande interprétation

Lewis Hamilton a répondu aux articles le disant "furieux" contre Mercedes après des échanges radio houleux lors du Grand Prix de Turquie. Une mise au point qui rappelle à quel point les extraits radio diffusés en F1 peuvent aussi bien éclairer que déformer une situation réelle.

Lewis Hamilton, Mercedes W12

Photo de: Jerry Andre / Motorsport Images

"P*****, mec, pourquoi as-tu abandonné cette place ? Nous n'aurions pas dû rentrer."

La gueulante de Lewis Hamilton à la radio envers le stand Mercedes lors du Grand Prix de Turquie a suscité une polémique le week-end dernier, ouvrant une fois de plus à interprétation ses relations avec l'équipe. D'un côté, il y a ceux qui ont estimé qu'il était malpoli et que cette colère a mis en évidence la manière dont Hamilton s'est senti lâché par les décisions stratégiques, alors qu'il a manqué l'occasion de monter sur le podium. D'un autre côté, il y a la pensée selon laquelle ses messages n'étaient qu'une part de l'intensité régnant lorsque l'on roule à la limite. 

En F1, comme dans d'autres sports majeurs, les concurrents laissent souvent aller dans le feu de l'action des émotions qui ne durent pas une fois l'adrénaline retombée. Pour Mercedes et Hamilton, une fois le calme revenu dimanche soir et à l'heure de remballer le matériel pour quitter l'Istanbul Park, les éclats de la radio appartenaient déjà au passé. 

Hamilton a eu recours au réseaux sociaux lundi pour exprimer une forme de frustration devant certaines publications le décrivant comme "furieux" envers l'équipe. "N'attendez jamais de moi que je sois totalement poli et calme à la radio lorsque je roule", a-t-il écrit. "Nous sommes tous très passionnés, et dans le feu de l'action, cette passion peut ressortir, comme pour tous les pilotes. Mon cœur et mon esprit sont sur la piste, c'est la flamme en moi qui m'a mené si loin, mais la moindre angoisse est rapidement oubliée et nous en avons parlé, en nous tournant déjà vers le prochain Grand Prix. Aujourd'hui est un autre jour pour se relever, et pour le faire en tant qu'équipe. On se relève toujours."

 

Les messages radio entre la voiture et le muret des stands sont devenus un élément omniprésent du récit de la F1 moderne. Lorsqu'ils sont diffusés à la télévision, ils donnent le ton de la course pendant qu'elle se déroule mais peuvent aussi ajouter du contexte ou modifier ce dernier quand ils sont retransmis plus tard. Il est important de souligner que, la majeure partie du public n'ayant pas accès à l'intégralité des échanges radio pendant toute la durée de la course, les messages qu'ils entendent sur le flux international sont sélectifs.

C'est l'équivalent télévisuel des titres à sensation : extraire de manière sélective le moment le plus théâtral de deux heures de conversation et déclencher quelque chose d'important pour le rendre encore plus spectaculaire. L'objectif est de rendre le spectacle tel qu'il se déroule à la télévision le plus captivant possible. Souvent, les messages radio sont légèrement différés, et parfois cela peut mener au fait qu'ils soient diffusés à un moment où leur interprétation a complètement changé au fil des événements. C'est pourquoi les diffuseurs officiels de la F1 ont le devoir de veiller à assurer l'impartialité dans ce qui est montré. 

Comme on l'a vu lorsque Netflix embellit la vérité en surjouant de façon spectaculaire des échanges radio qui n'ont pas réellement été prononcés au même moment que les images montrées, la F1 doit elle aussi faire preuve de prudence en ne sortant pas trop les messages radio de leur contexte. À l'extrême, par exemple, il ne serait pas normal qu'une diffusion en direct montre des images d'un pilote en action en parallèle d'un message radio disant "ce type est un idiot", alors qu'il est en fait question de quelqu'un de complètement différent.

 

La vérité est que la plupart des messages radio peuvent être assez ennuyeux. Je me souviens avoir écouté pendant tout le Grand Prix de Monaco 2019 la radio de Hamilton, alors qu'il tentait de résister à Max Verstappen. Presque toute sa conversation avec le muret des stands se résumait à crier "blue flag" afin que le message parvienne jusqu'à la direction de course pour qu'elle commence à avertir les retardataires qui se trouvaient sur son chemin. Ça n'aurait pas été bon pour la télévision. 

Mais parfois, les meilleurs moments de la radio sont ceux où les émotions débordent. Le stress et l'intensité que subissent les pilotes pendant une course ne sont pas toujours mesurés, surtout dans ces moments où les efforts de toute une course peuvent tourner dans le bon ou le mauvais sens selon la manière dont se déroule la conversation avec l'équipe. 

N'oublions pas que depuis leur cockpit, les pilotes ne sont pas spécialement conscients de ce qui se passe au-delà de ce qu'ils peuvent voir et ressentir. Ils n'ont pas toujours une vision d'ensemble de la course ou de ce que font les autres pilotes qu'ils ne voient pas. Dans le cas de Hamilton à Istanbul, il n'aurait pas su que Charles Leclerc avait opté pour la même tactique que lui en insistant avec les pneus intermédiaires usés et que ça avait échoué, obligeant le pilote Ferrari à rentrer aux stands pour un arrêt plus tardif qu'idéal.

Ce qu'a fait Hamilton dimanche en se plaignant à la radio n'est en rien différent de Lando Norris disant à son ingénieur de "la fermer" lors des derniers instants du Grand Prix de Russie, alors que le débat faisait rage quant à la nécessité ou non de s'arrêter pour chausser des gommes intermédiaires. Comme les footballeurs crient et râlent sur leurs partenaires après une mauvaise passe ou un tir non cadré, il est tout à fait compréhensible que les pilotes se défoulent lorsqu'ils ont le sentiment que les choses ne tournent pas dans leur sens.

 

En fait, des émotions aussi expressives dans de tels moments d'intensité sont bien plus compréhensibles que ce que Kimi Räikkönen a envoyé à son équipe lors des essais libres du Grand Prix de Turquie, alors que sa gourde fuyait. "Il y a de l'eau qui coule dans mes p****** de chaussures", a-t-il gémi à la radio. "Parce que votre système pour boire fuit comme une m****." 

Un peu plus tard, il a lancé : "Pourquoi p***** c'est si difficile de faire des choses simples ? C'est la p***** de pièce la plus simple de toute la voiture on ne peut pas la réparer." Si j'étais mécanicien chez Alfa Romeo, je serais très ennuyé par une critique aussi inutile et qui aurait pu être beaucoup mieux formulée. 

En fin de compte, peu importe ce que le monde extérieur pense du ton et de la nature des messages radio. Ils ne sont pas là pour nous divertir ni pour agir comme un portail de communication entre les pilotes et le public. Ils ne sont qu'un simple outil qui permet à chaque pilote et à chaque stand de se parler pour essayer d'être le plus performant possible. Tout le reste, ce n'est que du bruit. 

 

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Ricciardo a "des idées" sur les difficultés de McLaren en Turquie
Article suivant Verstappen : Red Bull doit "élever son niveau" face à Mercedes

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France