Édito - L'avenir de Renault F1, bien plus qu'un duel contre Red Bull

C’est peut-être parce que peu attendent une année véritablement révolutionnaire en termes de montée dans la hiérarchie que Renault pourrait agréablement surprendre en 2017.

Renault Sport F1 Team R.S.17

Photo de: XPB Images

La donne 2017 est compliquée pour Renault. Les chances de lauriers et de retours positifs, dans un avenir proche, sont certainement ancrées du côté de son équipe cliente, Red Bull Racing. Et Renault le sait fort bien. Sans réel moyen pour la marque française de communiquer sur le succès de son moteur dans un autre châssis en raison du rebadging de l’unité de puissance par TAG Heuer, le groupe peut pour le moment difficilement dérouler une storyline efficace pour vendre publiquement son implication F1 coûtant des centaines de millions.

Une communication rendue difficile

Mais ne nous y trompons pas, le fait de ne pas capitaliser sur la fierté de mener Red Bull vers podiums et victoires est un acte calculé, volontaire. Il faut dire que le groupe est quelque peu ligoté par le problème marketing évident qu’est une plus grande compétitivité très marquée du team de Milton Keynes, jugeable inévitablement face à un manque de performance d’Enstone qui met en relief les difficultés de l'équipe d’usine dans les domaines indépendants de l’unité de puissance produite à Viry-Châtillon et partagée par les deux écuries.

Las pour Renault, qui vise la cinquième place au championnat, ce scénario risque fort de se répéter en 2017. Même si Gérard Lopez et Genii sont toujours présents dans la salle de présentation, Lotus est désormais oublié du grand public et arguer sur le pauvre héritage est difficile à l’heure de l’entrée en vigueur de nouvelles règles techniques, qui permettent en revanche à Red Bull de se targuer de ce qui fait sa différence : sa maîtrise et son talent de constructeur…

Red Bull a par ailleurs fait le choix de passer à un autre fournisseur de carburant et produits lubrifiants que le partenaire historique de Renault. Sur le papier, selon le storytelling contrôlé par la marque, en tout cas, l’unité de puissance Renault est avant tout optimisée par les nouveaux produits Castrol qu'utilisera l’équipe d’usine. Que se passera-t-il donc si l’équipe cliente trouve des optimisations de performance et d’exploitabilité autrement supérieures à celles de Renault avec un autre partenaire technique ?

Daniel Ricciardo, Red Bull Racing RB12

Toujours une histoire à raconter

Pour l’heure, le problème n’en est toutefois pas totalement un. D’une part, car Renault peaufine sa communication interne et externe depuis son retour en F1 autour du fait que les grands résultats ne sont pas à attendre avant plusieurs saisons, en dépit de l’opportunité créée par cette année 2017 techniquement charnière et permettant de remettre certains handicaps à plat. La direction a validé un plan de dépense dans le team pendant plusieurs saisons, une évolution progressive dans la hiérarchie, et l’histoire écrite est que Renault remontera progressivement jusqu’au sommet ; pas en sortant de la boîte comme un diable sur ressort.

Peut-être, de la même manière que la F1 a été relativement inapte à relater son histoire moderne sous l’ère des V6 hybrides et à engager l’imaginaire collectif des fans autour de cette technologie pourtant extrêmement aboutie (comme le regrette souvent Alain Prost), Renault a-t-il peiné, en tant que motoriste, à capitaliser sur ses succès des années 2010 avec Red Bull Racing (huit titres) et la courte spirale positive de Lotus. Pourtant, de manière intéressante, c’est un discours marketing assez passéiste qui est employé actuellement, car le team d’usine sait fort bien que les succès 2017 ne seront sans doute pas de son côté team d’usine, mais de celui du team client. On en revient ainsi à l’évocation d’un passé victorieux récent, très peu exploité en son temps !

"Nous avons une feuille de route à étapes, qui a été communiquée par Carlos Ghosn, et nous devons être pragmatiques", explique Cyril Abiteboul à Motorsport.com. "Nous savons que cela va prendre du temps. Mais ce qui compte est que l’histoire marketing, elle, n’attende pas. Je pense que nous avons eu beaucoup de succès en F1 avec Red Bull. Nous en avons aussi eu beaucoup comme équipe (2005-2006, ndlr) auparavant, et du point de vue marketing ainsi que sur la connexion entre la F1 et le reste du business, nous n’avons jamais été aussi forts. Nous ne devons donc pas attendre pour que ce que nous faisons en piste soit tangible en termes de valeur marketing pour le groupe et le reste de la marque."

Nico Hulkenberg, Renault Sport F1 Team avec Jolyon Palmer, Renault Sport F1 Team; Cyril Abiteboul, directeur général Renault Sport F1; Sergey Sirotkin, troisième pilote Renault Sport F1 Team avec la Renault Sport F1 Team R.S.17

Vainqueurs hier, outsiders aujourd’hui

Tout en haut du mât, le commandant Carlos Ghosn était le premier vecteur de cette attitude d’autodéfense, dès la présentation du team d’usine l’an dernier. Après avoir racheté tardivement une équipe Lotus dans le désarroi, le groupe savait avoir tout à faire : pour commencer, il fallait boucher les trous qui avaient généré une grande fuite des cerveaux vers les équipes rivales, écoper en montrant des signes rassurants (qu’ils soient commerciaux ou sportifs) pour se remettre dans une position de recrutement favorable, puis convaincre ses membres de s’engager durablement.

Ainsi, à l’heure où le team communique d’une manière de nouveau ambivalente sur son implantation sur le Circuit Paul Ricard (avec quelles activités directement liées à l’équipe F1, au juste ?), la vraie bataille des ressources humaines (R&D, conception, développement, fournisseurs), elle, se joue en Angleterre (à Enstone) et en région parisienne (à Viry-Châtillon, qui fournit deux autres teams). Ce qui compte vraiment est l’histoire relatée, qui varie donc selon le public auquel elle s’adresse.

Aux fans, on donne du jaune à gogo et l’on assure qu’en l’absence de pilote d’un calibre de champion indiscutable au volant, on pose les bases saines d’un succès de demain ; d’un projet qui grandit.

Au siège, on assure que le changement de cap sur les dépenses des World Series by Renault et du programme de jeunes pilotes (tout en capitalisant sur les bons retours financiers de la fourniture du GP2/GP3) permet de se recentrer sur le programme F1 ; celui où les retours globaux sont plus mesurables (même si contrairement aux meetings WSR, les manches F1 ne permettent pas de mener les visiteurs directement vers un essai en concession ou, de la même manière, vers la boutique de produits dérivés).

À l’industrie, on rappelle que l’on renforce les moyens déployés outre-Manche et que l’on s’engage sur le long terme, avec un projet solide et durable.

Au public qui ne suit pas vraiment la F1, on vend le faste des activités marketing sur le lieu qui accueillera le GP de France en 2018, au Paul Ricard donc.

Il reste même une arme secrète si toute cette communication ne prend pas : la manière d’éviter le problème de marketing autour d’un team F1 encore en cours de refonte et de développement est de mettre en lumière le programme Formule E, championnat où Renault est également impliqué en tant que team d’usine et domine actuellement à la manière de Mercedes en F1.

Carlos Ghosn, président de Renault, avec Bernie Ecclestone

La vision sophistiquée et les bases saines pour le long terme

Les cyniques pourraient s’arrêter à ce qui précède. Mais cependant, les choses sont aussi à envisager d’une autre manière : c’est aussi cette décision de Renault de laisser Red Bull renommer l’unité de puissance qui donne à la marque des opportunités à un autre niveau, plus discernables sur le long terme.

Renault a ainsi posé ses pions avant même que Liberty Media ne vienne regarder un certain nombre d’ententes liant les teams au Championnat du monde de F1. Certes, Ferrari dispose toujours d’un statut spécial lui assurant des revenus uniquement dépendants de sa participation. Mais avant le départ de Bernie Ecclestone, le groupe français a fait valoir son engagement et a su équilibrer le rapport de force, sachant à quel point les constructeurs désireux de jouer pleinement le jeu sur le long terme sont aujourd’hui rares en F1 – et nécessaires pour le promoteur.

C’est ainsi que pour faire monter son budget au niveau des plus dépensiers, Renault s’est assuré d’un revenu annuel estimé à 70-80M€ au crédit de sa position d’acteur "historique" de la discipline, chose que Lotus et de nombreux autres (comme Sauber, qui fête ses 25 ans en F1 !) n’étaient parvenus à obtenir. Ajoutez à cela les 30 millions de revenus (et la collecte de données de développement) liés à la fourniture des unités de puissance à Red Bull Racing en 2017 et 2018, ainsi qu’un autre beau chèque en provenance de Toro Rosso pour les deux prochaines saisons, et vous obtenez une machine de guerre disposant de plus de 200 millions par saison de manière garantie pendant les prochaines années. Plutôt rassurant, quand on a signé une entente avec le promoteur jusqu’en 2020, date à laquelle on espère gagner.

On vous laissera donc mûrir cette phrase de Cyril Abiteboul, que l’on a l’impression d’entendre si souvent en F1, en gardant en tête ce contexte :  "C’est avec la capacité financière et également le temps que l’on revient dans la cour des grands garçons."

Cyril Abiteboul, directeur général Renault Sport F1

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