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Édito - Le cœur a ses raisons que la raison ignore

L'humain. Dans un sport où la performance est dominée par la mécanique et la science, le facteur émotionnel a encore de beaux jours devant lui.

Hayden, Alonso, Ogier, Verstappen et Zarco

Hayden, Alonso, Ogier, Verstappen et Zarco

Il suffit de voir ce qui a fait l’actualité récente ou mu (et ému) les amateurs de sports mécaniques pour comprendre que notre bouton déclencheur reste fortement activé par une affaire d’individualités, quel que soit le niveau technologique ou de sport/business atteint.

Bien sûr, nous avons tous nos propres raisons de suivre les sports mécaniques, et cela commence par une certaine fascination pour les marques, les teams et les véhicules, quels qu’ils soient. Leur simplicité pure, ou au contraire leur sophistication extrême. Leur caractère innovant ou ramenant à de bons souvenirs d’antan. Leur allure, leur son, leur odeur.

Mais ce qui rassemble aussi clairement, dans les temples que sont les circuits, autour d’un verre ou derrière les types d’écrans toujours plus variés, c’est, pour beaucoup, le facteur humain de la compétition. L’erreur. L’incertitude. La prouesse. L’échec. Le décrochage. Le comeback ! La fougue. La sagesse. Les émotions. Le collectif. L’individuel. La petite phrase ! Le rictus. L’essoufflement dans la communication radio. L’implacable démonstration. La contre-performance. L’excuse. La passion. L'ironie. En un mot, l’humain.

Fernando Alonso, Andretti Autosport Honda

Regardez-vous simplement. Comment avez-vous "consommé" les sports mécaniques ces derniers temps ? Même si vous êtes avant tout passionné par une série, par un team, une marque, ou un individu, sans doute avez-vous eu la curiosité, au moins une fois, de suivre l’incroyable défi que s’est lancé Fernando Alonso à Indianapolis. Ou vous êtes-vous frotté les mains en sachant que cette pige américaine ouvrait la porte à un baroud d’honneur monégasque de Jenson Button en F1. Sans doute n’auriez-vous-même pas levé un sourcil en voyant les titres d’actualité concernant l’Indy 500 cette année si le pilote McLaren Honda n’avait pas amorcé sa démarche. Vous ne l’aviez pas fait pour Max Chilton, ni même Juan Pablo Montoya. Ni apprécié le fait que la discipline fasse un effort notable pour streamer l’intégralité des séances d’essais gratuitement en direct et en ligne, à grand renfort de statistiques et conférences de presse, offrant d’ailleurs la part belle à l’Espagnol. Peut-être même, si vous n’êtes pas plus fan que cela du personnage, vous étonnez-vous secrètement à en apprécier l’esprit de battant qui l’a animé dans ce projet et sa capacité à s’adapter à cet environnement inconnu… en vous embarquant avec lui.

Les drames

Et comme l’on parle d’Indy, difficile de rester insensible, lorsque l’on a le cœur qui bat pour les 24 Heures du Mans, au désarroi du pilote sarthois Sébastien Bourdais, durement accidenté et incapable de tenter de prouver ce qu’aurait donné son rythme impressionnant des essais de l'Indy 500 en course. Difficile d'accepter qu’il ne pourra défendre sa victoire mancelle 2016 avec la magique Ford GT. Mais la nature humaine reprend le dessus, et l’on a tous avant tout recontextualisé le drame de la déception sportive en nous réjouissant du fait que l’homme, lui, n’a pas été touché plus durement dans son intégrité physique.

Touché dans sa chair, le jeune Billy Monger l’a cruellement été. Je ne vais pas vous mentir : moi-même, je n’avais jamais entendu le nom de celui qui venait de monter en monoplace après une paire de titres en karting avant son malchanceux accident de Donington. Celui-ci lui a coûté ses deux jambes quelques jours avant d’atteindre la majorité, fêtée en soins intensifs. Billy aurait-il été un pilote dont on aurait parlé sportivement dans quelques années ? Cela n’a aucune importance. Son histoire a touché la communauté des sports mécaniques dans son ensemble, et bien au-delà. Au point de générer une mobilisation collective absolument incroyable à travers un site de charité, sur lequel fut recueilli près d’un million d’euros en quelques jours pour lui offrir un confort dans sa nouvelle vie. N’importe quel observateur, qu’il juge fou ou non de voir un jeune homme rouler à pleine vitesse sur un circuit en guise de hobby, aura ressenti de la compassion pour un garçon avant tout vulnérable, ayant tout à réapprendre de la vie. Dès sa sortie de l’hôpital, Billy Monger a assisté en personne à un évènement organisé en son honneur en Angleterre, installé dans son fauteuil roulant, cuisses apparentes. Dans une interview vidéo, sa gratitude, son optimisme et sa philosophie pure devant les évènements étaient profondément touchants et donnaient la chair de poule.

Billy Monger

Ce qui touche l’inconscient collectif, fort heureusement, ne concerne pas que des nouvelles dramatiques, comme la plus récente qui nous est arrivée de Nicky Hayden. Il reste les images et les émotions. On pourrait en dire en tonnes sur le héros du MotoGP, mais tenons-nous en à quelque chose d’extrêmement terre-à-terre, ressenti à notre propre niveau : même préparés qu’ils sont à des pics sur les présentations F1 en début d’année ou aux coups de chaud du dimanche avec le monstrueux afflux de visiteurs de plus de 20 éditions internationales, nos serveurs n’ont pas tenu le coup consécutivement à l’annonce du décès du populaire Champion du monde MotoGP 2006. Jamais encore nous n’avions vu cela dans de telles proportions ; pas même lors de l’arrivée de la catastrophique nouvelle de l’accident de ski de Michael Schumacher. Et après l’annonce, le cœur n’y était plus dans l’ensemble de l’équipe pour poursuivre la riche programmation de contenu éditorial. À l’heure du recueillement, ce n’est pas seulement le sportif qui a été salué, mais avant tout l’homme et son caractère, qui a marqué tant de monde. Mais revenons à des sujets plus légers.

L'émulation

Le succès est une notion qui, fort heureusement, rassemble encore. Il y a une dizaine de jours, aux Pays-Bas, se tenait un événement organisé par et pour Max Verstappen sur le tracé de Zandvoort. Plus fort que n’importe quel meeting électoral ! Un événement tout bonnement exceptionnel, qui dépassait l’entendement en ce sens que la seule et unique star du show était l’adolescent lui-même. 100'000 personnes se sont déplacées pour le voir réaliser des tours de piste, prendre une photo avec lui, collecter un autographe ou simplement s’entourer d’autres fans partageant la même passion. Un superbe événement, organisé pour la seconde fois, presque inégalable. Certes, Barcelone exulte pour Alonso chaque année; Silverstone soutient avec patriotisme ses pilotes et équipes de légende, les fans de Rio Haryanto lancent encore des pétitions scandalisées pour voir un Indonésien en F1… mais ce qui se produit aux Pays-Bas tient réellement du phénomène culturel. La starification spontanée de Verstappen fait que toute une tranche de la population, par ailleurs pragmatique et souvent inintéressée par les sports mécaniques, retire tout de même une fierté non dissimulée de la représentation du pays au plus haut niveau par celui qui est vu comme le talent d’une génération. Un peu comme l’on s’approprie, le temps d’une paire de semaines, la glorieuse satisfaction de voir un judoka médaillé d’or aux JO à la différence près que l’effet Max est bien loin de retomber.

Max Verstappen, Red Bull Racing et le commentateur Olav Mol

J’aurais pu me montrer cynique en suggérant que nous, Français, avons tendance à plutôt privilégier l’amour vache lorsqu’il s’agit de nos représentants ! Sans doute est-ce notre façon à nous de montrer que nous en attendons/espérons beaucoup d’eux, et à quel point nous les souhaitons exemplaires, en course comme dans ce qu’ils incarnent. Mais il suffisait d’être au Mans et d’entendre la clameur incroyable des 105'000 spectateurs rugissant de plaisir en voyant Johann Zarco se hisser sur la première ligne de la grille MotoGP, puis mener le GP le dimanche et l’achever sur le podium, pour en oublier quelques instants que le Dieu Valentino Rossi et les pilotes espagnols ne sont pas les seuls à charger l’atmosphère d’électricité. Quelle vibration, quel plaisir a-t-on ressenti en ce début de saison devant la montée inexorable de celui qui s’étonne encore avec une candeur modeste du fait que quelques courses solides au sommet en 2017 lui valent déjà plus d’attention que toute une carrière déjà exemplaire ! Voilà qui est maintenant reconnu, et le cercle vertueux semble ne pas vouloir prendre fin.

Et comme c’est dans la compétition que l’on reconnaît le talent − parfois tardivement −, il est aussi intéressant de constater que d’autres, comme Sébastien Ogier et Julien Ingrassia, commencent à toucher humainement un public un peu plus large, qui s’était blasé des succès répétés avec VW et semble soudain saluer plus franchement la pugnacité de l’équipage français dans l’adversité d’une saison 2017 ouverte et palpitante. "Forcément, ils avaient la bonne voiture !"

Un phénomène que Sebastian Vettel connaît bien, lui qui arrive presque à faire oublier qu’il fut un quadruple Champion du monde laissant bien du monde indifférent, en donnant simplement la monnaie de sa pièce à Mercedes au volant d’une voiture rouge depuis quelque temps. Bernie avait vu juste. Nico Rosberg, lui, restera sans doute le champion d’un jour, de par un manque général d’émotion suscité à l’immense majorité, à l’exception du jour de son départ… Le regrettera-t-on en voyant tourner Roborace avant chaque ePrix ? Blague à part, voici la preuve que beaucoup reste encore à faire dans la stimulation de la passion humaine et que l’amour ne s’achète pas. L’Allemagne peine à trouver le modèle faisant vibrer son peuple pour la F1, en dépit − ou justement à cause ? − de pilotes et d’une équipe tellement victorieux qu’on pourrait penser qu’ils devraient susciter la même fierté que Verstappen aux Pays-Bas.

Toto Wolff, directeur exécutif Mercedes AMG

Finalement, Toto Wolff est bien plus sympathique lorsqu’on le voit cogner du poing de rage sur sa table de contrôle ! Une réaction humaine aura suffi à faire oublier des hectolitres d’eau tiède qu’étaient ses discours faussement préoccupés après chaque victoire ces trois dernières années…

Cette année, Vettel redorera sans aucun doute aussi son blason, tant un véritable duel au sommet contre un pilote d’un autre team que le sien ou disposant d’un matériel proche était attendu pour le juger "sur pièce". Tout le monde y gagnera. Certains succès (voire duels perdus !) ont plus de valeur que d’autres en termes de perception et de direction de carrière. Il suffit de voir la côte popularité de Fernando Alonso, plus de dix ans après sa dernière couronne, ou l’intérêt porté à n’importe quelle actualité d’un Robert Kubica dont la hype n’est statistiquement pas soutenue par les résultats − même avant son accident oseront certains −, pour le comprendre.

50 nuances de gris

J’aurais pu vous parler du minot en larmes devenu star du net dans les tribunes de Barcelone après l’abandon de Kimi Räikkönen, dont les émotions sont passées du blanc au noir sans aucun dégradé, ou du cœur fendu d’un petit de cinq ans à la chute de Valentino Rossi dans l’ultime tour du GP de France MotoGP. De ce virage de communication pris par Liberty Media, qui rapproche les interviews post-qualifications de l’inaccessible salle de presse à la ligne droite des stands, devant les gradins. Des quelques vidéos qui, enfin, deviennent consultables et partageables en ligne sans risquer de recevoir une mise en demeure de la FOM avec accusé de réception.

D’un Jean-Éric Vergne ou d’un Lucas Di Grassi désespérants, qui tantôt nous font monter la pression artérielle avec des manœuvres atterrantes complétées par des remarques chargées de mauvaise foi quant à ce qui les a tenus éloignés d’une carrière en F1 (Rappel : Verstappen remplit un circuit à lui seul ; Daniel Ricciardo a séduit fans, sponsors, usine, garage, medias et dirigeants grâce à son caractère), et tantôt organisent de trop peu publicisées initiatives nobles, comme la course de kart du RKC pour Billy Monger ou des campagnes de sensibilisation au réchauffement climatique... Mais finalement, ils nous créent des émotions, et nous donnent des raisons de suivre la Formule E.

Johann Zarco, Monster Yamaha Tech 3

J’aurais pu vous parler de l’excès d’information de notre génération ultra connectée, dont nous sommes en partie responsables par addiction ; de cette démystification de nos héros qui résulte avant tout du fait que l’on sait tout d’eux partout, tout le temps. À ce titre, il est amusant de constater que deux des pilotes les plus médiatiquement exposés dans le monde des sports mécaniques − les titulaires de l’équipe F1 Ferrari − boycottent cordialement les réseaux sociaux.

Finalement, on a dit tout et son contraire en cette fin de pamphlet : merci, Bernie, d’avoir mystifié la F1, de l’avoir rendue désirable, inaccessible, élitiste et source de rêve inabordable et de frustration. Merci d’avoir alimenté notre imaginaire collectif. Et merci, Chase Carey, de désirer ouvrir certaines portes, de briser des tabous anachroniques et de faire passer certains aspects de ce sport dans le siècle dans lequel nous vivons. Tous deux le faites, ne nous voilons pas la face, pour des raisons animées par le même but − la rentabilité commerciale !

Mais ça aussi, c’est la nature humaine...

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