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Édito - La retraite ? On ne s'en remet jamais !

"La retraite ? On fait mine qu’on fait aller… mais, je vais vous le dire, on ne s’en remet jamais !"

Le Champion du monde de F1 Nico Rosberg, Mercedes AMG F1, Nigel Mansell

Photo de: LAT Images

Au cours de la soirée de gala des Autosport Awards, réunissant dans la prestigieuse salle de bal de Grosvenor House (Londres) près de 1200 membres de l’industrie des sports mécaniques, l’ambiance est aux boutades. Comme presque tous ceux qui prendront la parole ce dimanche soir, Nigel Mansell chambre sur la décision surprise de Nico Rosberg de quitter le sport. L’information est encore en cours de digestion ; personne ne cache son choc.

Avant cela, le Champion du monde 1992, seul lauréat d’un prix à avoir reçu une standing ovation devant un parterre au flegme pourtant très british, a salué le courage de l’Allemand de se retirer à un tel moment de sa carrière. "Moi, je suis parti deux fois", tourne-t-il en dérision, et décidément affable. Comme beaucoup, il spécule sur qui pourrait bien obtenir le volant si convoité. "Les autos seront plus larges l’an prochain, peut-être que je pourrais entrer dedans !", plaisante-t-il.

D’épaisseur, la soirée n’en manque pas. Tout le monde est sur son 31 : le dress code est aussi strict que pour le banquet de la FIA, qui s’est déroulé quelques jours plus tôt, à Vienne : nœud pap’ et smoking obligatoires ! Dans la salle, des décideurs du sport, des directeurs d’équipe, des responsables techniques de premier plan, des managers, des champions, pilotes en activité et retraités, quelques journalistes, et nombre de jeunes aux dents longues. 

À l’entrée du couloir où est exposée une McLaren-Honda contemporaine, pourtant, Peter, un ami d’Autosport en charge de l’accueil, se décompose sur place : "Guillaume, can you believe it, on n’a pas la moindre bière dans cet endroit ! J’ai des centaines de litres de champagne, et ce que veut Chase Carey pour l’apéro est une bière ! La poisse !"

Le nouvel actionnaire de Liberty Media ne semble cependant pas bien affecté par cela. Ses yeux pétillent : il découvre encore clairement ce monde avec un émerveillement certain. À ses côtés, un assistant ne cesse de murmurer. J’arrive à capter quelques bribes : Carey reçoit en temps réel un masterclass sur tout ce qu’il voit, qui est qui, ce qui rend cette McLaren exposée particulière. On l’informe notamment que Jenson Button, apprécié de tous ici, ne sera pas présent car il se fait plaisir au volant de l’auto vintage de Senna, au Japon. Silencieux, celui qui devra faire prospérer le sport dans le futur s’éduque avec attention. Contrairement à Pierre Fillon (ACO) ou Gérard Neveu (WEC), il n’est guère vraiment sollicité, chacun prenant garde à ne pas le déranger et le laisser s’imprégner des lieux.

Le Champion du monde Nico Rosberg, Mercedes AMG F1

Après avoir conversé dans l’entrée réunissant une belle exposition de clichés historiques de l’agence LAT, traversé un impressionnant couloir chargé de maquettes Amalgam et admiré des croquis de plus d’un mètre de long de notre illustrateur technique Giorgio Piola, j’ai l’honneur de partager ma table avec quelques figures du paddock. L’un d’entre eux me forcera à tenir une dure résolution pendant toute la soirée : ne surtout pas poser LA question que tout le monde assaille depuis 48 heures ! Pascal Wehrlein veut juste passer un bon moment. Accompagné de sa petite amie, il s’inquiète déjà de la programmation. "Une heure entre le premier discours et la première remise de prix ? Oh mein gotttttt !", lâche-t-il, les yeux écarquillés, et visiblement désespéré. C’est officiel, Pascal agonise déjà.

Il faut dire que la soirée est exclusive, mais cette année, elle s’ouvre au public : pendant 45 minutes, elle est en effet streamée en ligne et en direct sur Motorsport.com, MotorsTV et Autosport.com. Le programme de la remise de prix et des entrées en scène les plus emblématiques a donc été compacté pour la télé, ce qui laisse le temps de converser en dînant, et pendant que les prix "moins forts" sont remis.

Les absents ont toujours tort ; ainsi, le prix de Marc Márquez est vite passé en revue. Sébastien Ogier a laissé une vidéo pour saluer l’audience, expliquant "préférer se concentrer sur son programme et l’annonce prochaine de l’équipe pour laquelle il roulera" en WRC. Il ne semble donc pas être question de si, mais où, pour celui qui a collecté son prix FIA plus tôt dans le week-end. Pour honorer sa récompense de voiture de rallye de l’année, VW a fait l’effort de faire se déplacer François-Xavier Demaison. Le Français explique que Volkswagen travaille activement sur l’homologation de la Polo WRC dernière génération pour des clients "car ce serait vraiment triste qu’elle parte directement à la benne".  Est-ce là ce qui attend Ogier, avec un programme privé ?

Et alors, Pascal, la dalle ? Wehrlein n’est pas très friand du beef Weelington trônant dans son assiette. Tout juste le frêle garçon s’aventure-t-il sur les cinq haricots verts l’accompagnant. Un verre de vin, alors ? "Non, non, merci", sourit-il. "Je veux rester bien clair, au cas où on m’appelle sur la scène". Il en est bien inspiré. Nommé pour le titre de Rookie de l’Année, le protégé de Mercedes est effectivement invité à monter recevoir son trophée de vainqueur. La question avec laquelle je ne voulais pas l’ennuyer est bien sûr posée. Mais Steve Rider, l’emblématique présentateur de la F1 quand celle-ci était gratuite en Grande-Bretagne, la formule d’une façon qui nous fera hériter d’un Pascal ténébreux pendant tout le reste du repas : "Mercedes a expliqué ne pas désirer un top pilote, penses-tu donc avoir ta chance ?". La formulation laisse dans l’air un petit mélange de gêne ; quelques railleries fusent depuis les tables environnantes. Le jeune homme rattrape bien le coup en se disant prêt pour le job, et rappelle être celui qui a le plus roulé avec les pneus 2017 en tests. À bon  entendeur !

Pascal Wehrlein reçoit le trophée de Rookie de l'année

Revenu à table, il encaisse encore la suggestion selon laquelle il ferait partie des seconds choix. L’ego s’en remettra en cas de bonne nouvelle de Brackley, mais en attendant, Aldo Costa, l’homme des moteurs Mercedes, se lamente sur scène du départ de Rosberg qu’il avoue "ne pas avoir encore totalement accepté". Jon Noble, reporter F1 de Motorsport.com qui a voyagé sur les 21 courses de la saison, m’annonce solennellement : "Ce sera Bottas. Il leur faut pouvoir jouer le titre constructeurs. Et c’est tellement plus simple pour Toto." 

Sur la scène, les petites phrases marquantes ne manquent pas. Paddy Lowe, responsable technique Mercedes, avoue lui aussi ne pas avoir encore digéré le départ de Rosberg et relate la réaction de l’usine lors de l’annonce, sans filtre ; c'est clairement dur à avaler pour les Gris. Se reprenant, il insiste sur la manière dont le Champion 2016 manquera à l’équipe de développement, au staff de l’usine de Brackley, "tous les gars derrière les ordinateurs". Sa manière de formuler l’apport de l’Allemand, dans les minutes suivantes, laisse deviner entre les lignes que le team pouvait moins compter sur l’implication au quotidien de Lewis Hamilton sur le plan technique, ainsi que physiquement à l’usine et au simulateur et pour le feedback sur les méthodes de travail et d’organisation des tâches sur les courses. On comprend aussi que c’est un team player qui est désiré par les 1500 personnes œuvrant pour la firme à l’étoile.

Mansell, lui, honore le Champion avec une mise en abîme : "Vous savez, quand on a un champion du monde dans son team qui vous bat plusieurs fois, ou qu’on passe à côté avec la meilleure auto, comme ça m’est arrivé aussi, on ne peut pas être ami avec le gars de l’autre côté du garage. C’est impossible ! La pression est immense. Vous ne pouvez pas vous rendre compte. Il y a une telle résistance. On connaît Lewis, c’est un énorme battant. Ce qu’a fait Nico, en lui tenant tête et avec ces enjeux… Chapeau : tu es un champion méritant." Un bel hommage, devant une salle très britannique. 

Est-ce que le titre et le départ de la F1 vont adoucir les mœurs entre les deux hommes ? Rosberg commence par une réponse corporate entendue 1000 fois : "On se connaît depuis que l’on est en karting, nous étions meilleurs amis à 14 ans. On a toujours été ensemble." "Mais arrivez-vous de nouveau à avoir une relation ?", insiste Rider. "Oui, c’est beaucoup mieux ; mieux que ça ne l’a été. En dépit de ces quatre derniers Grand Prix qui étaient les plus lourds psychologiquement. Et c’est bien meilleur depuis deux jours !". Pouvez-vous encore être amis ? "Oh, doucement, attendons encore deux jours, mais à ce rythme, sans doute !", s’esclaffe Rosberg. Rires entendus dans la salle, avant qu’il n’arrive à se défaire du sujet dans une pirouette. "En tout cas, je peux vous dire que c’était horrible. Vraiment horrible. Est-ce que je me suis vu Champion ? Je me suis surtout vu perdre le titre trois fois en quelques tours derrière Mad Max ! Mon Dieu ! En voilà un derrière qui on ne veut pas être dans un tel moment. S’il avait tenu, imaginez ce qui se serait passé ! Je serais encore en activité et j’aurais des comptes à rendre à la maison !" Rigolade générale. Vivian applaudit des deux mains. 

Nico Rosberg, Mercedes AMG F1 W07 Hybrid et Max Verstappen, Red Bull Racing RB12

Avec un brouhaha rendant les conversations avec l’autre bout de la table difficiles et un Wehrlein très concentré sur son téléphone, je croise le fer avec le posé Dave Ryan, directeur sportif de Manor et ex-figure du management de McLaren pendant plus de 30 ans. Le Néo-Zélandais est d’excellente compagnie. À 62 ans, il n’a toujours pas ralenti le rythme et a suivi le F1 Circus sur toutes les manches de la saison. Intrigué par le succès de la F1 sur nos plateformes digitales, il m’arrose de questions et lance le débat autour de la F1 payante à la télé. Sa position est très claire : lui déteste cette exclusivité et espère une grande ouverture comme connue jadis sur les canaux gratuits, ou une accessibilité repensée par le promoteur sur internet. "C’est encore plus important que des victoires de Ferrari, tu sais, il faut capter les fans de demain". J’argumente pour les canaux payants, que j’apprécie, en rappelant que la F1 n’est pas le seul sport accessible à péage, tout en abondant sur le fait que les fans de demain se créent aujourd’hui, et manquent de moyens d’accéder à leur passion. Satisfait de l’échange, Dave décide de remettre un peu de piment : "Et la Formula E ?", demande-t-il en faisant la moue. "Tu accroches ?"

Je suis sauvé par l’entrée en scène de Zak Brown, président de Motorsport Network, et dont le rôle chez McLaren intéresse forcément beaucoup Dave. "Ce n’est que le début", sourit Brown, faisant référence à la vingtaine d’éditions dans lesquelles existe Motorsport.com, et après avoir rassuré sur la manière dont Autosport et F1 Racing seraient sauvegardés, en revues papier comme en digital, malgré leur rachat par Motorsport Network. Il sait que beaucoup de monde regarde de près chaque mouvement stratégique du groupe et cherche à savoir comment il conciliera cela avec son nouveau rôle chez McLaren : "Allez savoir, au rythme où ça va, sans doute aurons-nous acquis encore autre chose d’ici la fin du dîner", badine-t-il.  

Le Champion du monde de F1 Nico Rosberg, Mercedes AMG F1

D’autres badins l’accompagnent bientôt sur scène et élaborent avec Rosberg au sujet de son choix tout frais. De par la richesse et la variété de leur conversation, Damon Hill, Mark Webber et Felipe Massa marquent un contraste frappant avec Wehrlein, toujours absorbé par son mobile. Les quatre jeunes retraités partagent anecdotes et conversations engageantes, parlent de leurs inspirations, de course et d’en dehors. Et nous rappellent pourquoi ils nous manqueront tant. Dans le chat interne de Motorsport.com, un collègue vanne : "C’est l’award du retraité de l’année, en fait !"

Rosberg explique une nouvelle fois qu’il n’aurait pas pris la décision de partir s’il n’avait pas été couronné. Que la boucle est bouclée. Qu'il appartient au cercle très restreint des Champions fils de Champions, avec Damon Hill, et que ça lui suffit. Jamais il ne s’épanche sur la situation dans laquelle il laisse son team, qui a plus d'une fois rappelé son désarroi, et avec lequel il disposait d’un contrat bétonné.

Dimanche soir, c’est avant tout en Champion de F1 que Rosberg a été célébré, par un public très anglais, et une industrie qui l’a vu grandir sur le sol à un âge tendre, puis débuter avec l’équipe chérie Williams.

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