Les erreurs qui ont privé Williams du titre 1991

La saison 1991 représente l'une des plus grandes opportunités manquées de l'Histoire de Williams. Des problèmes techniques et des erreurs parfois grossières de Nigel Mansell ont aidé Ayrton Senna à décrocher la dernière de ses trois couronnes mondiales.

Nigel Mansell, Williams

Nigel Mansell, Williams

Sutton Motorsport Images

Williams a imposé sa loi sur la F1 au cœur des années 1990, avec cinq titres constructeurs en six saisons, et des sacres chez les pilotes pour Nigel Mansell, Alain Prost, Damon Hill puis Jacques Villeneuve. L'équipe anglaise était la plus constante au premier plan, aidée par son partenariat avec Renault, qui fournissait ses puissants V10, et sous l'impulsion de deux des meilleurs ingénieurs que la F1 ait connu, Patrick Head et Adrian Newey.

Les fondations de cette domination ont été posées durant l'année 1991. Mais si vous demandez aujourd'hui à Head le souvenir qu'il garde des promesses montrées cette année-là, il évoque avant tout une opportunité manquée et des titres perdus. Avant que l'association entre Williams et Renault ne porte véritablement ses fruits, l'équipe a été confrontée à plusieurs difficultés, qui ont aidé Ayrton Senna et McLaren-Honda à garder l'avantage une année supplémentaire.

"Nigel [Mansell] aurait dû gagner le championnat avec la FW14 cette année-là, mais des soucis de transmission en début de saison et l'absence de consignes d'équipe qui ont permis à Riccardo [Patrese] de prendre des points à Nigel ont offert un titre supplémentaire à Ayrton", estime Head, dans le style franc et direct qui le caractérise.

Le technicien dit vrai mais il est possible d'apporter des nuances, certains épisodes étant pardonnables, et d'autres nettement moins. Williams a conquis les deux titres en 1987, avec Nelson Piquet et Honda, mais elle a connu un coup d'arrêt avec le départ du Brésilien pour Lotus et la fin de son partenariat avec Honda. L'écurie a vécu une année de transition en 1988, avec le V8 Judd, avant d'entamer sa relation avec Renault l'année suivante. Mais c'est la signature du jeune Newey, à l'été 1990, qui a véritablement amorcé le retour de Williams au premier plan.

Adrian Newey, left, and Frank Williams watch the race action

L'aérodynamicien avait fait ses armes avec la March 881, qui avait frappé les esprits en 1988, mais l'équipe, devenue Leyton House l'année suivante, était en proie à des difficultés financières. Newey a perdu sa place à l'été 1990 et c'est depuis son canapé qu'il a suivi le podium d'Ivan Capelli au GP de France. Il a rejoint Williams au lendemain du GP de Grande-Bretagne, mais pas au poste initialement prévu dans le département Recherche & Développement.

Head a immédiatement identifié le potentiel de sa nouvelle recrue. "Quand Adrian est arrivé après avoir été viré par Leyton House, il était évident qu'il devait devenir chef designer, et j'ai discuté avec lui de ce qu'il fallait sur le plan technique", explique celui qui était alors directeur technique.

Dans son autobiographie, Newey reconnaît avoir été choqué quand il a rejoint Williams, dont la structure était selon lui trois plus grande que celle de son ancienne équipe. Mais même s'il bénéficiait de ressources plus importantes, il a senti dès le début qu'imposer ses idées au duo Head-Williams ne serait pas une sinécure. "Leur partenariat était très solide", écrit-il. "C'était la boutique de Frank et Patrick et ils prenaient leurs décisions pendant les repas." Newey était cependant ravi de pouvoir travailler aux côtés de Head, une figure inspirante qui l'a aidé à corriger certaines faiblesses : "Il était particulièrement bon pour me contraindre à chercher la fiabilité, ce qui n'était pas mon point fort à l'époque."

La première tâche de Newey a été de développer la décevante FW13B utilisée cette année-là, avec une première récompense au GP de Hongrie, remporté par Thierry Boutsen. Mais il a vite consacré son attention à la FW14. L'ingénieur a produit une voiture dans la lignée de ses créations chez Leyton House, assurant avoir puisé dans sa mémoire et pas dans la documentation appartenant à son ancienne équipe.

Les couleurs étaient différentes mais les points communs évidents : le châssis en forme de V, la petite ouverture du cockpit, la forme du capot-moteur, l'aileron avant et ses dérives latérales, rallongées avec une aube de dérivation à la limite du pneu, une faille réglementaire ayant été identifiée. "Les essais en soufflerie de la FW14 ont été limités, et c'était une évolution de la Leyton House de 1989, avec l'aileron arrière de la FW13 et un nouvel aileron avant", résume Head.

Mais dans son livre, Newey a évoqué un double projet, jugeant la soufflerie de Didcot, à l'échelle un quart, "ancienne" et "lente" et lui préférant les installations de l'Université de Southampton, dont il était sorti diplômé. L'utilisation des deux souffleries nécessitait la fabrication de deux maquettes, mais Newey était prêt à la dépense lorsqu'il s'agissait de gagner en appui.

Son plus gros problème, comme il l'avait rapidement signalé à Head, était l'"encombrante" boîte de vitesses de la Williams. Et ce n'était que le début des déconvenues dans ce domaine.

Nigel Mansell, Williams FW14 showers the sparks

"Sur la FW13, la transmission était transversale, une solution apparue sur la FW12 en 1988", explique Head. "En 1989, Ferrari a utilisé une [boîte] semi-automatique sur laquelle les rapports étaient sélectionnés par le biais d'un système pneumatique ou hydraulique, contrôlé par un logiciel. Nous avons testé une transmission hydraulique, utilisant un barillet contrôlé depuis le volant."

"Adrian disait que la transmission de notre [boîte] semi-auto n'avait pas une forme optimale pour l'aérodynamique, donc nous avons testé la boîte de vitesses intermédiaire sur la FW13B et nous avons conçu une nouvelle transmission, avec un système semi-auto mais une forme plus adaptée aux besoins aérodynamiques. Cette transmission avait le nom TG3, pour Transverse Gearbox 3 [boîte de vitesses transversale 3]."

La rapide réflexion de Head pour trouver une solution dans un domaine inconnu pour Williams a impressionné Newey. Mais comme à d'autres moments de sa carrière, l'obsession de l'ingénieur pour l'efficacité aérodynamique a finalement joué contre son équipe, la boîte de vitesses restant une faiblesse quand la saison 1991 a débuté, après des essais limités durant l'hiver. Le trio composé de Senna, de la McLaren et d'un nouveau V12 Honda, conçu en réponse à la menace Renault, a survolé le début de la saison, avec quatre succès en autant de courses.

Mansell n'a pris ses premiers points qu'à Monaco, la quatrième manche de la saison, en se classant au deuxième rang, à près de 20 secondes du Brésilien, déjà large leader du championnat avec 40 points contre six pour le pilote Williams, alors quatrième.

Nigel Mansell, Williams FW14 Renault, Peter Windsor

"Les premières courses ont été gâchées par des problèmes de transmission, tous liés au passage des rapports", reconnaît Head. "Il nous a fallu beaucoup trop de temps pour en identifier la cause, qui était un manque de contrôle de la position une fois que la transmission était en température, résolu très simplement en limitant la tolérance au mouvement."

Newey donne plus de détails sur les problèmes rencontrés à l'époque : "Patrick a réalisé que les arbres n'étaient pas bien soutenus sur la longueur. Ils bougeaient, donc les rapports s'engageaient même quand ils n'étaient pas sensés le faire."

La tendance a commencé à tourner en faveur de Williams au Canada, cinquième manche de la saison. Les FW14 ont verrouillé la première ligne, avec Mansell devant Patrese. En course, Mansell s'est montré dominateur et Senna a été contraint à l'abandon en raison d'un souci d'alternateur. À l'entame du dernier tour, Le Britannique comptait plus d'une minute d'avance sur Nelson Piquet, mais il était sur le point de commettre l'une des plus grosses bévues de sa vie.

Nigel Mansell, Williams FW14 Renault

Les spectateurs ont d'abord cru qu'il avait une nouvelle été trahi par sa transmission, mais ce n'était pas le cas. Mansell a fanfaronné à l'épingle, saluant le public, et a oublié de rétrograder. Son régime moteur a chuté en dessous des 2000 tours par minute... et la Williams s'est arrêtée.

"Nous avions une très petite batterie sur la voiture, et la tension est passée sous le minimum requis pour faire tourner le moteur", précise Head. "Quand Nigel a rétrogradé, le moteur s'est coupé, la boîte était sur le neutre, il n'y avait plus de pression hydraulique et il était impossible d'enclencher un rapport. Donc ce n'était pas directement un problème lié à la boîte. Par la suite, nous avons utilisé une batterie un peu plus grosse."

Newey était désemparé de voir le premier succès de l'une de "ses" F1 s'envoler de la sorte. Mais il n'a pas eu à attendre longtemps. Williams a décroché un impressionnant doublé au GP du Mexique, avec Patrese devant Mansell, ralenti par des soucis sur son moteur. Mais l'Italien était bien le plus performant à ce moment-là, après avoir battu son équipier en qualifications dans chacune des sept premières courses.

Riccardo Patrese, Williams FW14 Renault, leads Nigel Mansell, Williams FW14 Renault, and Ayrton Senna, McLaren MP4-6 Honda, at the start of the race

Mansell faisait son retour chez Williams cette année-là et il avait beaucoup de choses à prouver après deux saisons décevantes chez Ferrari. Il n'était absolument pas le premier choix de Frank Williams, déjà obsédé par l'idée d'attirer Senna, et l'emblématique patron d'équipe avait également "signé" Jean Alesi sans pour autant confirmer son arrivée, semant le doute chez l'Avignonnais, qui s'était défait de l'accord pour rejoindre Ferrari.

Quand Senna a prolongé chez McLaren, Williams avait besoin de Mansell, qui avait en retour besoin de son ancienne équipe pour contredire l'annonce faire par Ferrari de sa "retraite" à l'été 1990. Il se retrouvait finalement dominé par un équipier en fin de carrière et qui ne figurait pas parmi les cadors du plateau, même s'il était un pilote solide.

Il est intéressant de voir Head mentionner l'absence de consignes d'équipe parmi les raisons qui ont privé Mansell du titre 1991, l'équipe ayant souvent eu des problèmes de ce type à gérer. Mais cette fois, si tôt dans la saison et avec un Patrese en forme, Williams avait probablement raison d'attendre qu'une hiérarchie définitive se dessine. C'était à Mansell de répliquer et il l'a fait rapidement, avec la manière.

Mansell a enchaîné trois succès à Magny-Cours, Silverstone et Hockenheim, pendant que McLaren perdait le fil, Senna ne cachant pas sa colère après deux pannes d'essence coup sur coup en Grande-Bretagne puis en Allemagne.

Ayrton Senna, McLaren receives a lift back to the pits from Nigel Mansell, Williams FW14 Renault

À Silverstone, Mansell s'est arrêté après l'arrivée pour que son ancien rival monte sur la Williams et regagne les stands, une image restée dans les mémoires. Mais selon Newey, le pilote britannique y a réfléchi à deux fois : "Est-ce que je roule doucement, ou est-ce que j'accélère pour me débarrasser de lui ?" s'est-il interrogé avec humour.

Mais il ne fallait jamais sous-estimer McLaren, du moins à l'époque. Mansell est revenu à huit points de Senna en s'imposant à Hockenheim mais une nouvelle version du V12 Honda, plus puissante, a redonné au leader du championnat les armes pour une victoire bienvenue en Hongrie, où Newey a aperçu des membres de McLaren débarquer sur le circuit avec quantité de nouveautés, emballées dans du papier bulle.

Senna s'est encore imposé à Spa, mais en profitant de l'abandon de Mansell, qui dominait avant de mettre pied à terre en raison d'un souci électrique, tandis que Patrese a rencontré des soucis de transmission. Une nouvelle occasion manquée pour Williams...

Mansell a pourtant pu réduire une nouvelle fois l'écart à Monza, en doublant Senna pour gagner la course et revenir à 18 points. Mais le Portugal a marqué un nouveau coup d'arrêt.

Patrese avait l'avantage et Williams a eu recours à une consigne pour donner la tête à Mansell. Lors de son changement de pneus, la roue arrière droite a été mal fixée et elle bougeait lorsqu'il est reparti. Les mécaniciens ont pu visser correctement la roue, mais hors de leur emplacement, entraînant une disqualification du pilote. Patrese a conquis une victoire bien méritée mais c'est Senna, deuxième à l'arrivée, qui faisait la meilleure opération.

Ce duel de plus en plus intense n'était pourtant pas terminé. Mansell a répliqué en Espagne, sur un circuit de Barcelone flambant neuf, avec un duel roues contre roues contre Senna dans la ligne droite principale. Le pilote McLaren était à la peine ce jour-là, perdant du temps avec un tête-à-queue pour ne prendre que la cinquième place.

Nigel Mansell, Williams spins

Mais à Suzuka, avant-dernière manche de la saison, Mansell a craqué sous la pression en sortant de la piste alors qu'il était à l'attaque, derrière Senna. Est-ce là qu'il a perdu le titre ? Ou plutôt dans l'allée des stands d'Estoril ? À moins que ce ne soit avec son erreur à Montréal ? On pourrait également évoquer le manque de fiabilité à Spa ou les soucis de transmission du début d'année : tant l'équipe que le pilote ont leur part de responsabilité, ce qui irrite encore Head 30 ans plus tard.

Mais dès l'année suivante, les défaillances et les erreurs appartenaient au passé. En marge des Grands Prix de la saison 1991, Damon Hill, alors pilote d'essais, a accumulé les kilomètres pour mettre au point les incroyables innovations que l'équipe s'apprêtait à lancer. "La voiture a été peu développée en 1991, parce qu'elle était clairement plus rapide", estime Head. "En fin d'année, nous avons conçu une version avec la suspension active, la FW14B, et nous l'avions au GP d'Australie, où elle a roulé pendant les essais mais pas en course."

"Nous avions la crainte d'être 'trop intelligents' en 1992, avec une voiture bien plus complexe qui pourrait encore nous faire échouer en raison d'une mauvaise fiabilité. Mais nous avons énormément travaillé pour garantir que le système et la voiture étaient fiables, et ils l'ont été, ce qui a permis de remporter le championnat 1992."

Comme Newey le résume : "L'évolution est souvent la clé, une fois que l'étincelle d'une bonne direction jaillit." C'est précisément ce qu'il s'est passé en 1991, année qui a permis à Williams de poser les jalons de sa domination des saisons suivantes. Certes, Senna a gagné, mais le triple Champion du monde le savait : il était désormais dans la mauvaise équipe et dans la mauvaise voiture.

Ayrton Senna, McLaren MP4-6 Honda

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