Analyse

La face cachée de la vie en F1 qu'il ne faut pas ignorer

Les commentaires récents du président de la FIA, Jean Todt, au sujet du stress et des contraintes subis par les employés en F1 face à un calendrier qui ne cesse de s'étendre a laissé certains acteurs du sport quelque peu déconcertés.

Des mécaniciens Racing Point poussent la voiture de Sergio Perez dans la pitlane

Photo de: Glenn Dunbar / Motorsport Images

Jean Todt n'a pas tort lorsqu'il dit que beaucoup de personnes impliquées en F1 vivent une vie enviée par des millions de personnes qui n'ont pas accès à de la nourriture, à de l'eau ou à des infrastructures médicales, mais cela ne met pas en valeur les sérieux problèmes traversés par ceux qui travaillent dur lors des week-ends de course. Des allers-retours dans le monde entier en avion, souvent dans des sièges inconfortables en classe économique, des semaines loin de la maison et de leur famille, des journées de travail interminables, un manque de sommeil important ainsi qu'un niveau de stress intensifié par la peur de l'échec ne constituent pas un rêve. Mélangez tous ces ingrédients et vous aurez en réalité la recette parfaite pour un burn-out.

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Ce n'est pas un secret, les changements d'effectifs en F1 sont plus élevés qu'ils ne l'ont jamais été par le passé. Alors que les jeunes ingénieurs et mécaniciens devaient à l'époque supplier pour avoir un travail au plus haut niveau, la quantité d'employés qui décident rapidement que cette vie n'est pas pour eux est si élevée que les équipes sont en rotation perpétuelle. Pour ceux qui découvrent la F1, la pression que cette discipline applique sur les gens se montre rapidement. Pour chaque employé qui célèbre et expérimente la victoire de son pilote, il y a de nombreuses personnes dans les autres équipes qui font face à la défaite. Pire, il peut y avoir des individus qui portent sur leurs épaules le fardeau d'avoir été celui ou celle qui a coûté à son équipe un bon résultat, que ce soit au travers d'un arrêt au stand manqué ou d'une décision stratégique ratée.

Il faut ajouter à cela le fait que la F1 est un sport plutôt machiste, où révéler une faiblesse et exposer ses problèmes n'est pas chose aisée, surtout lorsque vous êtes entouré par un important groupe d'hommes qui semblent (au moins à l'extérieur) tous solides. C'est l'une des raisons pour lesquelles la fondation Movember, dédiée à la santé des hommes, s'est montrée dans le paddock de la F1, où l'aide qui peut être offerte sur le plan de la santé mentale peut être un bon compromis face à la pression.

Peu se sont ouverts en public au sujet des moments difficiles qu'ils ont traversés en travaillant dans une discipline que beaucoup voient uniquement comme un métier de rêve. Un des témoignages les plus bouleversants sur l'ampleur que le stress peut prendre pour pousser quelqu'un vers le point de rupture a été celui de l'ancien responsable de la communication de Williams, Aaron Rook, qui explique qu'il a même envisagé le suicide lors d'un week-end de course, tout simplement parce qu'il ne parvenait plus à supporter les conditions de ce métier.

"La F1 est un business avec un peu de sport à côté, comme le morceau de salade d'usage dans un kebab", explique-t-il sur son blog. "Cela explique probablement la pression constante et inutile placée 24 heures sur 24 et sept jours sur sept sur les employés. Pas même le fait de s'effondrer mentalement, le tout avec des pensées suicidaires, ne peut vous garantir en retour un moment pour souffler."

"Alors que la majorité se glissait dans les soirées chic d'Amber Lounge pour voir qui pouvait s'approcher de la personne la plus célèbre, votre serviteur était assis dans une chambre d'hôtel à manger un menu de fast-food en regardant la télévision étrangère. J'étais souvent satisfait de cela, en toute honnêteté. Et pour être juste, j'étais toujours invité aux fêtes huppées. Mais pourquoi voudrais-je passer la soirée habillé comme l'homme du Monopoly, arborant un faux sourire, pour finalement être mélangé à la foule avant de revenir à l'hôtel après 20 minutes ?"

"C'était donc toujours un pari plus sûr de rester au calme et de traîner avec des gens à qui je faisais réellement attention. Cependant, plus vous passez de temps seul dans un monde comme la Formule 1, plus vous êtes mis à l'écart. Surtout dans un environnement où il y a autant de groupes. Me recentrer sur moi-même a eu cet effet. J'avais souvent l'impression d'être la seule personne dans le paddock. Pas une seconde ne passait sans que je pense à ma famille et à mes amis, à quel point ils me manquaient et à quel point j'avais besoin d'eux. En F1, j'étais un fantôme. De fait, j'en suis presque devenu un."

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Les entreprises et les plus grands sports s'assurent aujourd'hui que la santé mentale de leurs employés soit bien plus surveillée, et ils comprennent qu'ils ne peuvent pas attendre de leur staff qu'ils fassent le travail et se taisent, avec ce que leur fait la F1. Mais la mission n'est pas encore accomplie et Movember sait que le sport de haut niveau, en particulier celui qui implique 20 déplacements à l'étranger par an, applique une pression bien plus importante sur les personnes qui y travaillent, que sur des employés vivant une vie plus normale.

"Traditionnellement, les hommes sont censés être plus forts et ne pas montrer de signes de faiblesse, et ils entendent qu'à un tel niveau, il faut garder ses émotions pour soi. Cette perspective est d'autant plus mise en relief dans le monde du sport", explique Dan Cooper, le porte-parole de Movember pour son activité Formule 1. "La F1 est un sport d'équipe et il y a beaucoup de personnes qui sont sous pression et sacrifient beaucoup, sur un plan personnel. Oui, elles font un travail qu'elles ont probablement toujours rêvé de faire, mais une partie de cette pression peut parfois avoir un effet négatif."

Movember voit sa relation avec la F1 sous deux angles différents, avec la possibilité d'offrir de l'aide à ceux qui en auraient besoin, tout en utilisant la visibilité de la discipline pour susciter une prise de conscience de ces problèmes auprès d'un public plus vaste. La fondation installe des barbiers dans le paddock et dans le Paddock Club (après tout, c'est le meilleur endroit pour qu'un homme discute de ses problèmes) et elle a reçu l'aide des équipes et des pilotes pour ses actions de charité. L'objectif est de faire parler ceux qui ressentent trop la pression, mais également que chacun vérifie comment son ami ou son collègue se sent.

"Movember cherche à parler aux hommes dans une langue qu'ils comprennent, en essayant d'aller où ils se trouvent", poursuit Cooper. "Pour faire cela, il faut que notre marque soit authentique, et c'est ce que nous faisons. Nous savons que les hommes ne vont pas toujours venir voir une de nos permanences sur les Grands Prix et demander des informations. Nous savons que ça ne fonctionne pas, car les hommes meurent six ans plus tôt qu'ils ne le devraient pour des raisons qu'il est possible de prévenir. Nous savons que s'ils peuvent s'ouvrir et avoir des discussions dans un espace confortable, avec des personnes qui appartiennent à leur réseau ou qui ont leur confiance, nous pouvons vraiment aider à changer les choses, sauver des vies et faire évoluer ces statistiques."

Les équipes sont de plus en plus conscientes de ce qui doit être fait pour aider et protéger leurs employés. Le team manager de Haas, Peter Crolla, pense que la nouvelle génération de travailleurs en F1 sera plus apte à demander de l'aide, plutôt qu'à taire ses problèmes : "C'est difficile, et peu importe quel est votre travail dans une équipe de course, ce n'est pas facile d'être loin de vos amis, de votre famille et de votre maison, et [de gérer] les conflits qui accompagnent [ce problème]. Peu importe à quel point votre équipe fait attention à vous, c'est toujours difficile de devoir se tourner vers une nouvelle vie. Mais je pense que de manière générationnelle, nous commençons doucement à comprendre que nous pouvons discuter et qu'il y a des réseaux de soutien. Que ce soit grâce à votre employeur, grâce à vos amis ou à vos collègues."

"Cette industrie dominée par les hommes et plutôt machiste commence à effectuer son introspection et réalise qu'il n'y a pas besoin d'être ce gars costaud tout le temps, car si vous l'êtes, vous serez vite à bout. C'est probablement quelque chose que les générations précédentes n'ont jamais eu à explorer. Et elles y ont probablement été résistantes. Mais je crois que la majorité des hommes aujourd'hui, quand ils en ont besoin, savent quand parler et vers qui se tourner." 

Les équipes et organisations comme Movember savent que l'écoute est une étape bienvenue pour toute personne de la F1 qui ferait face à des défis, du stress et des difficultés dont personne n'est au courant.

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