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Le maestro qui a ouvert la voie à Schumacher et Hamilton

Juan Manuel Fangio, sans égal sur la piste et en dehors, a été le premier à définir ce qu'était un grand pilote de Formule 1. Nigel Roebuck retrace l'histoire d'un remarquable champion.

Juan Manuel Fangio, Ferrari D50

Juan Manuel Fangio, Ferrari D50

LAT Images

Rétro : Dans l'Histoire des sports méca

Sur deux ou quatre roues, replongez-vous dans l'Histoire des sports mécaniques, celle qui a écrit la légende des hommes et des machines durant des décennies.

La couleur marron de cette réplique n'était pas assez foncée mais peu importe. Le casque de Juan Manuel Fangio offert à Valtteri Bottas pour avoir signé la pole position du Grand Prix du Mexique 2021 était une récompense à savourer. Et Valtteri, qui incarne pourtant à merveille le calme finlandais, en avait la voix qui déraillait en l'acceptant des mains de Jackie Stewart. Preuve que l'aura de Juan Manuel Fangio est encore aujourd'hui gigantesque.

"Le plus grand pilote qui ait jamais existé", avait commenté l'Écossais. De nombreux fans acquiesceront. Un jour, à Interlagos, je l'ai vu tapoter sur l'épaule de Senna. Passablement irrité, Ayrton s'était retourné, avait vu qui était l'auteur de ce geste et, les larmes aux yeux, avait pris dans ses bras celui qu'il considérait comme un dieu parmi les vivants.

Ma première rencontre avec Fangio remonte au Grand Prix de Monaco 1971, au lendemain de la course. À l'extérieur du Rampoldi, un charmant restaurant situé dans la descente de la Place du Casino, il y avait beaucoup d'agitation. Je m'y suis donc aventuré afin de jeter un œil.

L'endroit était rempli de gens du cinéma, et au milieu d'eux, assis tranquillement à une table, se trouvait le grand Juan Manuel. Autour des fourchettes, des couteaux et des voitures miniatures, il était à nouveau impliqué dans des batailles, cette fois-ci pour un biopic à venir. J'étais fasciné, et il a dû le remarquer car, au moment d'une pause dans le tournage, il m'a fait signe de venir.

Qui ça ? Moi ? Après avoir repris mes esprits, je lui ai fait comprendre que j'étais un journaliste nouveau dans le milieu. Et avant de se serrer la main, nous avons échangé nos cartes de visite. Par la suite, de manière remarquable, il n'a jamais oublié mon nom, même s'il utilisait une tournure espagnole en m'appelant "Niguel". J'étais sur un nuage en quittant le Rampoldi.

Jackie Stewart offre à Valtteri Bottas le casque de Fangio après les qualifications du GP du Mexique 2021

Jackie Stewart offre à Valtteri Bottas le casque de Fangio après les qualifications du GP du Mexique 2021

J'ai eu la chance de revoir Fangio à plusieurs reprises lors des années qui ont suivi. Mais je n'ai pu l'interviewer qu'une seule fois. En 1979, en juillet, il s'est rendu en Angleterre pour piloter une Mercedes W125. C'était à l'occasion du Gunnar Nilsson Memorial, à Donington. Nous nous étions vus le dimanche matin, au mythique Steering Wheel Club de Curzon Street.

Comme toujours, le maestro silencieux, qui avait 68 ans à l'époque, était incroyablement charmant. Il m'a tout d'abord présenté à son interprète, une séduisante Espagnole. Très clairement, cela ne lui avait pas échappé non plus. Sa compagnie était aussi très amusante et elle a parfaitement rendu justice aux nuances de ses anecdotes.

S'est ensuivi un moment où je parlais des équipiers et des stratégies mises en place par les pilotes pour obtenir un traitement préférentiel. Fangio a éclaté de rire. Rien de nouveau sous le soleil.

"À Monza, en 1953, il y avait de terribles vibrations sur ma Maserati pendant les essais et on ne pouvait pas régler ce problème", a-t-il précisé. "Dans toutes les équipes où j'ai couru, j'ai fait en sorte d'avoir les mécaniciens de mon côté. Tout ce que j'empochais, les gars avaient 10%."

"La nuit précédant la course, je me suis encore plaint des vibrations. Le dimanche, elles avaient subitement disparu, et j'ai gagné ! Je ne sais pas comment ils sont parvenus à résoudre le problème. Mais je me rappelle que pendant cette course, [Felice] Bonetto [équipier de Fangio, ndlr] en avait perdu ses dents…", a-t-il ajouté, le regard malicieux.

Chaque grand pilote connaît dans sa vie un moment de grâce, et celui de Fangio est arrivé au Grand Prix d'Allemagne, en 1957. Un long arrêt au stand l'avait contraint à prendre en chasse les Ferrari de Mike Hawthorn et Peter Collins sur le terrifiant Nürburgring. Il en a profité pour améliorer son propre record de 24 secondes. S'il s'agit de la meilleure performance de sa carrière, beaucoup conviendront qu'il n'y en a pas eu de meilleure et qu'il n'y en aura jamais.

La victoire de Fangio au GP d'Allemagne 1957 est souvent citée comme l'un des plus beaux pilotages de l'Histoire

La victoire de Fangio au GP d'Allemagne 1957 est souvent citée comme l'un des plus beaux pilotages de l'Histoire

L'Argentin s'est souvenu de cette journée : "Même aujourd'hui, 20 ans après, je ressens de la peur quand je pense à cette course. J'aimais le Nürburgring, plus que tout autre circuit, et je crois que ce jour-là, je l'ai conquis. Mais un autre jour, peut-être qu'il m'aurait conquis moi. L'année suivante, Collins y est mort..."

"J'avais une étrange sensation après la course. Je n'avais jamais piloté comme ça auparavant et je savais que jamais je ne piloterais de la sorte à nouveau. Ma Maserati n'était pas très puissante mais elle était sublime à conduire. Je sentais que je pouvais lui faire faire n'importe quoi. Tout le monde dit que c'est ma plus belle course, et ils ont raison."

Et sa pire course alors ? Juan Manuel a levé le yeux au ciel avant de répondre : "Oh, le Grand Prix d'Argentine en 1955, parce que la chaleur était insoutenable. Il y avait des pilotes qui rentraient volontairement au stand, qui s'écroulaient. Je me sentais aussi mal qu'eux mais je m'en suis sorti en imaginant que j'étais empêtré dans la neige jusqu'à la ceinture…"

Finalement, Fangio a pris la décision de raccrocher le volant fin 1957, alors qu'il venait d'être couronné pour la cinquième fois. "J'avais 46 ans et j'étais très fatigué après toutes ces années à courir et à voyager. J'ai aimé être un pilote de Grand Prix mais cela ne m'a pas manqué. De grands sacrifices avaient été nécessaires pour rester au sommet."

"Pendant ma carrière, une trentaine de pilotes ont péri. Même si je n'ai pas laissé cela m'influencer, ma tristesse grandissait à chaque fois. La course est si belle lorsque l'on est plein d'enthousiasme, mais quand elle se transforme en travail, il est temps d'arrêter. Fin 1957, c'était devenu un travail..."

Vingt-quatre heures après notre rencontre, Fangio s'est installé dans la Mercedes à Donington. Il n'avait pas eu le temps de se familiariser avec ce monstre et son moteur 5,6 litres et a écrasé la pédale d'accélérateur un peu trop tôt à la chicane, à la fin de son premier tour.

L'arrière a soudainement décroché, ce qui nous a momentanément coupé le souffle, craignant de voir le maestro se ridiculiser. En réalité, il était inutile de s'inquiéter. Avant même de pouvoir cligner des yeux, la glissade a été contrôlée et le pied était déjà revenu sur l'accélérateur. Près de moi sur le muret des stands, Dan Gurney et Mario Andretti hurlaient comme de jeunes écoliers. Le vieux avait toujours "le truc".

Fangio n'a jamais perdu son coup de volant, illustré ici sur le chemin de la victoire au GP de France 1957

Fangio n'a jamais perdu son coup de volant, illustré ici sur le chemin de la victoire au GP de France 1957

Le dernier départ de Fangio a été pris à Reims, en 1958, principalement comme faveur accordée aux gens de Maserati, qu'il aimait tant.

"J'avais beaucoup de temps pour réfléchir lors de cette course, Reims était principalement composé de lignes droites, et j'ai pensé à ma carrière. J'étais arrivé en Europe pour ne disputer qu'une seule saison à l'origine. Jamais je ne me suis attendu à remporter une course. Au final, je suis resté dix ans et j'ai gagné cinq Championnats du monde !"

"Désormais, je me demandais ce que je faisais là et j'ai compris qu'il était l'heure de me consacrer au reste de ma vie. Quand j'ai arrêté de courir, on m'a nommé président de Mercedes-Benz Argentine, moi, un gars d'une petite ville..."

Juan Manuel Fangio, un pilote colossal, un homme modeste et gentleman charmant.

Fangio remporta son cinquième et dernier titre en 1957 avec quatre victoires, dont le GP de Monaco

Fangio remporta son cinquième et dernier titre en 1957 avec quatre victoires, dont le GP de Monaco

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