Contenu spécial

Les trois exemples à suivre si Ferrari veut retrouver les sommets

Ingénieur passé par Ferrari, Red Bull et McLaren, Rodi Basso a été acteur et témoin privilégié de la quête du succès en Formule 1. Fort de son expérience, il évoque ce que, selon lui, la Scuderia doit faire pour renouer avec les sommets.

Le vainqueur Charles Leclerc, Ferrari fête sa victoire sur le podium avec du champagne

Photo de: Simon Galloway / Motorsport Images

Dans l'histoire de la course automobile, Ferrari et la Formule 1 ont toujours semblé être les deux faces d'une même médaille. Ce qu'ils ont réalisé a inspiré et changé de nombreuses vies, y compris la mienne. C'était un privilège de débuter ma carrière là-bas (en 2000), et j'y ai appris tout le potentiel de cette plateforme marketing et technologique. J'ai été incroyablement chanceux de commencer à travailler dans une entreprise telle que Ferrari, où j'ai pu apprécier et apprendre à quoi ressemble l'excellence humaine, stratégique et opérationnelle.

Mais ce n'est pas seulement une question de technologie et de business. La F1 est avant tout un sport et un divertissement. Et c'est pour cette raison importante qu'il faut garantir un roulement assez équilibré entre les vainqueurs.

Il existe des leviers actifs et passifs pour changer la destinée d'un championnat. Le premier est de modifier les règles, et c'est ce qui arrive lorsque le législateur met au défi les ingénieurs et les pilotes avec de nouveaux concepts et références techniques, éventuellement alignés avec l'évolution de l'automobile de série. Le second levier se réfère à l'évolution naturelle au sein des équipes, où le bon équilibre entre leadership et expertise peut faire toute la différence entre boire du champagne sur le podium ou boire un simple jus d'orange dans l'avion du retour.

Allons à l'essentiel. Le dernier titre mondial de Ferrari remonte à 2008, sous la houlette de Stefano Domenicali. Que faut-il pour que le prochain titre arrive, et quand cela se produira-t-il ?

En 2000, j'ai commencé à travailler dans une équipe couronnée de succès, mais ceux qui étaient là auparavant m'ont toujours rappelé le chemin à suivre pour atteindre cette réussite. Ils m'ont raconté des histoires fascinantes et en ont montré fièrement les cicatrices. Au début des années 1990, la Scuderia Ferrari était complètement perdue (demandez à Alain Prost). Puis Jean Todt est arrivé, et l'on m'a raconté qu'il avait passé énormément de temps avec les employés dans les garages, à l'usine, à la production, et dans toutes les fonctions de l'équipe.

À cette époque, Ferrari était une équipe disloquée et divisée, avec une contre-productive culture de la culpabilité qui paralysait toute tentative de changer de direction. Chaque département essayait de faire le minimum syndical, de minimiser les risques et d'être aussi conservateur que possible afin de ne pas être désigné coupable des problèmes rencontrés.

Au cours des années 1996 et 1997 sont arrivés Michael Schumacher, Ross Brawn et Rory Byrne en provenance de Benetton. Ils ont passé une première phase à comprendre les subtilités de la culture italienne, puis ils ont ont lancé la révolution en faisant venir de nouvelles personnes, en proposant des solutions, et en faisant la promotion d'une vision qui n'était pas seulement centrée sur l'ingénierie, mais aussi sur l'approche humaine capable d'agir comme un ciment.

Je n'oublierai jamais le jour où Ross nous a demandé d'imaginer la voiture au milieu de la salle de réunion, et de faire l'effort de s'atteler à deux tâches. La première était de comprendre comment chaque département pouvait contribuer à gagner du temps au tour. Si chaque département pouvait trouver un dixième de seconde, on arrivait à une seconde pleine en additionnant toutes les contributions.

Le second défi était de comprendre comment chaque département pouvait aider à régler les problèmes des autres composants avec lesquels il avait une interface. Ça m'a toujours fait penser aux instructions que l'on entend avant de décoller dans un avion : en cas d'urgence, mettez d'abord le masque, puis vous pouvez regarder s'il vous est possible d'aider autour de vous. C'est ça, le leadership.

Lorsque j'ai rejoint Red Bull en décembre 2005, c'était en quelque sorte une nouvelle écurie bâtie sur l'héritage de Jaguar. C'était une nouvelle opportunité de voir de mes propres yeux ce qu'il fallait pour construire une structure capable de gagner, et je peux à mon tour arborer fièrement quelques cicatrices aujourd'hui. Christian Horner et Adrian Newey menaient le projet. Il leur a fallu environ un an pour comprendre la culture et ce qui pouvait être sauvé. Puis, eux aussi ont commencé à recruter des gens dans toutes les écuries (surtout Renault), ce qui a transformé cette expérience en aventure incroyable pour apprendre toutes les approches possibles de conception, de production et d'ingénierie nécessaires à l'exploitation d'une F1.

L'arrivée de nouvelles recrues génère un regain d'énergie et fait disparaître les divisions habituelles, ou les vieilles expressions telles que "Nous avons toujours fait ça comme ça", qui tuent toute chance de podium. Cela favorise également l'état d'esprit qui consiste à réécrire l'histoire du sport par le biais d'un travail acharné et d'une quête de l'excellence.

Dans ma vie, j'ai également eu la chance d'être suffisamment proche de l'écurie McLaren, quand je dirigeais la branche sportive de sa filiale Applied Technologies. Quand j'ai rejoint le groupe en 2016, l'équipe n'était pas dans une forme brillante. Le processus d'innovation était très vertical et complexe. La pression sur les résultats a entraîné une culture du reproche croissante. Honda venait de faire son retour en F1 et la pente de sa courbe d'apprentissage n'a certainement pas aidé l'écurie. Zak Brown est arrivé pour attirer les sponsors et faire de nombreux changements au niveau du management technique, recrutant notamment Andreas Seidl pour diriger l'équipe.

Tous les deux ont travaillé pour restaurer l'esprit d'équipe et simplifier l'organisation en supprimant la stupide structure matricielle. Ainsi la clarté des rôles et des responsabilités a été retrouvée, et chaque employé pouvait de nouveau apporter sa contribution à l'ensemble. Il a fallu trois ans pour voir les bénéfices et les résultats de ces changements.

Il est important de souligner que j'ai rencontré des gens incroyables durant ma carrière en sport automobile, et la plupart d'entre eux peuvent être performants en fonction des conditions de travail et de la culture d'une équipe. C'est dû au besoin de cette alchimie spécifique.

Les points communs entre ces stratégies de redressement réussies sont : la compréhension de la culture du moment ; le recrutement de nouvelles têtes avec une réputation établie en sport automobile ; et la création du bon environnement pour que leadership et organisation travaillent bien ensemble. En plus de ça, toutes les équipes que j'ai mentionnées avaient une priorité claire : gagner des courses pour promouvoir une marque.

L'un des principaux défis pour Ferrari est de voir son groupe prospérer en bourse. Sergio Marchionne est parvenu à détacher les succès en piste de ceux obtenus sur le marché économique. Il a également réduit les coûts fixes de l'écurie en embauchant à des postes importants soit des employés du secteur automobile, soit des ingénieurs sans grande réputation. Aujourd'hui, la stratégie #essereFerrari (être Ferrari) rappelle le dilemme d'Hamlet : être ou ne pas être engagé pour gagner ?

C'est ce dont Mattia Binotto a hérité et qui ne lui facilite pas la vie. Aura-t-il l'autonomie pour suivre le plan de redressement qu'il connaît bien afin de jouer le titre ? Pour lui et pour les tifosi, je souhaite que ce soit le cas. Avec la mise en garde qu'ils devront patienter encore trois à cinq ans, le temps nécessaire avant de fêter le résultat de changements dans l'équipe, de l'implication du conseil d'administration, et du travail efficace. Les rumeurs évoquant la volonté de Philip Morris de ne pas renouveler son accord de sponsoring au-delà de 2021 ne rendent cette tâche que plus difficile.

Enzo Ferrari avait l'habitude de dire : "Beaucoup de gens aiment les voitures, mais peut-être n'ai-je jamais trouvé quelqu'un avec ma persévérance, et animé par une passion si dominante dans la vie. Je n'ai pas d'autre intérêt que les voitures de course."

Forza Ferrari.

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent Vettel : "On m'oubliera très vite, et je trouve ça sain"
Article suivant Renault va avancer des évolutions 2023 à cause du gel moteur

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France