Opinion

Le jeu dangereux de la FIA sur l'aéro 2021

Face aux problèmes pneumatiques qui pourraient encore s'aggraver en 2021, la FIA a fait le choix d'imposer une réduction de l'aéro pour raisons de sécurité. Mais l'instance dirigeante s'est embarquée sur un chemin très glissant qui pourrait en fin de compte mettre tout le monde en difficulté...

Carlos Sainz Jr., McLaren MCL35, rentre au stand avec une crevaison

Photo de: Andy Hone / Motorsport Images

Pirelli est souvent brocardé. Il faut dire que la communication du manufacturier italien est parfois contre-productive et peut laisser un sentiment étrange. Mais une chose que ne manque jamais de rappeler la firme à raison, c'est bien qu'elle est en grande partie tributaire des choix du monde de la Formule 1 pour décider de la manière de concevoir ses gommes. Et les prochains mois ne démentiront pas cela.

Comment démolir plusieurs mois de travail

Retour en 2019. Fin juillet, Pirelli a déjà largement entamé la phase de développement des pneus qui doivent servir pour 2020 et effectué la plupart des tests prévus avec les F1 de la saison en cours. Il ne reste en fait qu'une seule séance d'essais, début septembre, avant la finalisation du produit. Ce dernier doit avoir deux caractéristiques principales, tel que demandé par la discipline reine et ses acteurs : limiter la surchauffe et agrandir la fenêtre de fonctionnement.

Arrive alors, au cœur de l'été, suite notamment au GP de Grande-Bretagne 2019, une nouvelle lettre d'intention de la FIA et de Liberty Media qui ajoute au dernier moment un ingrédient de taille : que les pneus aient également une faible dégradation. Pirelli ne manque pas de souligner que cette nouvelle demande est pour le moins tardive mais se plie aux exigences.

Pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions, de nouveaux tests doivent être organisés en urgence et la date de validation définitive des pneus est repoussée. Lorsque le "nouveau nouveau" produit est utilisé par la première fois par les écuries à Austin, dans de mauvaises conditions climatiques, les premiers retours sont négatifs. En réalité, le sort de ces pneus 2020 est déjà scellé : malgré les essais d'Abu Dhabi, l'ensemble des écuries les refuse, préférant le maintien des enveloppes 2019 (pourtant elles-mêmes décriées quelques mois auparavant, au point qu'un vote a été organisé... pour revenir aux pneus 2018 !).

D'aucuns ont là aussi, suivant un discours bien huilé de l'ensemble des écuries, tôt fait de tomber sur le travail de Pirelli. La réalité est sans doute bien plus nuancée : que les pneus aient été bons ou pas, le problème venait surtout du profil des pneus arrière, différent par rapport à ceux de 2019. Or, la finalisation des pneus a été tellement retardée suite à la lettre d'intention de juillet que les écuries avaient déjà grandement avancé dans le design des voitures 2020, en s'appuyant sur les gommes existantes, et ne voulaient pas tout revoir.

COVID-19, l'autre élément perturbateur

À l'enchaînement d'événements tout aussi malheureux que prévisible s'est évidemment ajoutée l'irrésistible pandémie de COVID-19 en début d'année 2020. Pour économiser des coûts face aux inévitables crise économique et baisse des revenus, la discipline a décidé de repousser, de façon unanime, l'entrée en vigueur de sa révolution réglementaire de 2021 à 2022. Et donc, avec elle, l'arrivée des pneus 18 pouces.

Or, cela voulait dire une chose : la nécessité de maintenir un an de plus que prévu les pneus 2019 (conçus en 2018 sur la base de monoplaces modifiées, pour rappel). Forcément avec la crainte que les problèmes envisagés pour 2020 ne soient encore plus criants et dangereux en 2021.

Toutefois, le report du règlement 2021 s'est accompagné d'autres mesures de réduction des coûts, avec le gel partiel du châssis et le gel des moteurs. Des mesures qui jouaient également en faveur des pneus : en limitant grandement l'évolution des monoplaces entre 2020 et 2021 et donc l'augmentation de leur vitesse en virages, les charges imposées aux gommes allaient augmenter de façon plus raisonnable.

En plus de cela, un découpage du fond plat devant les pneus arrière était décidé, afin de contenir l'augmentation de l'appui et d'aider les pneus à mieux supporter les contraintes. Et enfin, des tests étaient prévus, à Silverstone et à Barcelone, pour éventuellement modifier les constructions des gommes en vue de 2021.

Plus dur que prévu

Pour 2020, au moins, Pirelli pensait également avoir une arme pour contrebalancer la hausse des performances des monoplaces : l'augmentation des pressions pneumatiques. Celle-ci permet de rendre la structure du pneu plus résistante, ce qui est utile lorsque l'usure a retiré une partie de la gomme, au prix d'une surchauffe plus ou moins importante et d'un risque de cloquage, qui est souvent plus impressionnant que véritablement handicapant, à la surface. 

C'est alors qu'est arrivé Silverstone. Les tracés du Red Bull Ring et du Hungaroring n'ont pas permis de déceler de véritables problèmes : certes les F1 2020 sont plus rapides que leurs devancières, mais tout paraissait encore maîtrisable.

Mais sur la piste britannique, la course a démontré que les contraintes répétées sur des relais relativement longs fragilisaient suffisamment le pneu pour qu'il crève presque sans prévenir, avec la fin de course aussi spectaculaire pour les observateurs qu'embarrassante pour le manufacturier que l'on a connu au GP de Grande-Bretagne.

Dans les jours qui suivent, c'est le branle-bas de combat : Pirelli enquête et rehausse très fortement les pressions pneumatiques pour les pneus plus tendres du GP du 70e Anniversaire. Problème : cette fois, beaucoup d'équipes souffrent d'une surchauffe assez importante et de cloquage. Aussi, les tests de pneus prototypes pour 2021, qui devaient se tenir à Silverstone puis Barcelone, sont reportés sine die.

L'étonnant statu quo

Du côté de la FIA, on se rend évidemment compte que le découpage du fond plat en 2021 ne suffira pas. Dans la lettre de Peter Bayer, secrétaire général aux sports mécaniques de la FIA, celle-la même qui a annoncé la fin des modes moteurs qualifs, la fédération fait part de son intention de réduire plus encore l'appui des F1, imposant ces mesures supplémentaires pour des raisons de sécurité comme elle en a le droit et la prérogative.

Mais dans cette lettre, une phrase étonne quelque peu : "Nous sommes reconnaissants du soutien que nous avons reçu de Pirelli en tant que discipline et notons que nous leur avons demandé de continuer à fournir les mêmes spécifications de pneus pour une troisième saison consécutive."

Alors même que Pirelli a fait part de sa volonté de pouvoir bénéficier de tests pour évaluer des prototypes pour 2021, alors même que des modifications aéro sur l'ensemble des monoplaces sont décidées pour des raisons de sécurité afin de tenter de ralentir les progrès des écuries, la FIA préfère le statu quo sur le plan des pneus proposés. 

Cette dernière a pourtant fait preuve d'un regain d'autorité ces dernières semaines, sans doute motivée en cela par le rééquilibrage relatif du rapport de force dans les nouveaux Accords Concorde. Et il est assez frappant de voir qu'une des premières mesures notables dans cette phase a été de limiter les modes moteur de qualifications, une pratique qui n'a jamais vraiment posé de problème et qui a cours depuis longtemps. Mais sur la question des pneus, rien n'est imposé à personne, si ce n'est l'immobilisme alors même que les craintes se sont matérialisées devant nos yeux.

Au carrefour des nécessités

Sur le plan des pneus cependant, la fédération joue dans une zone complexe. La question de la sécurité est évidemment primordiale, mais regarder la situation à travers ce seul prisme n'offre qu'une vision biaisée. La réalité est que la sécurité est une variable parmi d'autres. 

Il suffit pour cela de lire ce qu'a déclaré Nikolas Tombazis, responsable technique monoplace de la FIA, au sujet des changements prévus : "Nos critères de sélection des zones dans lesquelles nous effectuons des modifications impliquent également des considérations de coûts, en particulier pour les petites équipes. Comme vous pouvez le voir, nous ne changeons rien à l'avant de la voiture, car si vous changez ne serait-ce qu'une petite chose sur l'aileron avant, cela peut avoir un effet domino sur le reste de la voiture."

"Et par exemple, le découpage du fond plat que nous avions déjà appliqué affecte les écopes de frein arrière, et donc l'écope de frein arrière étant rendue un peu plus étroite, ils doivent en refaire une de toute façon, et donc cela maintient les coûts et le montant de la ré-optimisation à des niveaux plus ou moins raisonnables."

L'exigence de sécurité est déjà forcément amoindrie par la prise en compte de la question des coûts. Dans notre contexte, celui d'une crise sanitaire mondiale qui se double d'une crise économique dont les effets vont mettre du temps à s'estomper, ainsi que dans le contexte d'une F1 où les revenus vont être sérieusement atteints, il est tout bonnement impossible d'éluder cette question, d'autant que la réglementation est grandement gelée justement pour ne pas contraindre les petites écuries à dépenser de l'argent qu'elles n'ont pas.

Malgré tout, on insistera sur le fait que malgré le contexte économique, Pirelli souhaitait (et souhaite toujours) travailler sur des pneus 13 pouces modifiés, sans doute conscient du risque en termes d'image de la reproduction d'une situation similaire à celle de Silverstone.

Dernier paramètre à prendre en compte : la réduction de l'appui est également un moyen de réduire l'avantage des monoplaces qui en ont beaucoup. D'aucuns ont vu dans l'interdiction des modes moteur qualifs une mesure "anti-Mercedes" mais insister sur la réduction de l'appui, alors que la W11 est sans doute une des voitures les plus chargées aérodynamiquement, pourrait ne pas sembler totalement fortuit...

Tout miser sur une science inexacte

La véritable problématique de cette situation, c'est qu'elle va faire appel aux mêmes acteurs, (a priori) aux mêmes pneus et (normalement) aux mêmes circuits. Et, en réalité, du fait du choix de la FIA de ne pas pousser pour des pneus 2021 modifiés mais de "tout miser" sur une réduction de l'appui, tout va finalement reposer sur la réalité de la matérialisation de la réduction de l'appui. Une "science inexacte" selon les propres mots de Tombazis.

"Nous pensons que la somme de ces changements représente environ 4 à 5% de l'appui total des voitures", expliquait-il au sujet des derniers changements décidés. "Et bien sûr, nous avons fait cette coupe diagonale sur le bord du fond plat dès le mois de mai."

"Au total, je pense que nous nous attendons à une réduction [d'appui] d'environ 10%. Et il est clair que les équipes vont gagner environ 4-5% grâce à leur développement normal. C'est clairement une science inexacte, parce que nous ne savons pas ce que les équipes trouveront en performance, et nous ne connaissons pas les effets exacts, mais ce sont des estimations."

Le gel partiel des châssis s'accompagne pour les écuries (et pour éviter de totalement figer la hiérarchie) de la possibilité de recourir à deux jetons pour développer deux zones distinctes des monoplaces. Comment être totalement sûr qu'elles ne parviendront pas, tout en optimisant des éléments logiciels sur la partie électronique de la voiture, à faire mieux que les estimations rarement précises des instances ?

Il n'y a absolument aucun moyen d'en être sûr et on se demande alors pourquoi la FIA ne choisit pas d'imposer, en plus, des tests Pirelli et une modification des pneus pour assurer que les enveloppes 2021 auront une meilleure résistance. C'est le jeu dangereux auquel les instances ont décidé de jouer, et personne ne sait vraiment s'il en vaudra la chandelle.

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