Frank Dernie s'inquiète du gaspillage en F1
Frank Dernie a été le directeur technique de plusieurs équipes de Formule 1. Il jette un regard critique sur les coûts de la F1 actuelle et la taille monstrueuse des écuries.
Photo de: Daimler AG
Ingénieur britannique âgé de 67 ans, Frank Dernie n’a pas la langue dans sa poche. Il a toujours exprimé sa pensée, et cela ne lui a pas fait que des amis dans le paddock.
Il possède une expérience formidable de la F1. Il a étudié l’ingénierie mécanique au prestigieux Imperial College London. Ayant aussi étudié la programmation informatique, il a été le premier à développer un logiciel d’optimisation de design de suspension d’une voiture de compétition.
Il a commencé sa carrière en Formule 1 chez March avant de suivre son mentor, Harvey Postlethwaite, chez Hesketh. Par la suite, il a été directeur technique et consultant en F1 chez Williams, Lotus, Ligier, Benetton et Toyota.
Un hausse des coûts pharamineuse
À l’aube d’une nouvelle saison de F1, nous avons discuté avec lui. Ses trois décennies passées en Grand Prix lui procurent une vision unique de la progression effrénée de la F1 et de ses budgets alors que les règles sont devenues extrêmement restrictives. Pour vous donner un aperçu de cette augmentation des coûts, sachez qu’en 1977, l’écurie Wolf ne disposait que de 530’000£ [ce qui équivaut approximativement à 3,4 millions d’euros en valeur de monnaie actuelle] pour concevoir et fabriquer trois exemplaires de la WR1, participer aux Grands Prix, et payer son pilote, Jody Scheckter !
"Quand j’ai commencé en Formule 1 chez Hesketh Racing au milieu des années 70, nous n’étions que 18 employés au total. Quand nous nous déplacions sur les circuits, nous n’étions que huit personnes. Quand j’ai rejoint Williams à la fin de la saison 1978, j’étais l’employé numéro 23. Je crois que Williams emploie 700 personnes aujourd’hui", raconte-t-il à Motorsport.com.
"À cette époque, tout, ou à peu près, était permis en F1, mais nous ne disposions pas des ressources financières pour tout faire. Il fallait donc effectuer des choix techniques. Une des grandes qualités d’un designer, ou d’un directeur technique, était de distinguer les innovations qui allaient assurément générer des différences majeures", ajoute-t-il.
Il affirme que cette faculté s’est étiolée avec le temps, un phénomène accentué par le fait que les écuries modernes nagent littéralement dans l’argent.
"Maintenant, si un ingénieur affirme ‘je crois que nous pouvons réduire la traînée en ajoutant une rangée de cannelures sur le volet supérieur de l’aileron arrière’, l’écurie le fera, même si cela coûte des dizaines de milliers d’euros et que le gain est vraiment infime. Il n’est plus nécessaire de faire des choix techniques, car les équipes disposent de budgets pharamineux et qu’elles peuvent tester toutes les solutions imaginées par leur staff technique. En fait, le règlement technique est devenu si restrictif que les équipes vont tout essayer, même si cela ne procure qu’un gain négligeable. Les écuries vont dépenser tout l’argent, chaque centime, dont elles disposent."
Changere le règlement technique ne fera rien
Selon Dernie, croire que restreindre encore plus le règlement technique afin d’interdire certaines technologies fort coûteuses ne changera rien.
"Cela ne fera pas diminuer le budget des écuries. L’argent sera dépensé ailleurs. Si le règlement technique déterminait les coûts de courir en F1, alors les voitures de F1 les plus chères auraient été produites en 1982. Car à cette époque, tout était permis : effet de sol, énormes tunnels venturi dans les pontons, jupes, traction intégrale, moteurs turbo et rotatif, voitures à six roues, suspension active, ABS, etc. La seule raison qui explique pourquoi nous n’avons pas créé ces voitures est que nous n’avions pas l’argent pour le faire", analyse l’ingénieur à la retraite.
"Chaque écurie avait sa spécialité. Lotus travaillait sur sa suspension active, Ferrari bossait sur son moteur tandis que nous, chez Williams, exploitions l’aérodynamique. Le coût de production d’une voiture de F1 dépend directement du budget alloué par le département de marketing. Point final", ajoute-t-il.
Dernie termine en soulignant que l’argent ne procure pas nécessairement de bons résultats, des points ou des victoires. Il ajoute même que cette idée préconçue selon laquelle "les courses de F1 étaient meilleures dans le passé" n’est pas fondée.
"Au final, un changement au règlement technique ne peut pas combler la différence entre une bonne ingénierie et une mauvaise. L’objectif de toute écurie de F1 est d’être plus rusée que les autres", raconte-t-il. "Ça a toujours été ainsi. L’écart entre les performances des voitures était beaucoup plus grand dans le passé. Durant les années 50, si vous ne pilotiez pas une Mercedes, vous terminiez la course avec deux tours de retard, et non pas 14 secondes comme aujourd’hui. L’écart qui sépare les six premières voitures est incroyablement serré maintenant. Mais comme dans les années 50, si la voiture la plus rapide ne casse pas durant la course, eh bien elle gagne. Le problème est que les voitures actuelles cassent rarement, d’où une certaine domination", conclut-il.
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