Le Portugal, terre de spectacle pour la F1

Le retour du Grand Prix du Portugal me donne la chair de poule. En 1985, je regardais à la télévision Ayrton Senna décrocher sa première victoire en F1 à Estoril, à un moment où j'étais en train de prendre des décisions difficiles pour mon propre avenir. L'espace de deux heures, je me suis perdu dans la magie de son pilotage par des conditions humides épouvantables, ravi de voir Lotus gagner pour la première fois depuis 1982.

Trois ans plus tard, je participais à une course annexe de l'édition 1988 du Grand Prix. Rapide et difficile, Estoril était un circuit fabuleux pour piloter. Cette année-là, un événement clé s'est produit autour des relations entre Senna et Alain Prost, alors qu'ils étaient coéquipiers chez McLaren pour la première fois. Fait inhabituel, Prost s'était qualifié devant Senna. Mais le Brésilien était déterminé au départ, encouragé par un public qui parlait la même langue que lui. Côte à côte au premier virage, Senna s'engagea et Prost dût céder. Puis il y eut un drapeau rouge, la course reprit, et Senna prit à nouveau l'avantage dans un style très agressif.

Tout le monde s'attendait à ce qu'Ayrton s'échappe, mais Prost voyait les choses autrement. Alors que les deux hommes abordaient la ligne droite principale, le Français prit l'aspiration avant de se porter à ses côtés. La réaction de Senna fut de le tasser vers le muret des stands : c'était à couper le souffle, et les mécaniciens avaient dû retirer les panneaux du muret pour éviter le contact. Prost resta concentré, s'empara de la tête de la course et décrocha la victoire. Mais après coup, il était toujours en colère contre les manœuvres de Senna : "Si Ayrton veut le titre à ce point, il peut l'avoir. C'était inacceptable." Jusqu'à cette course, les relations entre les deux hommes étaient tendues mais sous contrôle. Dès lors, ce fut un conflit ouvert, comme nous le savons tous, avec de nombreux épisodes.

Pourtant, ce qui m'a frappé ce jour-là en regardant la course depuis le toit d'un camion dans le paddock annexe, ce fut la fantastique deuxième place décrochée par Ivan Capelli au volant de la March Leyton House. Première F1 conçue par Adrian Newey, cette monoplace était propulsée par un V8 Judd atmosphérique, contrairement aux moteurs turbo des McLaren et des Ferrari. Capelli était toutefois parvenu à se qualifier troisième, devant la Ferrari de Gerhard Berger. En course, il avait réussi à doubler Senna, qui s'était retrouvé en délicatesse avec sa consommation de carburant. C'était un résultat stupéfiant pour une petite équipe, et le premier aperçu des prouesses techniques dont était capable Newey, toujours impliqué aujourd'hui chez Red Bull. Ivan n'est monté sur le podium qu'à trois reprises en 93 Grands Prix, et ce fut un privilège d'assister à l'un d'entre eux.

D'autres moments importants ont marqué l'histoire de la F1 au Portugal. En 1984, Prost y remporta l'ultime Grand Prix de la saison mais Niki Lauda fut sacré pour un demi-point. Dans les rues de Porto en 1958, Stirling Moss s'était défendu mais avait perdu le titre face à Mike Hawthorn. La première année durant laquelle j'ai commenté la F1 sur Eurosport, en 1995, David Coulthard décrocha sa première victoire à Estoril en battant Michael Schumacher. Jacques Villeneuve remplaça Coulthard l'année suivante et s'imposa également en 1996.

Après Estoril, Porto et le parc Monsanto à Lisbonne, l'Autódromo Internacional do Algarve, près de Portimão, devient le quatrième circuit à accueillir un Grand Prix de Formule 1 dans le pays. Il y a des similitudes avec Estoril, car le tracé est un mélange de virages lents et rapides, avec encore plus de dénivelé.

Le pilote portugais Filipe Albuquerque, ancien membre du programme Red Bull et aujourd'hui couronné de succès en ELMS comme en WEC, a couru à Portimão dans une monoplace en avril 2009, dans le championnat A1GP. "Portimão est un circuit compliqué car il y a de nombreux virages à l'aveugle ainsi que des épingles", décrit-il. "Ce n'est pas un circuit plat où l'on connait tous les points de référence. Mais l'on parle des meilleurs pilotes du monde, et ils apprendront vite ! Il sera intéressant de voir comment le nouvel asphalte qui a été posé affectera tout ça. Il est certain que ça aidera la motricité." Au sud-ouest du Portugal, non loin de l'Atlantique, le circuit est ouvert aux vents et ce peut être un facteur. La tribune principale agit comme un brise-vent pour certaines portions, mais provoque également un passage soudain entre abri et rafales pour certaines zones.

Le retour du Grand Prix a en tout cas fait le buzz au Portugal. Là-bas, la F1 est diffusée sur une chaîne payante depuis longtemps, mais maintenant que le pays accueille de nouveau un Grand Prix, la couverture médiatique a été améliorée. "Voir la Formule 1 revenir génère énormément d'intérêt parmi les fans", confirme Albuquerque. "Je me souviens de ces courses à Estoril. Petit, au début des années 90, j'étais un grand fan, puis j'ai commencé le karting en 1992. António Félix da Costa, moi et beaucoup d'autres avons été inspirés par la F1, puis ça s'est un peu évanoui quand ça a disparu. Ce retour donne un coup de fouet à toute la communauté du sport automobile au Portugal."

Les nouveaux circuits du calendrier ont apporté une dimension supplémentaire à la Formule 1 cette année. Le Mugello était spectaculaire, et Portimão a le potentiel pour l'être également.