Ce GP remporté par un pilote qui n'a pas mené un seul tour

Le Grand Prix de Saint-Marin 1985 appartient à l'histoire folklorique de la F1, puisqu'il a connu trois leaders dans les cinq derniers tours, sans qu'aucun d'entre eux ne s'impose. Trente-cinq ans plus tard, le souvenir reste très présent dans l'esprit de Tim Wright, ingénieur d'Alain Prost à l'époque et aujourd'hui consultant technique pour Autosport.

Elio de Angelis, Lotus 97T Renault

Photo de: LAT Images

La deuxième et dernière victoire d'Elio de Angelis en Grand Prix s'est nouée dans des circonstances exceptionnelles et sans que l'Italien ait mené le moindre tour. Ce fut toutefois le fruit d'une leçon qu'il avait retenue de l'édition précédente. Imola était réputé pour être un circuit très gourmand en carburant et la preuve en avait été faite un an plus tôt, quand De Angelis avait sauvé une place sur le podium après avoir été l'un des trois pilotes à tomber en panne d'essence. L'année suivante, il était déterminé à jouer au plus malin.

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Son coéquipier chez Lotus-Renault n'était autre qu'Ayrton Senna, qui venait de remporter une fantastique première victoire en Grand Prix sur le circuit détrempé d'Estoril. Enthousiaste pour la suite, Senna déclarait alors : "Ma voiture est bonne, il y a eu des progrès depuis le Portugal". Un an plus tôt, il avait connu un coup dur à Imola puisque le Grand Prix de Saint-Marin 1984 restera comme le seul pour lequel il ne fut pas en mesure de se qualifier. La faute à une dispute entre son équipe et Pirelli ainsi qu'à un problème moteur.

En 1985, Senna avait terminé en tête des deux journées qualificatives pour décrocher la pole position, se montrant 0"027 plus rapide que la Williams-Honda de Keke Rosberg. Il avait toutefois prévenu : "La pole n'est pas aussi importante à Imola que sur d'autres circuits. Ce sera une course longue et difficile, rude pour les freins et la consommation d'essence." De Angelis était troisième sur la grille, devant la Ferrari de Michele Alboreto, un impressionnant Thierry Boutsen (Arrows-BMW) et Alain Prost (McLaren-TAG).

Ayrton Senna et Alain Prost à la lutte.

Ayrton Senna et Alain Prost à la lutte.

À l'époque, la réglementation de la Formule 1 autorisait des moteurs turbo 1,5 litre qui avaient la capacité d'être les plus puissants – et les plus gourmands – jamais connus par la catégorie reine. Le carburant était strictement limité à 220 litres et les équipes devaient donc tenir compte de leur consommation pour la stratégie de course.

Alors ingénieur de Prost, Tim Wright se souvient : "Même à Adélaïde en 1986, nous avions encore des problèmes avec la mesure de carburant, donc en 1985 tout cela était très nouveau. Bosch développait le système pour connaître exactement la quantité de carburant que nous utilisions et nous savions que ce serait juste à Imola. Toute l'approche de la course consistait à prendre les choses tranquillement et à voir comment ça allait se passer, et nous avions conseillé Alain sur le rythme qu'il devrait maintenir."

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Le warm-up à Imola s'était déroulé sur piste humide, privant les équipes d'un roulage dans les conditions de course et promettant un saut dans l'inconnu pour les protagonistes du Grand Prix.

Le jour de la course, Senna s'élança en tête et imposa un rythme élevé à ses poursuivants. Malgré l'offensive de Prost à mi-course, il dominait l'épreuve et comptait plus de dix secondes d'avance lorsque sa monoplace commença à souffrir d'un manque de carburant, le contraignant à s'immobiliser alors qu'il arrivait en direction du virage de Tosa, à quatre tours de l'arrivée. "C'est dommage car c'était une bonne course", déclara Senna. "Prost était plus rapide que moi en ligne droite, mais à part ça nous étions en bonne forme."

L'incident permit à Stefan Johansson de prendre la tête à bord de sa Ferrari, provoquant l'extase des tifosi alors que le Suédois était parti 15e sur la grille pour son deuxième Grand Prix sous les couleurs de la Scuderia. Mais un problème électronique entraîna une mauvaise information de la jauge de carburant, le contraignant à renoncer après un tour passé aux commandes de la course.

Stefan Johansson au volant de la Ferrari 156/85.

Stefan Johansson au volant de la Ferrari 156/85.

L'abandon de Johansson offrit le leadership à Prost, qui économisait du carburant en passant plus tôt les rapports de boîte dans les derniers tours afin d'aller chercher une victoire facile. C'est du moins ce qu'il pensait ! Dans le tour d'honneur, la monoplace de Prost se retrouva à court de carburant au niveau de la Variante Alta, laissant penser qu'il avait parfaitement géré sa consommation. Néanmoins, la McLaren MP4/2B fut contrôlée après la course et son poids était 2 kg sous la limite minimum (après application de la tolérance de 2 kg).

"La raison pour laquelle la voiture était sous le poids minimum à la fin était peut-être de ma faute", raconte Tim Wright. "Déjà à Rio, quand nous avions pesé la voiture à l'issue de la course, elle était tout pile à la limite. La voiture était légère, [John] Barnard avait fait un superbe travail pour la concevoir à la limite du poids minimum, donc nous savions que ce serait juste. Mais nous n'avions pas pris en compte la perte de fluide et de gomme, car Imola est très abrasif. Nous avons tenté de nous défendre, de dire 'Nous devrions pouvoir ajouter un peu d'eau ou d'huile' et ils ont répondu 'Non, c'est comme ça, vous êtes sous le poids minimum'. Peut-être que s'il était rentré à quelques tours de l'arrivée et avait chaussé des pneus neufs, tout se serait bien passé. Mais c'est comme ça, nous ne pensions pas que ce serait aussi serré. Nous avons fait une erreur de calcul."

Alain Prost au volant de la McLaren MP4/2B.

Alain Prost au volant de la McLaren MP4/2B.

Patrick Tambay ramena Prost vers le paddock en l'embarquant sur le ponton de sa Renault, permettant à son compatriote de rejoindre le podium avant que les commissaires ne découvrent l'infraction qui allait le disqualifier. Prost exclu, De Angelis hérita de la victoire après deux heures durant lesquelles les commissaires s'employèrent à persuader Ron Dennis, patron de McLaren, que la voiture était trop légère pour être conforme. Plus que la réaction de Ron Dennis, Tim Wright se souvient de son échange avec Peter Warr, le team manager de Lotus, lorsqu'ils sont allés aux vérifications.

"Je connaissais Peter Warr depuis la période Fittipaldi, mais je ne peux pas m'enlever de la tête l'image que j'ai de lui, debout, me criant 'Tu as merdé, tu ne sais pas ce que tu fais'. Je ne pouvais pas croire qu'un gars comme ça soit si grossier envers moi devant tous ces gens. Ron était ce genre de gars qui ne vous traîne pas dans la boue pour quelque chose comme ça. C'est un compétiteur, il sait que ces choses-là arrivent et il m'a dit 'Assure-toi que ça ne se reproduise pas'. Barnard était probablement un peu plus énervé que Ron, mais je ne me souviens pas de sa réaction. La chose qui me reste en tête, c'est la manière dont Peter Warr a réagi, ça m'a étonné."

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Deuxième sur la ligne d'arrivée à 38 secondes de Prost, De Angelis refusa toutefois de prendre toute sa part dans la bonne gestion de son carburant. "Le moteur a décidé tout seul de baisser la puissance, ce qui m'a probablement aidé à terminer", confiait-il. "Plus tard, j'ai remonté la puissance et ça allait, mais à la fin j'ai eu un problème de frein pendant les trois derniers tours."

Ce fut la dernière victoire en F1 pour De Angelis, sans avoir mené le moindre tour ! Boutsen fut classé deuxième à un tour, malgré sa panne de carburant, après quoi il avait poussé sa voiture jusqu'à la ligne d'arrivée. Tambay termina troisième devant le Champion du monde en titre Niki Lauda, qui avait connu des problèmes de boîte sur sa McLaren, Nigel Mansell (Williams) et Johansson, qui était le premier classé parmi les autres pilotes ayant manqué de carburant pour rejoindre l'arrivée.

Le podium du GP de Saint-Marin... avant la disqualification de Prost.

Le podium du GP de Saint-Marin... avant la disqualification de Prost.

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