Interview

Grosjean : "Parfois des images vous collent à la peau, ce n'est pas grave"

Avant de rejoindre l'Italie pour mouler son baquet dans les ateliers de Dallara, Romain Grosjean était de passage à Paris, où il a accepté de dresser l'état des lieux avec Motorsport.com alors que l'intersaison touche à sa fin. Au cours de cet entretien exclusif, le Français évoque le travail mené avec Haas pour 2020 mais également son regard sur la Formule 1 d'aujourd'hui.

Romain Grosjean, Haas F1 Team

Photo de: Andrew Hone / Motorsport Images

Romain, la saison 2019 est derrière nous et une nouvelle va s'ouvrir. Dans quel état d'esprit êtes-vous à quelques semaines des premiers essais ?

On est prêts. On attend de voir ce que la voiture vaut en piste. On a tous les chiffres de la soufflerie. Je pense que l'on a pas mal appris de l'an dernier. Maintenant, encore une fois, la seule réponse que l'on aura vraiment c'est quand on aura fait rouler la voiture et vu comment elle se comporte en piste.

Est-ce que tout est dans les temps du côté de Haas ?

On ne fait pas de présentation, on fait juste le lancement. On va se concentrer sur l'essentiel et vraiment avancer le mieux possible, le plus vite possible sur la voiture. On fait ça le premier matin des essais, il fera frais comme d'habitude ! De ce que j'ai entendu, la voiture est dans les temps. Pour le moment tout va bien !

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Le duo de pilotes est inchangé et il y a une grosse continuité. Quel a été l'investissement technique que vous avez apporté ? On a le sentiment qu'il a beaucoup joué dans la décision de Haas de vous conserver ?

Peut-être, je ne sais pas. C'est sûr que dès la course de Barcelone, quand on a amené l'évolution sur la voiture, j'ai tout de suite dit qu'il y avait un problème et qu'elle ne fonctionnait pas. Au Paul Ricard, après les qualifications, je leur ai dit qu'il fallait que l'on arrête de se concentrer sur les pneus car ce n'était pas le problème, il y avait un autre vrai souci sur la voiture. C'est à partir de ce moment-là que les études ont été plus poussées, et on s'est rendu compte qu'il y avait un vrai souci. C'était un problème de corrélation entre la soufflerie et la piste. Ce qui est sûr, c'est que si je n'avais pas dit à Barcelone que l'évolution ne marchait pas, ils auraient continué dans la même direction et cette année ça ne se présenterait pas bien. C'est sûr que ça a été un point positif.

Lors du GP de France 2019 au Paul Ricard.

Lors du GP de France 2019 au Paul Ricard.

Vous avez toujours dit l'an passé que vous étiez moins inquiet pour votre volant qu'en 2018…

L'an dernier, en termes de résultats, oui, la saison est mauvaise, car on avait une voiture qui était mauvaise. Si on prend course par course et que l'on regarde, oui, en qualifications je me fais battre par Kevin [Magnussen, son coéquipier] mais souvent ça se joue à trois ou quatre centièmes, il y en a un qui passe en Q2 et l'autre qui reste en Q1. Ça se joue à rien. C'est une voiture qui ne me convenait pas en termes de pilotage par ses caractéristiques. Je pense que je me suis bien amélioré par rapport au passé, car du temps de 2013, je n'aurais pas réussi à la conduire et je me serais bloqué sur ma façon de faire sans savoir m'ouvrir. Honnêtement, changer d'équipe… Quand ça ne va pas, on a toujours envie de changer pour changer, mais sur le papier, je ne voyais pas quel était l'intérêt de changer et d'aller voir ailleurs, parce que le travail a été fait. Oui, il y a eu quelques frictions avec Kevin en piste. Heureusement on n'a pas été les seuls ! Mais on a souvent joué de malchance avec les conséquences [qu'elles ont eues].

Comment inverse-t-on les choses et comment les oriente-t-on différemment pour les appliquer à une nouvelle monoplace ?

On essaie de comprendre d'où les problèmes de corrélation viennent, on essaie de comprendre ce que l'on a fait de différent par rapport aux autres, on regarde les concepts qui sont autour. Et puis on va attendre les premiers tours de roue à Barcelone pour être sûrs que l'on mesure tout ce qui se passe dans la voiture et que l'on est en ligne avec la soufflerie.

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Le fait de conserver les mêmes pneumatiques qu'en 2019 peut-il aider Haas ?

Non, ça ne change pas grand-chose. Honnêtement, je pense que l'on a une bonne compréhension des pneus. L'an dernier, ils étaient souvent dans la fenêtre, en tout cas on faisait tout pour les amener dans la fenêtre, c'est juste que la voiture ne fonctionnait pas. C'était compliqué de ce côté-là. Après, les pneus 2020 étaient mauvais donc on n'avait pas le choix…

Les pneus 2020 étaient à ce point mauvais, même sur les tests d'Abu Dhabi ?

C'était terrible. C'est simple, sur dix équipes, les dix ont voté pour garder les pneus 2019.

Dans ce contexte, quels sont vos objectifs personnels et ceux de l'équipe ?

Les objectifs dépendent énormément de comment la voiture va performer. C'est sûr que l'on part dans la continuité de ce que l'on a fait en 2018, en oubliant un petit peu 2019 et en se disant que l'on va essayer de se battre pour être les meilleurs du milieu de peloton. McLaren a bien progressé, je pense qu'ils vont être durs à aller chercher ; Renault on va voir ce que ça donne ; on sait que Racing Point sera mieux préparé cette année que l'an dernier ; AlphaTauri fait du bon travail avec le partenariat avec Red Bull ; Alfa Romeo ça peut aussi bien fonctionner. Encore une fois, le milieu de peloton va être super serré et ce sera intéressant.

Après les qualifications du GP du Japon en 2018.

Après les qualifications du GP du Japon en 2018.

Parmi les changements notables, il n'y a plus que six jours d'essais hivernaux contre huit auparavant, et donc moins de temps pour se préparer…

Ça fait un gros changement, c'est une grosse différence. Il suffit que la météo ne soit pas des vôtres et c'est tout de suite une journée de perdue… L'an dernier, on a eu plein de problèmes électriques alors que c'était juste un fusible quelque part qui nous embêtait, et ça nous a mis en panne des matinées complètes. Là, on ne peut pas se permettre d'avoir ça, il faut que la voiture fonctionne, qu'on roule et qu'on la mette un petit peu dans toutes les circonstances possibles pour être prêts et savoir quoi faire sur les courses.

Vous avez passé une décennie en Formule 1, quel regard portez-vous sur son évolution, sur ce qui vous plaît et vous déplaît aujourd'hui ?

Ces dix années-là… [longue pause]. Ce qui me plaît, ce sont les voitures d'aujourd'hui, qui sont les plus rapides jamais conçues, elles sont d'enfer. Ce qui me plaît c'est que l'on a des beaux circuits et de belles bagarres en milieu de peloton. Ce qui me plaît moins, c'est que lorsque j'ai commencé il y avait encore moyen de voir six vainqueurs sur les six premiers Grands Prix, en 2012 je crois. Aujourd'hui ce sont six doublés sur les six premiers Grands Prix. À l'époque il y avait une domination de Red Bull, mais qui était un peu différente de celle qu'on a aujourd'hui. Il y avait Red Bull et derrière ça se mélangeait un peu. Aujourd'hui ça ne se mélange plus et il y a deux courses dans la course, c'est dommage. Je ne pense pas que ce soit près de changer tout de suite.

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L'entrée en vigueur de la réglementation 2021 ne peut-elle pas y remédier ?

En tout cas, sur 2021 non. Il n'y a pas de limite de budget cette année donc les grosses équipes vont dépenser tout ce qu'elles ont en ressources afin d'être prêtes pour 2021. Les plus petites équipes vont dépenser moins donc il y aura une différence qui va être assez importante au début, je pense. Après, il y a des super idées : je pense que Liberty pousse les choses dans le bon sens. À titre personnel j'aurais mis un plafond de budget plus bas, j'aurais essayé de pousser davantage. Mais je comprends que Liberty, face à Mercedes, Ferrari et Red Bull qui ne veulent absolument pas bouger, se retrouve à devoir faire des compromis. Mais les voitures sont sexy, elles sont belles. Les études que l'on a vues ont l'air top. Il faut voir ce que Pirelli est capable de faire en 18 pouces. On sait aujourd'hui que c'est une grosse limitation de la Formule 1. Et après, s'il y a moins de zones sur la voiture où l'on est capable de faire de grosses différences, où c'est plus limité, l'écart sera moins important en termes de performance.

Le concept F1 né de la future réglementation 2021.

Le concept F1 né de la future réglementation 2021.

Y a-t-il une déception à l'idée d'aller vers des monoplaces qui seront moins rapides l'an prochain ?

Non, je pense que c'est un bon compromis et puis il faut voir à quel point elles sont moins rapides. Il y a des courses qui sont super excitantes avec des voitures qui ne vont pas forcément très vite. Aujourd'hui, on a des voitures extraordinaires mais il y a des circuits où les virages n'en sont plus vraiment, et ce sera intéressant de revenir un peu en arrière. Mais surtout, si l'on trouve du plaisir à se battre en peloton, à pouvoir se suivre et faire des bonnes courses, le fait d'être une, deux, trois ou quatre secondes moins rapide au tour ne changera pas grand-chose.

Les circuits, parlons-en ! Vous avez pu découvrir le projet de Grand Prix en Arabie saoudite. Est-ce que le fait que le circuit soit dessiné par un pilote, Alexander Wurz, le rend différent des autres circuits modernes que l'on connaît ?

J'espère sincèrement que le projet va aller de l'avant et qu'il va avancer comme il le doit. Le circuit qu'Alex a dessiné est d'enfer ! Il sait ce que l'on aime et ce que l'on n'aime pas, il a la chance d'avoir cette relation proche avec nous, il vient nous poser des questions. Par exemple, on a pas mal roulé dans le simulateur et il y a un virage où il n'est pas sûr de lui… C'est le premier virage où je lui ai dit : "Écoute celui-là, je ne sais pas trop !" Il m'a dit qu'il était en galère et qu'il ne savait pas trop quoi faire de ce virage. C'est top d'en discuter, d'échanger. Dans l'ensemble, le projet est monstrueux, super beau, et l'endroit est extraordinaire. J'espère vraiment qu'il y aura un Grand Prix.

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Est-ce important de développer cette tendance qui vise à impliquer davantage les pilotes sur ce genre de projet ?

On est ceux qui roulent sur les pistes, ceux qui connaissent ce qui est bien ou non pour dépasser, pour le plaisir, pour le fun. C'est presque même… [il hésite] Quand on regarde le golf, dès qu'un nouveau parcours se fait, on va tout de suite voir un joueur de golf pour avoir son avis, et ce n'est pas quelque chose qui a été fait en Formule 1.

Alex Wurz fait découvrir le projet de circuit saoudien à Romain Grosjean et Nico Hülkenberg.

Alex Wurz fait découvrir le projet de circuit saoudien à Romain Grosjean et Nico Hülkenberg.

Vous allez disputer votre dixième saison en Formule 1, et après ? Comment voyez-vous l'avenir et où en est votre plan de carrière ?

On va voir. On va faire cette année, on va voir comment ça se passe. Pour le moment je n'ai pas envie de quitter la Formule 1, même si elle est frustrante, même si elle est injuste, même si par certains côtés parfois on rentre chez soi en se disant qu'on préférerait être dans une autre catégorie pour pouvoir gagner des courses. Mais pour le moment je suis encore trop amoureux de la Formule 1, j'aime ça, j'ai envie d'aller faire les courses, je n'ai qu'une hâte c'est prendre l'avion pour l'Australie et aller rouler à Melbourne pour lancer la saison. On va voir comment ça évolue. Un jour on peut aimer la mozzarella et deux ans après ne plus l'aimer, ou vice versa !

On sent parfois un univers rude pour les sportifs aujourd'hui, alimenté notamment par les critiques faciles sur les réseaux sociaux. Comment fait-on abstraction de ça ?

Ce qui est marrant, c'est que les réseaux sociaux honnêtement…[il hésite] Tiens, il n'y a pas longtemps je suis allé voir un concert de Bénabar avec ma femme. On a posté un selfie, et un mec en commentaire s'est fait plaisir… Le pauvre Bénabar n'avait rien demandé à personne et il s'est fait détruire… Je me suis demandé quel était l'intérêt ! Mais après, dans la rue, on ne croisera jamais un mec qui vous dira ça en face. Tant mieux, que l'on m'aime ou que l'on ne m'aime pas, je préfère ça qu'avoir le charisme d'une huître qui serait passée entre les mailles du filet. Il y a des gens qui me soutiennent, d'autres qui ne me soutiennent pas, je le comprends. Parfois, on peut aussi discuter sur les réseaux sociaux, c'est fait pour ça, pour demander des explications derrière une pensée : "Pourquoi tu dis que Grosjean se crashe partout l'an dernier ? Sors-moi les statistiques et on en rediscute derrière". Il y a parfois des images comme ça qui vous collent à la peau, c'est la vie, ce n'est pas bien grave. Quand on a un beau résultat, les chiffres montent, les gens sont là, et quand c'est un mauvais résultat les gens sont durs. Ils ont parfois la critique facile, mais encore une fois, parmi ceux que je rencontre tous les jours, il n'y en a jamais eu un en face qui m'a dit ça.

Romain Grosjean, Haas F1 prend un selfie avec des fans

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