Interview

Hamilton le bâtisseur : "Je comprends ce que Schumacher a fait"

Auréolé d'une septième couronne mondiale, soit autant que Michael Schumacher, Lewis Hamilton s'est longuement confié à Motorsport.com sur le travail abattu pour faire de Mercedes une machine à gagner autour de lui. Interview.

Le vainqueur Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1, sur le podium avec son trophée après avoir sécurisé son 7e titre mondial

Photo de: Andy Hone / Motorsport Images

Lewis, cette saison est-elle la plus proche de la perfection parmi toutes celles que vous avez disputées ?

Je ne me souviens pas vraiment de chaque année. Oui, c'est sans doute le niveau le plus élevé que j'ai jamais atteint. C'est une progression naturelle, évidemment. On ne peut pas toujours faire les choses correctement. Cette année, avec le COVID, nous avons eu plus de temps pour nous concentrer sur des faiblesses, et je dirais que l'an dernier c'était costaud en course et que ce n'était pas si génial en qualifications. J'ai débuté cette saison en m'assurant d'avoir conservé mes points forts mais en travaillant sur les faiblesses. En progressant en qualifications, j'ai réussi à progresser en course, ce qui est une petite surprise. Je ne m'attendais pas à ça.

Savez-vous pourquoi ?

D'un côté, on pourrait dire que c'est parce que nous avons les mêmes pneus. Donc j'ai continué à comprendre comment les utiliser. Au fil des années, et plus particulièrement cette année, j'ai pu m'investir davantage pour mieux comprendre la voiture, l'aspect technique, le set-up. Pendant un week-end, il y a tellement de choses à changer que l'on peut facilement passer à côté de certaines. Avant d'arriver aux qualifications, on n'a pas passé en revue toutes les différentes options sur un tour, on essaie de couvrir les bases autant que possible mais parfois, on manque de temps pour certaines choses avant les qualifications. On essaie de prendre des décisions rapides. Cette année, j'ai été plus efficace sur ce point et ça vient aussi de la communication avec ceux avec qui je travaille.

Lewis Hamilton, Mercedes-AMG F1, et Toto Wolff, Directeur Exécutif, Mercedes AMG

Est-ce qu'être si proche de la perfection signifie qu'il sera encore plus difficile d'élever le niveau l'an prochain ?

C'est certain. Pour tout athlète qui est à son meilleur niveau, on pourrait toujours dire que ce sera difficile d'élever la barre. Le plus facile à faire serait de laisser filer. Mais ce n'est pas comme si c'était nouveau pour moi. Je sais ce que je dois faire pour être dans le bon espace mentalement et physiquement. Je ne pense pas que ce soit un problème de régularité, mais plutôt de petites améliorations pour élever le niveau. Je ne sais pas vraiment si c'est possible de faire mieux. C'est très costaud en course, par exemple. Mais il y a toujours des éléments qui pourraient être améliorés. Cependant, tout n'est pas facile à améliorer.

Bien gérer les pneus par exemple, est-ce une évolution constante ou bien y a-t-il eu un moment où vous vous êtes dit qu'il fallait progresser sur ce point ?

J'en suis conscient depuis le GP2. Si vous prenez ma course [à Istanbul] en GP2, ce que j'avais appliqué dans ma technique de pilotage, je l'ai utilisé aujourd'hui. Mais il faut piloter en prenant soin des pneus aujourd'hui, c'est aussi ce que fait l'équipe, et c'est quelque chose de très intéressant à observer au fil des ans depuis que je suis ici. Quand j'étais chez McLaren, quand j'ai débuté, j'étais toujours en train de remettre les choses en question. Chez McLaren, je remettais en question la manière dont ils préparaient les pneus et leur température, toutes ces choses-là, et ils ne m'ont jamais écouté. Ils faisaient leur truc. Quand j'ai rejoint cette équipe, j'ai eu beaucoup de difficultés à vouloir essayer différentes choses et à parler… On peut développer un set-up, mais les pneus détiennent une part immense de la performance, et comment peut-on en tirer tout le potentiel sur un tour comme sur un long relais ? Et puis il y a des choses que la voiture fait pour les pneus, que ce soit dans sa mise au point ou au niveau du package aéro.

Lewis Hamilton, McLaren MP4/25

J'ai mis beaucoup de pression sur l'équipe par rapport à ce que je voulais au niveau de l'équilibre aéro, par exemple. Je leur fais changer ça depuis 2014. Nous l'avons fait évoluer petit à petit. L'équipe aura une simulation qui vous dira quelle est la meilleure voiture, mais il se peut qu'elle ne fasse pas ce que je veux faire, qu'il n'y ait pas non plus les sensations. Mais j'ai aussi dû apprendre énormément. J'ai beaucoup remis les gars en question, et il y a eu des fois où j'avais tort. Mais je n'ai aucun problème du tout à me tromper, ça fait partie de l'apprentissage. Je les ai amenés à sortir des sentiers battus et à essayer différentes choses, ils ont vraiment évolué dans cette direction. Et quand obtient un bon résultat ou que l'on fait une bonne course, on se dit : "Regardez, si nous sommes plus ouverts à certaines idées, même qui paraissent folles, faisons-le et allons de l'avant". C'est un des éléments qui nous a aidés à élever le niveau continuellement, car nous avons peut-être une meilleure approche qu'auparavant.

Tirez-vous plus de satisfaction de tout ça, ou bien d'un tour comme en Autriche sur piste humide, en améliorant au fur et à mesure ?

Je ne crois pas que l'un me donne plus [de satisfaction] que l'autre. J'adore les journées comme ça, où il est question de course, de capacité à piloter et à se qualifier sous la pluie. Car tout est question de sensations et beaucoup moins de réglages ou de température des pneus ; c'est plus basique, plus standard. Concernant le fait d'aider à développer la voiture, c'est quelque chose de difficile à comprendre. C'est difficile pour quelqu'un qui débute en F1, pour un jeune pilote, de pleinement comprendre ce que Michael [Schumacher] faisait, ce que je fais dans cette équipe. Ils voient seulement que nous avons une bonne voiture, que Michael avait une bonne voiture. Maintenant que j'en suis là, je comprends ce que Michael a fait avec son équipe, ou peut-être ce qu'il aurait pu faire avec son équipe. Je suis certain que c'est similaire à ce que j'ai dû faire. Il faut en quelque sorte être le gouvernail. Il y a ce groupe puissant de gens intelligents et passionnés, et il y a naturellement la direction de l'équipe qui est le principal gouvernail. Mais pour le développement, la manière de faire avancer la voiture et de travailler avec les caractéristiques du pilote, c'est mon boulot, et je dirais que j'en suis vraiment très, très fier. Malheureusement, les gens n'ont pas l'occasion de percevoir tout ce qui se passe en coulisses.

Michael Schumacher, Ferrari F2004

Quand vous parlez de cette progression année après année, y a-t-il un processus standard ou bien est-ce naturel, en réagissant à la manière dont se passent les choses ?

Ce n'est clairement pas naturel et réactif. Généralement, chaque semaine je rencontre l'équipe en Facetime ou via Zoom avec Bono [Peter Bonnington] et les ingénieurs. Je demande à différentes personnes de l'équipe de participer à ces réunions. Je suis toujours au courant d'où en est la future monoplace, de ce que sont les limites, de ce sur quoi ils essaient de se concentrer… Parfois aussi, je vais aller à la soufflerie et je vais dire au chef aéro : "Fais-moi faire le tour de la voiture, je suis fasciné par ce sur quoi vous travaillez". Et ils vont me dire quelles sont les difficultés et les obstacles qu'ils ont rencontrés. Ce n'est plus trop le cas aujourd'hui mais auparavant, ils pouvaient me dire : "Nous travaillons dans ce domaine". Et je leur répondais que ce n'était pas le souci, je leur demandais pourquoi ils travaillaient dessus. Parfois des choses se perdent. J'ai toujours trouvé que c'était du temps utile à prendre, car cette personne dirige tout le groupe aéro, et plutôt qu'entendre parler de ce qui est nécessaire, je lui dis directement. L'hiver, c'est le moment où je me pose avec Bono et les gars, et je leur dis toujours à la fin de l'année que je suis très fier d'eux, qu'il est important de profiter du succès, mais je leur demande aussi d'écrire les éléments critiques qui pourraient être améliorés. Et je fais pareil de mon côté. Ensuite nous partageons ça et nous mettons en place les projets pour ce que nous pouvons changer ou faire différemment.

Vous dites que chaque voiture porte la signature du pilote, et vous avez mentionné l'équilibre aéro qui a été amélioré étape par étape jusqu'à présent. Expliquez-nous : pouvez-vous nous donner un exemple de ce que la monoplace de l'an dernier ne pouvait pas faire et qui est réalisable avec celle de cette année ?

D'abord, je ne pense pas que chaque pilote le fasse. Car comme je l'ai dit, lorsque j'étais chez McLaren, ils faisaient ce qu'ils voulaient. Les ingénieurs pensent souvent mieux savoir que le pilote et… pas toujours mais parfois peut-être, ils ne sont pas à l'aise avec le fait d'écouter le pilote, je ne sais pas. C'est ce qu'il y a eu de mieux quand j'ai rejoint cette équipe. Je ne suis pas arrivé en disant qu'il fallait faire ceci ou cela. Mais je peux apporter une réflexion, demander ce qui se passe si l'on fait comme ceci ou comme cela. Depuis que je suis arrivé, c'est devenu une collaboration. Et ils reviennent vers moi en me disant ce qui se passe si l'on fait comme ceci ou comme cela. Ça donne le sentiment d'avancer ensemble.

Le vainqueur Lewis Hamilton, Mercedes AMG F1 W10

La voiture de l'an dernier par exemple, c'était la plus longue [du plateau]. C'était une petite surprise de voir qu'aucune autre équipe n'avait opté pour une voiture plus longue. Nous gagnions avec une voiture plus longue depuis 2017 et ils sont restés fidèles à ce qu'ils faisaient, en continuant avec une voiture plus courte. Mais le fait est que c'est une voiture longue, qui apporte beaucoup d'appui aérodynamique mais qui n'est pas aussi agile qu'une autre. L'an dernier, notre voiture était bonne dans les courbes à moyenne et haute vitesse mais plutôt mauvaise dans les virages lents. Elle ne tournait pas bien et j'ai eu des difficultés que j'ai présentées à l'équipe dans la manière de la régler, et ça a changé les choses. Il est difficile d'en dire beaucoup plus, mais cette difficulté que nous avions l'an dernier n'est plus un problème aujourd'hui.

James Allison a décrit l'avant de la voiture de l'an dernier comme étant trop tendre, précisant qu'il était plus incisif pour vous cette année. Est-ce de ce genre de choses que l'on parle ?

Oui, j'ai toujours préféré avoir plus d'avant sur la voiture. Mais il y a une limite à ce que l'on peut faire avec ces pneus. Il y a une limite à l'avant et une limite à l'arrière pour l'adhérence. Il y a la saturation et on ne peut faire qu'un certain nombre de choses avec l'équilibre mécanique avant que cela n'affecte l'autre extrémité. C'est comme une balançoire. La voiture de l'an dernier était vraiment très, très forte au niveau de l'arrière et, dans l'ensemble, c'est l'arrière qui menait la voiture, l'avant était beaucoup plus sous-vireur. Cette année, nous avons fait des changements. Pour l'équilibre aéro, c'est un processus beaucoup plus long. On ne peut pas juste le changer. C'est durant l'hiver que nous avons réglé ça et que nous avons équilibré l'aéro davantage vers l'arrière. Ça fonctionne clairement beaucoup mieux.

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11

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