Analyse

Hamilton, Pirelli et l'impossible quête du pneu idéal en F1

Très sélectif dans ses prises de position, Lewis Hamilton est devenu depuis quelques semaines la figure de proue d'une volonté unanime des pilotes, mettant la pression sur Pirelli pour changer radicalement les pneus en F1. Une croisade perdue d'avance ?

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11, vainqueur, arrive dans le Parc Fermé

Photo de: Andy Hone / Motorsport Images

Le pneu idéal existe-t-il ? En Formule 1, Lewis Hamilton nous a habitués à la perfection dans son pilotage, il aimerait voir le manufacturier de pneus faire de même. Le sextuple Champion du monde rêve de piloter sa Mercedes équipée d'une gomme capable de fournir un maximum d'adhérence durant de nombreux tours, sans se dégrader trop vite ni surchauffer. Impossible, répond Pirelli, régulièrement ciblé par les critiques depuis son arrivée en F1 il y a près de dix ans. Des critiques qui, après s'être estompées ces dernières années, semblent reprendre de plus belle ces derniers temps.

Sa voix porte et il le sait. Alors, Hamilton est même devenu le porte-parole de cette cause, déplorant au passage que les pilotes soient les seuls à monter au créneau. "Lorsqu'il y avait une guerre des pneus, il y avait des voitures plus légères", admet le Britannique. "Mais il y avait deux entreprises [Bridgestone et Michelin] qui repoussaient leurs limites et aujourd'hui, personne ne pousse Pirelli si ce n'est nous [les pilotes] avec ce que nous disons. Cependant nous devons être très prudents car nous ne devons pas contrarier Pirelli. Nous essayons d'être constructifs et d'échanger avec eux."

Dans le viseur de la star de la discipline, il y a surtout la fameuse "lettre d'objectifs", autrement dit le cahier des charges confié à Pirelli par la FIA. Car – faut-il le rappeler une énième fois ? – la firme de Milan n'est pas libre de concevoir les pneus qu'elle souhaite. En remportant l'appel d'offres qui lui confère le statut de manufacturier unique, elle est contrainte de répondre à certaines exigences, notamment sur le nombre d'arrêts au stand attendu. Ces demandes évoluent mais elles ont longtemps fait fi des desiderata des pilotes si l'on en croit Hamilton.

"Quand on regarde la dernière lettre d'objectifs, elle est loin d'être complète…", déplore-t-il. "Elle n'a pas reçu l'implication des pilotes et ce n'est pas ce que nous demandions depuis des années. Essayer d'aller à la racine du problème, c'est que le GPDA [l'association des pilotes de Grand Prix] essaie de faire. C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis allé à Paris quand ils ont parlé des Accords Concorde, pour essayer de les aider, de leur dire : 'Impliquez les pilotes, nous ne travaillons pas contre vous, nous faisons partie de la discipline et nous voulons l'aider à être excellente, comme vous'. Je crois qu'ils étaient très réceptifs à cette époque et, désormais, ils essaient d'améliorer la lettre d'objectifs pour les pneus."

"Nous allons vers une année où nous aurons toujours les mêmes pneus que l'an dernier… Personnellement, j'aimerais faire plus d'arrêts au stand. Je crois que ces courses à un seul arrêt ne sont pas géniales. Le pneu hypertendre que nous avons eu était le meilleur au niveau du grip qu'il nous donnait. Nous voulons ce grip sur une plus longue durée. Nous ne voulons pas de surchauffe, afin de pouvoir continuer à attaquer avec ces voitures et à se rapprocher des autres pilotes, faire des dépassements, ce qui nous prend parfois plusieurs tours."

Pirelli ou le vilain petit canard

Dans cette histoire, Pirelli hérite inévitablement du mauvais rôle, puisque c'est le nom de la firme qui figure sur les pneus tant critiqués. À la tête du programme F1 de la marque, Mario Isola est habitué à prendre des coups, tout autant qu'à défendre son entreprise. L'Italien assure que depuis plusieurs mois, les pilotes font partie prenante des échanges menés autour de la lettre d'objectifs.

Des pneus Pirelli dans le paddock

"Nous écoutons les pilotes", insiste Isola. "Je ne veux pas envoyer ou entendre le message selon lequel nous n'écoutons pas les pilotes, car à chaque fois qu'ils sont disponibles, nous le sommes aussi, et je ne parle pas seulement de Pirelli mais aussi de la FIA. Nous sommes très heureux de suivre ce que demande Lewis, mais il faut d'abord mettre ça sur le papier, puis le matérialiser, car ce doit être un compromis. Nous ne pouvons pas avoir 100% de grip, 100% de régularité et aucune dégradation."

"Nous avons énormément discuté de la lettre d'objectifs qui était initialement pour 2021, avec les pneus 18 pouces, et qui est désormais pour 2022. Nous avons un certain nombre de versions de cette lettre, vous pouvez l'imaginer, car chaque discussion introduit quelque chose de nouveau. Les pilotes ont été impliqués dans les discussions."

"Dans la dernière version de la lettre, nous avons à nouveau décidé de passer les choses en revue afin de lister les objectifs, de donner la priorité à ce que ressentent les pilotes, et d'avoir des priorités comme par exemple réduire la surchauffe, réduire la dégradation. Nous avons beaucoup discuté à ce sujet, car si l'on réduit la dégradation, il n'y a aucune raison d'avoir plus d'un arrêt au stand. S'il n'y a pas de dégradation du pneu, pourquoi perdre du temps à s'arrêter une fois de plus et peut-être perdre des places en piste ? Nous avons donc eu cette discussion sur la possibilité d'avoir un pneu qui se dégrade plus vite après une certaine distance."

En marge du Grand Prix d'Espagne, les pilotes ont en effet pu faire part de leurs préoccupations de manière plus précise lors d'un briefing organisé avec Pirelli. Selon Romain Grosjean, directeur du GPDA, ils ont demandé des gommes à la fois meilleures et plus sûres, s'appuyant sur les problèmes survenus à Silverstone au début du mois d'août. Plus qu'une lettre d'objectifs, c'est d'une lettre d'intention que rêvent les pilotes. Pirelli en a conscience et promet de redoubler d'efforts sur la question. Néanmoins, le compromis est inévitable, car le pneu idéal n'existe probablement pas.

"Il y a beaucoup de points abordés dans la lettre d'objectifs et certains sont difficiles à atteindre en même temps", prévient à nouveau Mario Isola. "Avoir un pneu avec plus de grip mais aussi beaucoup de constance est vraiment difficile. Quand il y a beaucoup de grip, il y a d'habitude une dégradation élevée : c'est l'idée d'un pneu de qualification. Je sais que les pilotes aiment le grip, je sais que les pilotes demandent un pneu idéal. C'est notre projet et l'objet de nos efforts pour 2022. Pour 2021, comme nous l'avons déjà dit, c'est difficile, car nous n'avons pas d'option pour faire évoluer le produit. Nous allons nous concentrer là-dessus pour 2022."

2022 ou jamais ?

Lewis Hamilton comme Mario Isola ont bien compris l'enjeu : discuter, s'écouter et trouver les solutions ensemble pour rapprocher au maximum les points de vue. Toto Wolff sait que les demandes de son pilote relèvent en partie de l'inaccessible, estimant que la requête est "probablement impossible physiquement" avant d'ajouter : "Un pneu qui a autant de grip et tient la moitié de la course, ce serait fantastique pour les pilotes. [Mais] Je ne suis pas sûr que ça offrirait un grand spectacle".

Lewis Hamilton, Mercedes F1 W11, Valtteri Bottas, Mercedes F1 W11, Max Verstappen, Red Bull Racing RB16, Daniel Ricciardo, Renault F1 Team R.S.20, Alex Albon, Red Bull Racing RB16, Esteban Ocon, Renault F1 Team R.S.20, Sergio Perez, Racing Point RP20, et Lance Stroll, Racing Point RP20, au départ

Le directeur de Mercedes prend le parti de Pirelli sur ce point, tout en espérant lui aussi que le tournant programmé en 2022 avec la nouvelle réglementation technique permettra de changer de cap.

"Ils [Pirelli] doivent composer avec le niveau auquel nous développons les F1, avec de plus en plus d'appui, et ils ne peuvent pas vraiment créer un nouveau produit chaque année", souligne-t-il. "À l'avenir, j'aimerais un bon compromis pour avoir un pneu adapté aux F1 modernes, dont l'appui aéro sera considérablement réduit [en 2022], et je crois que ces discussions avec Pirelli cesseront autour des pressions pneumatiques et des charges exercées. J'espère que ce sera plus facile pour eux de fournir un pneu avec lequel tout le monde sera content de courir."

La balle n'est pas seulement dans le camp de Pirelli, elle est aussi et surtout dans celui de la FIA, qui entérine le cahier des charges. Récemment, l'instance internationale a d'ailleurs mis de l'eau dans son vin et semble aujourd'hui encline à revoir sa copie un peu plus en profondeur.

"Avec le recul, la première lettre d'objectifs demandait en fait à Pirelli des choses impossibles, avec une faible dégradation et la capacité à attaquer en permanence, tout en ayant plusieurs arrêts au stand", admet Nikolas Tombazis, responsable monoplace à la FIA. "C'était probablement comme installer des buts dans lesquels il est impossible de marquer. Je crois que nous devons le reconnaître. Mais je pense que le travail initial fait avec les pneus 18 pouces montre qu'ils vont clairement dans la bonne direction. Les premiers tests avec les 18 pouces ont été très prometteurs. J'espère que nous serons dans une bien meilleure situation dans un an et demi."

Sergey Sirotkin, Renault F1 Team, avec des pneus 18 pouces

Rejoignez la communauté Motorsport

Commentez cet article
Article précédent La FIA va repenser le système d'attribution de la Super Licence
Article suivant Sainz : Renault montre que Ferrari peut remonter la pente

Meilleurs commentaires

Il n'y a pas de commentaire pour le moment. Souhaitez-vous en écrire un ?

Abonnez-vous gratuitement

  • Accédez rapidement à vos articles favoris

  • Gérez les alertes sur les infos de dernière minute et vos pilotes préférés

  • Donnez votre avis en commentant l'article

Motorsport Prime

Découvrez du contenu premium
S'abonner

Édition

France