Henri Pescarolo : "Ron Dennis ? Une attitude très britannique"
Henri Pescarolo fut l'un des premiers pilotes de Ron Dennis, lorsqu'il a créé l'écurie Rondel. Le Français, quadruple vainqueur au Mans, se souvient d'un excellent manager, dur avec tout le monde, mais particulièrement doué.
La carrière de Ron Dennis en F1
Retour sur la carrière en Formule 1 de Ron Dennis, écarté de la tête de McLaren le 15 novembre 2016.
Pilote Matra en Formule 1 en 1970, Henri Pescarolo est mis à pied par Jean-Luc Lagardère pour la saison 1971 aux dépends de Chris Amon.
Avec le soutien de Motul, le Français rejoint alors l'écurie de Franck Williams en Formule 1, et celle de Ron Dennis, Rondel, en Formule 2, à partir de 1972. Pendant deux ans, le Francilien fera partie de la première équipe de l'homme de Woking, offrant sa première victoire en tant que constructeur à ce dernier, à Thruxton, en 1973. Il s'est entretenu avec Motorsport.com.
Henri, comment vous êtes-vous retrouvé au sein de l'écurie de Ron Dennis ?
Quand Matra m'a mis dehors de son programme monoplace, j'ai dû retrouver un volant. Je connaissais un peu de monde dans le milieu de la monoplace britannique puisque, dans les années 1960, le championnat de France de F3 allait partout en Europe. Mais là, je l'ai découvert de l'intérieur. Avec le soutien de Motul, qui était mon sponsor, j'ai retrouvé un volant chez Williams pour la Formule 1, et avec leur accord, j'ai également pu courir en Formule 2. J'ai alors rejoint Bob Wollek et Tim Schenken chez Rondel. Ron Dennis et Neil Trundle, les patrons de Rondel, avaient déjà fait leurs preuves chez Brabham, on savait chez qui on allait. Il était déjà l'un des meilleurs.
Ron Dennis, comme Franck Williams, est de ceux qui faisaient de grandes choses avec peu d'argent.
Henri Pescarolo
Passer de Matra à Rondel, ne fut-ce pas trop compliqué pour vous ?
On ne peut pas comparer Matra et ses 150 employés et les 12 personnes de chez Rondel. Par contre, on ne pouvait que souligner la qualité de préparation des voitures. Tout était parfait. Ron Dennis, comme Franck Williams, est de ceux qui faisaient de grandes choses avec peu d'argent. Il savait structurer son équipe. C'était remarquable. Et il a su être précurseur pour tout ce qui était sponsoring.
Comment se sont passées les deux années sous sa direction ?
Très vite, on a su qu'il était l'un des meilleurs managers. Il avait tout, le charisme, l'autorité, le savoir-faire, la compétence. C'était la grande différence d'un Jean-Luc Lagardère de chez Matra, manager d'une grande entreprise. Il connaissait le milieu de l'auto. Ron Dennis, c'est quelqu'un qui a toujours fait passer les intérêts de l'équipe en premier.
En 1973, lorsque Motul lui a demandé de construire ses propres châssis, on a vu l'étendue de son talent. On a tout de suite gagné des courses. En termes de gestion des pilotes aussi. Comme je l'ai dit, il était un excellent manager, mais très froid, sévère. C'est quelqu'un de très dur, mais avec tout le monde. Il faut savoir, je pense, l'être, quand on veut mener une écurie comme il l'a fait.
On a gagné avec lui, sur la Motul M1, mais les relations ont toujours été celles, normales, d'un pilote et d'un team manager. Ron Dennis, c'était une attitude très britannique également.
Très britannique ?
Très francophobe selon moi. Il nous a engagés, Bob Wollek et moi, parce que l'on apportait le soutient de Motul. Mais s'il avait pu faire autrement… On sentait qu'il était plus favorable aux Britanniques. À l'époque, les moteurs n'offraient pas tous la même puissance, mais généralement, les meilleurs blocs revenaient souvent à Tim Schenken.
De ce grand projet F1 [avec Motul], on est passé à côté à cause de Ron Dennis.
Henri Pescarolo
En 1974, Motul était prêt à mettre l'argent pour produire des châssis de Formule 1. Ce qu'il n'a pas voulu faire, je pense par sa francophobie. Peut-être parce que ce n'était pas dans les conditions qu'il souhaitait. En tout cas, il n'a pas souhaité prendre part à l'aventure, qui s'est alors terminée ainsi. Un regret pour moi. De ce grand projet F1, on est passé à côté à cause de Ron Dennis.
L'avez-vous revu ensuite ?
Non. Je ne l'ai plus jamais croisé. D'une part parce que je n'avais pas spécialement envie de le revoir, et parce que, lui non plus, n'a pas spécialement voulu se souvenir de cette période de sa vie.
Pensiez-vous à l'époque qu'il pourrait ainsi percer dans le milieu ?
Oui, clairement. Il avait une ambition quasi-démesurée à l'époque. On savait qu'il voulait gagner en Formule 1, ce qu'il a su faire par la suite. Il est passé par tous les stades : mécanicien, préparateur, constructeur, manager. Il a aussi su mener McLaren au succès, ainsi que beaucoup de pilotes. D'une petite écurie, il a su faire un véritable constructeur, avec une écurie puissante. Les meilleures années de McLaren, c'est lui.
Le fait d'avoir toujours été sévère a-t-il été un avantage dans sa gestion, par rapport à d'autres patrons d'écurie ?
En sport automobile, on ne peut avoir de sentiments. Jean-Luc Lagardère l'avait montré en 1970, j'avais beau eu prendre des risques insensés au volant de ses voitures au Mans, j'avais fait un podium à Monaco, et plutôt une bonne saison avec la Matra V12, ça ne l'a pas empêché de me mettre à la porte en 1971.
Ron Dennis était quelqu'un de plutôt froid, mais ça a été sa façon de faire toute sa carrière. Je suis un sentimental. Un peu de chaleur dans les rapports humains, selon moi, c'est toujours un plus. C'est ce qu'a su faire Franck Williams. Mais on l'a vu, ce monde demande d'être froid, ne pas faire de sentiments. La façon dont son conseil d'administration l'a remercié le démontre.
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