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L'heure a sonné pour l'outil de conception le plus fiable de la F1

Le travail en soufflerie constitue le fondement du développement aérodynamique d’une Formule 1. Cependant, les progrès de la recherche virtuelle annoncent la disparition de cet outil coûteux et compliqué.

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La soufflerie est un outil essentiel au développement des monoplaces depuis environ 50 ans. Brabham a utilisé la nouvelle soufflerie grandeur nature de MIRA dès 1964. Depuis les années 1980, c'est le principal outil permettant d'améliorer les performances des voitures. Mais au fil des années, le niveau de sophistication a énormément évolué.

Il peut donc paraître surprenant que huit des dix équipes aient récemment convenu que la FIA devrait se fixer comme objectif de supprimer leur utilisation d'ici dix ans. Avant de discuter de ce qui a pu conduire à une telle stratégie, il est peut-être utile d'examiner comment les essais en soufflerie ont évolué au fil des décennies.

L'une de mes tâches lorsque j'ai rejoint ma première équipe de F1, Toleman, a été de mettre en place et d'entreprendre un programme de soufflerie. Auparavant, la conception de la voiture ne bénéficiait d'aucune recherche aérodynamique. Avec l'aide de recrues d'autres équipes, nous avons mis au point un modèle de la voiture réelle à l'échelle 1/4, qui a tourné dans les souffleries de l'université de Southampton et de l'Imperial College, à Londres.

Il s'agissait des seules souffleries dotées d'un plancher mobile, un dispositif semblable à un grand tapis roulant qui se déplaçait sous le modèle stationnaire et qui, associé à un flux d'air soufflé, représentait les conditions rencontrées par une voiture se déplaçant sur une route, face au vent.

Les modèles étaient alors peu sophistiqués. Ils étaient fabriqués en aluminium et en jelutong : un bois naturel de Malaisie, relativement facile à travailler mais présentant une stabilité dimensionnelle exceptionnelle. Les roues étaient conçues en nylon et roulaient sur des axes externes fixés sur le côté de la soufflerie, afin de ne pas interférer avec les forces générées par le modèle. Ces forces étaient mesurées par un dispositif d'équilibre qui suspendait le modèle par le toit.

La balance en elle-même était un dispositif mécanique semblable à une machine à peser, capable de mesurer six forces différentes par séquences, ce qu'elle faisait en déplaçant des poids sur une poutre jusqu'à ce que l'équilibre soit atteint. Les pressions étaient mesurées dans la réplique par de petits robinets dans le soubassement et les ailes, qui étaient reliés à un manomètre à eau. À l'époque, l'acquisition des données consistait à noter les forces et à photographier le manomètre.

La soufflerie d'aujourd'hui est fondamentalement la même, mais le niveau de sophistication est sans commune mesure. L'avènement d'une électronique complexe et du contrôle par ordinateur a permis d'effectuer des mesures beaucoup plus nombreuses et précises. Les modèles eux-mêmes sont passés des dispositifs peu sophistiqués, à l'échelle 1/4 de mes débuts chez Toleman, à des répliques ultraprécises de 60% de la taille des monoplaces réelles.

Construire un modèle aujourd'hui à partir de rien coûterait un peu plus d’un demi-million d’euros, tant le niveau d'instrumentation et d'exactitude est élevé. Les pneus ont évolué, passant de formes simples usinées à des pneumatiques à échelle réduite qui se déforment sous la charge exactement comme leurs homologues de taille normale, la pression qu'ils subissent étant contrôlée par des dispositifs de charge de suspension.

Ce n'est qu'une question de temps avant que quelqu'un ne construise une usine d'essais qui surmonte certaines des lacunes des souffleries actuelles.

Les souffleries ont pris de l'ampleur, avec des espaces de travail d'environ 15 m², et des ventilateurs nécessitant jusqu'à 3000 kW pour faire circuler l'air à pleine vitesse. Naturellement, cet outil est loin d’être une solution économique pour les écuries. Non seulement la construction d'une soufflerie coûterait près de 60 millions d’euros aujourd'hui, mais les frais de fonctionnement, y compris le personnel et la production de modèles, ajouteraient sept ou huit millions d’euros au total, avant même l’emploi des aérodynamiciens. Même la facture d'électricité de la seule soufflerie s'élèverait à plus d'un million d’euros par an.

Avec un tel niveau d'investissement, et les retours indéniables qu’un tel processus expérimental apporte aux performances de la voiture, pourquoi les équipes envisageraient-elles d'en interdire l'utilisation ? La réponse se trouve peut-être dans deux domaines. Tout d'abord, les coûts sont incontestablement élevés. Une nouvelle équipe incapable de réunir les capitaux nécessaires pour construire sa propre soufflerie pourrait louer du temps dans une soufflerie, mais cela coûte plus de 100 000 euros par jour.

Deuxièmement, ce n'est qu'une question de temps avant que quelqu'un ne construise une usine d'essais qui surmonte certaines des lacunes des souffleries actuelles. Bien que la réglementation puisse limiter ce qui peut être fait, une soufflerie ultime engloberait le flux incurvé qu'une voiture rencontre lorsqu'elle prend un virage sur une piste. Il se pourrait même que le modèle soit déplacé dans un grand espace en trois dimensions au-dessus d'une réplique du circuit grandeur nature. On peut imaginer que l’une de ces solutions rendrait les coûts des essais en soufflerie, déjà énormes, finalement infimes en comparaison.

Alors, quelles sont les alternatives si les souffleries sont interdites ? La réponse est la numérisation des dynamiques de fluides (Computational Fluid Dynamics, ou CFD), une science dans laquelle les équipes ont déjà fortement investi et qui permet de simuler les flux d’airs par ordinateur. Au cours des dernières années, la précision de la CFD s'est énormément améliorée grâce à de meilleurs codes informatiques et à un matériel plus puissant, permettant de simuler toujours plus de détails.

Le passage à l'informatique en cloud devrait permettre aux équipes de toujours fonctionner sur le matériel le plus récent, les seules limites à la puissance de calcul étant financières ou réglementaires. Néanmoins, malgré ses avantages, la CFD présente des inconvénients. Pour être précis, les modèles virtuels doivent être extrêmement complexes. La CFD fonctionne en résolvant un grand nombre d'équations simultanées (plus de 300 millions dans certains cas), donnant ainsi un grand nombre de solutions qui permettent d'inspecter en détail le flux d'air sur toute la surface de la voiture et autour. Ce niveau d'observation n'est tout simplement pas disponible dans une soufflerie, même avec des techniques avancées de visualisation de l'écoulement.

L'inconvénient est qu'une seule spécification peut être examinée à la fois, ce qui rend difficile la production d'un plan aérodynamique complet de la voiture. Les progrès de l'apprentissage automatique pourraient toutefois transformer cette situation, la capacité de déduire une carte complète à partir d'un nombre relativement faible de points étant un objectif réaliste. La CFD peut prendre la place des souffleries, la question n'étant pas de savoir comment, mais quand. Un objectif de dix ans est-il trop ambitieux ? Le temps nous le dira.

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