Honda quitte la F1 sur fond de crise : bis repetita
Autres temps, autres mœurs, autre crise : comparer la crise mondiale provoquée par le coronavirus en 2020 et la crise financière de 2008 serait probablement un exercice scabreux. En revanche, l'Histoire retiendra que par deux fois en près de dix ans, c'est dans un contexte international tendu que Honda a décidé de tourner le dos à la Formule 1.
Ce vendredi, Honda a annoncé son retrait de la Formule 1 à l'issue de la saison 2021. La marque japonaise renoncera alors à son statut de motoriste, douze ans après avoir tourné une première fois les talons avec son écurie d'usine. En effet, c'est après avoir motorisé BAR pendant six ans que Honda avait pris la suite de l'équipe en tant que constructeur à part entière pour la saison 2006. Cette première campagne était somme toute correcte pour l'écurie japonaise, avec la quatrième place du championnat des constructeurs et la toute première victoire de Jenson Button en Grand Prix.
Cependant, la RA107 de l'année suivante s'était avérée peu compétitive. Malgré leur présence fréquente en Q2 et même parfois en Q3, les pilotes Honda n'étaient entrés dans le top 8 qu'à trois reprises – à chaque fois grâce à Button, Rubens Barrichello n'ayant pas fait mieux que neuvième. C'est alors que Ross Brawn, qui avait mené Benetton et Ferrari au succès par le passé, est entré en action dans le rôle de directeur d'équipe, aux côtés du directeur exécutif Nick Fry. Ses raisons ? Un immense potentiel inexploité, juge-t-il.
"La raison pour laquelle j'y suis allé est que Honda avait de très bonnes infrastructures, comparables à celles de Ferrari et potentiellement plus grandes et meilleures", se remémore Brawn, qui est désormais manager sportif de la F1, pour Motorsport.com. "Les ressources qu'ils avaient au Japon et le budget qu'ils engageaient étaient énormes. Ma réflexion était qu'il y avait clairement quelque chose qui clochait avec l'organisation s'ils avaient ces ressources-là et n'atteignaient pas leur plein potentiel. Je voulais résoudre ça."
"Ce qui s'est passé, c'est que les deux côtés de l'organisation – le moteur au Japon et le châssis au Royaume-Uni – se divisaient et rejetaient la faute l'un sur l'autre. Ils n'avaient pas envie de travailler ensemble pour produire la meilleure voiture possible. Ma tâche a été de les ramener à la raison. Parfois, dans ces situations, tout le monde sait ce qu'il faut faire, ils ont juste besoin d'un catalyseur. Je leur ai dit : 'Donnez-moi un an pour arranger ça ; la deuxième année nous aurons des résultats, la troisième année nous nous battrons pour le championnat'."
"L'avantage que j'avais était que je connaissais le niveau de performance d'un moteur Ferrari ou d'un châssis Ferrari. Certes, ces connaissances étaient vieilles d'un an quand je suis arrivé, mais cela m'a donné des points de référence sur ce dont nous avions besoin. Au bout d'un mois, quand j'ai rencontré le conseil d'administration et qu'ils m'ont demandé quels étaient les problèmes, j'ai pu leur dire : 'Le moteur n'est pas assez bon et le châssis n'est pas assez bon, et chaque groupe pense que c'est la faute de l'autre. Si nous n'acceptons pas le fait que les deux côtés ont besoin d'énormes progrès, nous n'irons nulle part'. Et ils étaient sous le choc, parce qu'il y avait beaucoup de dirigeants au Japon qui leur disaient que le moteur était fabuleux, et que l'unique raison pour laquelle ils ne gagnaient pas était que le châssis ne valait rien."
Brawn n'a toutefois pas eu le temps d'avoir un véritable impact chez Honda. Le concept de la monoplace 2008 était déjà établi à son arrivée, et ce fut une nouvelle saison difficile, avec pour seule lueur d'espoir l'exceptionnel podium obtenu par Rubens Barrichello sous de fortes pluies au Grand Prix de Grande-Bretagne.
Puis, le 5 décembre, alors que la crise financière mondiale se faisait ressentir de plein fouet, Honda a annoncé son départ soudain de la Formule 1, déplorant notamment "un environnement se dégradant rapidement dans l'industrie automobile mondiale" et citant le besoin de "protéger ses activités principales" à long terme.
La structure de Brackley avait pourtant mis toutes les chances de son côté en vue de la saison 2009, pour laquelle se préparait un changement drastique de réglementation technique. Des ressources monumentales avaient été consacrées au développement du nouveau bolide pendant près d'un an, et Brawn en était parfaitement conscient. Aussi racheta-t-il l'équipe pour la renommer Brawn GP, avec un faible budget mais l'arme fatale qu'étaient la BGP001 et son double diffuseur. À la clé, les deux titres mondiaux, à la surprise générale.
Par la suite, c'est Mercedes qui a fait l'acquisition de l'écurie en vue de 2010, mais la BGP001 n'avait quasiment pas été développée au fil de la saison, et la W01 qui lui a succédé n'a donc jamais joué la victoire.
"C'était très prévisible", affirme Brawn. "Est-ce que Mercedes s'y attendait vraiment, je ne sais franchement pas. La fondation de chaque saison, c'est l'année précédente, voire les deux années précédentes. En 2009, nous ne consacrions rien à la nouvelle voiture, nous n'avions pas les ressources pour ce faire. Nous savions que remporter le championnat serait crucial et concentrions tous nos efforts là-dessus. 2010 a pâti du fait que nous n'avons pas investi en 2009."
"L'autre facteur qui a compliqué les choses – et ce n'est pas une excuse – est que nous étions au beau milieu de ce projet de restriction des ressources. Nous avions la taille idéale, nous étions le modèle de ce que [la limite] aurait dû être. Red Bull, Ferrari et McLaren étaient au-dessus et étaient censés rejoindre notre niveau progressivement. Mais ça ne s'est pas fait. C'était une transition douloureuse, il leur aurait fallu licencier des gens. Il a ensuite été clair que certaines écuries n'étaient pas intéressées. C'était une initiative des écuries, et si celles-ci ne pouvaient pas la respecter elles-mêmes, ça n'allait jamais fonctionner."
"Lorsque le Resource Restriction Agreement s'est effondré, nous avons dû expliquer au conseil d'administration de Mercedes qu'ils allaient devoir arrêter ou se préparer à investir suffisamment pour être compétitif de nouveau. Fin 2011, nous avons eu davantage de budget, nous avons reconstruit notre organisation, et les résultats ont commencé à revenir en 2012 et en 2013. La suite, tout le monde la connaît."
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